La Métropole de Lyon doit expérimenter la réforme du Revenu de solidarité active (RSA) dès mars 2023. Cette réforme voulue par le gouvernement vise à conditionner le RSA à des heures d’activité. La Métropole de Lyon, dirigée par les écologistes et la gauche, espère mener une « contre-expérimentation » en utilisant les fonds débloqués pour renforcer l’accompagnement des bénéficiaires. Mais cette stratégie risquée pourrait renforcer la réforme voulue par l’État.
Lors d’une conférence de presse fin 2022, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a annoncé que la Métropole de Lyon s’était portée volontaire pour expérimenter une réforme du Revenu de solidarité active (RSA). Telle que l’État l’a présentée, cette réforme vise à conditionner le RSA à 15h à 20h d’activité par semaine. Alors que la collectivité, dirigée par une majorité de gauche et écologiste, est d’ordinaire opposée à la politique d’Emmanuel Macron, cette annonce a surpris.
L’exécutif de la Métropole de Lyon a rapidement pris la parole : elle assure qu’elle souhaite détourner cette expérimentation, sans s’inscrire dans la politique de l’État.
« C’est comme dans Matrix : il faut être dans le système pour modifier le système. L’idée est d’orienter la réforme avec cette expérimentation car l’État le fera avec ou sans nous », explique Séverine Hémain, vice-présidente en charge de l’insertion.
L’objectif est ambitieux et risqué, car la Métropole n’aura pas la main sur le montant que lui sera alloué et sur les résultats que l’État va retenir de son expérimentation.
La Métropole a connu plusieurs faux départs dans sa communication sur cette expérimentation. Les premières annonces de Bruno Bernard dans la presse ont donné lieu à une forte incompréhension : pourquoi une collectivité dirigée par une majorité écologiste et de gauche aiderait-elle le gouvernement d’Emmanuel Macron dans la mise en place d’une réforme marquée à droite ? D’autant plus que dans le domaine du RSA, les écologistes ont voulu se démarquer socialement au début de leur mandat en proposant l’allocation au moins 25 ans.
La vice-présidente en charge de l’Insertion, Séverine Hémain, tente alors de rétablir la vérité sur ce que va être l’expérimentation appliquée à Grigny et Givors sur un an, pour les 1 300 allocataires concernés :
« Il sera question de 15h à 20h d’accompagnement et non d’activité : le but est d’accompagner mieux et plus. On participe à cette expérimentation pour avoir des moyens financiers et pour faire en sorte que des collectivités de plusieurs bords politiques puissent donner leur vision de ce que doit être cette réforme. »
Pour l’exécutif, la Métropole de Lyon représente le territoire idéal pour mener cette expérimentation, car plusieurs dispositifs d’insertion sont déjà en œuvre sur le bassin. Une des compétences de la Métropole est en effet d’assurer l’accompagnement des personnes en situation de non emploi. Nadia Okbani, enseignante-chercheuse et spécialiste de l’action publique et des politiques sociales, décrypte la stratégie de la Métropole de Lyon :
« Les départements sont supposés mettre en place un accompagnement social et professionnel des publics. Mais dans les faits, ils n’ont pas toujours les moyens de le mettre en place auprès de tous leurs publics. En participant à l’expérimentation, la Métropole tente de s’approprier la réforme pour en faire autre chose qui semble relever du droit commun. »
Dans le rapport de la Cour des Comptes sur l’évaluation du RSA sorti en janvier 2022, on constate que l’accompagnement de la part des départements est largement insuffisant : 60% des bénéficiaires ne disposent pas de contrat d’accompagnement valide.
Sur cette expérimentation, la Métropole aspire à un projet co-construit avec les acteurs de l’insertion du territoire : bailleurs sociaux, structures d’insertion, entreprises, Pôle Emploi, Missions Locales, centres communaux d’action sociale (CCAS), etc. L’exécutif les a tous réunis le 12 janvier pour leur présenter le projet.
« On a un mois pour construire le cahier des charges et pour déterminer l’investissement financier de la Métropole. L’enjeu est de voir quels acteurs de l’insertion sont en capacité de prendre en charge les allocataires », détaille la Métropole.
La collectivité espère recevoir deux millions par an de l’État pour mettre en œuvre cette expérimentation. Le but étant de passer de 500 euros à 2 000 euros pour assurer le suivi de chaque allocataire par an. Mais face à des structures d’accompagnement elles aussi en tension de recrutement, deux millions annuels ou moins pourraient être insuffisants. La Métropole devra investir pour combler le manque.
Dans une étude sortie en février 2022, la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (Dress) affirme que 34 % des personnes éligibles au RSA seraient en situation de non recours à cette allocation.
Séverine Hémain assure que c’est un point de vigilance pour la Métropole :
« Nous aurons une attention particulière sur un public pas seulement bénéficiaire du RSA, mais plus largement sur les jeunes et les femmes isolées avec enfants, et sur les “invisibles” qui ne sont pas dans les différentes structures, pour lutter contre les non recours. »
Dans son annonce sur la réforme du RSA conditionné, le gouvernement avait ainsi évoqué la possibilité d’automatiser le versement du RSA pour lutter contre les non-recours. Mais cette automatisation ne fait pas partie de l’expérimentation.
