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Rachel Cusk : “C'est en s'approchant de ce qui est violent dans l'expérience qu'on touche à la vérité” – Philosophie magazine

Rachel Cusk. © Ulf Andersen/Aurimages
Écrivaine et essayiste britannique traduite dans le monde entier, Rachel Cusk vient de publier La Dépendance (Gallimard, 2022), en lice pour le prix Femina étranger. Elle y explore des questions philosophiques, comme ce sentiment de « ne pas exister » qui taraude souvent ses personnages. Dans cet entretien, elle nous livre, à partir du récit traumatique d’une agression à Paris, une réflexion profonde sur les liens entre violence, art et vérité.

 
Qu’est-ce que cela veut dire, selon votre expression, “ne pas avoir le sentiment d’exister” ?
Rachel Cusk Je veux dire que tout est question de croyances, de structures de croyance. Je crois à la réalité des objets et – généralement – je crois à la réalité de mon existence. Mais parfois, lorsque le doute surgit, il n’est pas du côté des objets mais de ma propre réalité. Je doute plus facilement de mon existence que de celle de cette tasse de thé. Après, si je prends cette tasse et que je la casse, je peux constater que mon acte provoque un effet, j’accomplis quelque chose qui change le réel. Ce faisant, en cas de soupçon – existé-je ou non ? – j’établis un lien entre le self, en français le soi, et la réalité. Une relation de nature particulière, certes. Mais c’est la chose qui m’intéresse en ce moment : la violence comme moyen d’établir un contact entre le soi et la réalité.
“Je m’intéresse à la violence comme moyen d’établir un contact entre le soi et la réalité” Rachel Cusk
 
Vous voulez dire que la violence peut être utilisée comme une sonde pour explorer la réalité ?
Je vous donne un exemple. Il y a trois mois, je marchais dans une rue parisienne en plein jour quand j’ai été attaquée : quelqu’un est arrivé par derrière et m’a violemment frappée à la tête. Je suis tombée. J’ai été extrêmement mal, en plus d’être bouleversée. C’était une folle, elle a agi comme ça, sans raison apparente. Sur le coup, je me suis dit : oh non, quelque chose m’arrive qui va m’empêcher de travailler. Voilà, à cet instant, ce que l’agression a signifié pour moi. Ensuite, quand j’ai commencé à la raconter, nombreux sont ceux qui m’ont dit que quelque chose de semblable leur était arrivé, chacun m’a raconté son histoire. Et je parvenais pas à donner un sens à l’agression dont j’avais été victime, je ne voyais vraiment pas quoi en faire, en tant qu’écrivain. Alors j’ai réfléchi à cet événement, et au fait qu’il s’agissait d’une femme. Et là, j’ai interprété son acte comme relevant du besoin de s’inscrire elle-même, de faire état de son existence dans une autre femme qui lui semblait, sans doute, enviable et prospère. Surtout, j’ai soudain réalisé que de nombreuses expériences, spécifiques au fait d’être une femme, biologiquement, sont violentes. Avoir été frappée à la tête m’a conduite à formaliser, pour la première fois, comment l’expérience de l’accouchement, par exemple, nous conduit aux frontières de la mort, en un lieu pour lequel il n’y a pas de mots. On y est, on y laisse quelque chose peut-être, et puis on en revient.
 
Revenons à votre agression parisienne. Vous avez dit un jour, je vous cite, que “se rapprocher de la vérité de sa propre expérience est un objectif artistique”. Que cherchiez-vous, en réfléchissant à ce que cette malade mentale avait fait ? Vous approcher de la vérité de son expérience à elle ?
Justement, le problème est que j’ai commencé à observer le processus dans un état, le plus périlleux qui soit, de subjectivité totale. Je ne pouvais pas penser l’agression. J’étais si impliquée physiquement dans l’événement qu’il m’était impossible de le considérer avec distance. Je ne trouvais aucun sens au fait de me dire : une chose terrible m’est arrivée. La seule vertu de me raconter l’acte, en fait, était de m’amener à y croire. Le chemin a été long pour parvenir de l’autre côté : là où je n’étais plus uniquement Rachel-étendue-dans-la-rue.
“Le vrai mythe auquel je ne m’attendais pas, c’est la parentalité” Rachel Cusk
 
Le fait est que vous étiez “objectisée” implique que votre rapport au monde en était changé ?
Ce qu’il y a derrière, là, c’est la question du corps. Pour moi, il y a un texte essentiel sur ce point, c’est l’Iliade. Ce qu’Homère dit réellement de la guerre, c’est ce qui est fait aux corps : l’idée de transformation à laquelle les héros homériens sont soumis. Et je rejoins l’analyse de Simone Weil, qui écrit que le mot de « force » est un meilleur mot que « violence » pour exprimer cette altération des corps.
 
Vous faites allusion à ce passage de L’Iliade ou le poème de la force où Simone Weil dit que, quand la force “s’exerce jusqu’au bout, elle fait de l’homme une chose au sens le plus littéral, car elle en fait un cadavre” ?
Oui, et c’est aussi le point de vue de Hannah Arendt : l’homme transformé en chose. C’est comme ça que la violence prospère et subsiste pendant un certain temps, en changeant les sujets en objets. Mais, une fois ce stade atteint, un processus de réparation peut être mis en branle : parce que, si le sujet est devenu objet, alors cet objet prend une valeur factuelle, il devient un fait disponible pour tous. La subjectivité de chacun n’est plus en question, il y a un fait : cette personne est devenue un cadavre, elle a été transformée en chose. C’est le problème central des féminicides. Il faut malheureusement attendre un fait – qu’une femme ait été assassinée – pour que rétrospectivement on la croie, qu’on ne mette plus en doute son objectivité : la vérité est que son mari est violent.
 
Couverture du livre La Dépendance, de Rachel Cusk. © Éditions Gallimard
 
Comment passez-vous, vous, des faits à la vérité ?
Les faits peuvent révéler la vérité. En voici un merveilleux exemple. Quand j’ai déménagé en France, j’ai acheté pour mon nouvel appartement une chaise ancienne sur un site d’antiquités, une très jolie chaise. J’ai précisé par mail à la vendeuse que je la destinais à un espace restreint et qu’il fallait que je sois sûre de ses dimensions. Elle me les a envoyées : selon elle, je pouvais pleinement être rassurée. Mais voilà : je reçois la chaise et elle ne rentre pas. Je prends les mesures et constate que le siège ne fait pas 50 cm, mais 60. Je fais part de mon étonnement à la vendeuse, qui me répond : pour moi, c’est 50. Et dans la foulée, elle devient immédiatement menaçante.
 
Qu’avez-vous fait ?
Je l’ai prise à partie : comment pouvez-vous prendre ce ton menaçant ?, lui ai-je demandé, je vous montre juste que vous faites preuve de mauvaise foi. Elle n’a pu répondre que par une agressivité croissante car elle se retrouvait à devoir cacher son mensonge. Et comme je suis une étrangère, que je ne sais pas