La manière avec laquelle la lutte contre les non recours sera effective est donc encore floue pour la Métropole de Lyon :
« Nous verrons avec les moyens que pourra donner l’État pour faire du repérage et aller chercher des gens qui sont en situation de non recours. »
Via cette expérimentation, un des objectifs de la Métropole est de pouvoir proposer aux allocataires des emplois qui leur correspondent. Néanmoins, les offres d’emploi non pourvues et les entreprises qui sont prêtes à participer au dispositif sont celles qui se trouvent dans les secteurs en tension.
Or, ces secteurs sont difficiles d’accès pour les allocataires au RSA qui disposent de divers freins à l’emploi (mobilité, problèmes de santé, enfants à charge, etc). Pour Anne Eydoux, chercheuse au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET), s’adapter à chaque personne en lui donnant des outils pour limiter ses contraintes comme le propose la collectivité, n’est pas suffisant :
« Cela peut aider des personnes qui accéderont à une formation ou un travail, mais il n’est pas certain qu’il y en ait beaucoup plus qu’aujourd’hui si le volume d’emploi n’a pas augmenté. Sans une ambition de création d’emplois correspondant aux besoins locaux et à ceux des allocataires, ce n’est pas sûr que l’expérimentation produise beaucoup de résultats en termes d’insertion. »
Si la Métropole ambitionne de mettre en place un accompagnement individualisé pour lutter contre des freins structurels tels que la pauvreté, la mobilité, la santé ou la garde d’enfants, ce qui ressortira de cette expérimentation ne dépend pas seulement d’elle. En effet, cette stratégie s’avère d’autant plus fragile que l’évaluation de l’expérimentation est laissée à l’État.
Dans un communiqué paru le 12 janvier, les élus insoumis de la Métropole craignent une récupération politique de l’expérimentation par le gouvernement. Pour le président du groupe insoumis à la Métropole, Laurent Legendre, la collectivité ne doit pas faire le jeu de l’État :
« Avec la réforme de l’assurance chômage, des retraites, du RSA, nous sommes dans une temporalité nationale où le gouvernement est à l’offensive. Alors que le deuxième tour de la présidentielle s’est traduit par un vote pour faire barrage à l’extrême droite, le gouvernement se sent la légitimité d’entamer toutes ces mesures. Pour nous, dans ce contexte, nous avons tout à perdre à se mettre sur le terrain du gouvernement. »
Alors que la collectivité est en ce moment dans une phase de discussion avec l’État, les élus Insoumis demandent le retrait de la Métropole de l’expérimentation.
Il est difficile d’évaluer comment les résultats de la Métropole vont réellement impacter la réforme telle qu’elle sera nationalement : quelques soient les critères de réussite que la collectivité mettra en place, l’évaluation finale sera laissée aux mains de l’État.
« Si l’objectif pour le gouvernement est d’expérimenter la conditionnalité du RSA à des heures d’activité, la Métropole de Lyon, qui l’expérimente pour des heures d’accompagnement, ne va pas répondre à ses questions. Elle va apporter davantage un éclairage sur le renforcement de l’accompagnement, ce qui peut avoir du sens, mais va être en décalage avec les modalités d’expérimentation prévues par le gouvernement (ancrées dans une logique d’incitation et de sanction) », développe Nadia Okbani.
Séverine Hémain s’engage sur la liberté de la Métropole lors de l’expérimentation et assure qu’elle en sortira s’il s’agit de conditionner le RSA a des heures d’activité. Néanmoins, pour la chercheuse, expérimenter la réforme est déjà prendre le risque que le gouvernement se réapproprie les résultats positifs de la Métropole, et qu’il les utilise comme un argument légitimant une généralisation de sa réforme du RSA. Or, cette réforme a un tout autre objectif : celui de forcer les allocataires à l’activité, comme le décrypte Anne Eydoux.
« C’est l’idée que le pauvre méritant est celui qui doit quelque chose à l’État en contrepartie de l’aide. C’est une inversion des termes par rapport à l’esprit du législateur quand il a créé l’API en 1976 et le RMI en 1988 : ces minimas sociaux traduisaient un devoir de la collectivité envers les plus démunis. Le fait que travailler soit un devoir des allocataires est donc un retournement complet du sens original de ces aides. »
La collectivité composée d’une majorité de gauche et écologiste voudrait s’inscrire dans une logique opposée à celle du gouvernement en structurant son expérimentation autour de l’accompagnement social et professionnel. Mais si la Métropole veut réellement peser dans le rapport de force, selon Nadia Okbani il faudra qu’elle soit en capacité de défendre politiquement et médiatiquement sa position au moment de l’évaluation.
Vous devez être membre et connecté(e) pour rédiger un commentaire.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.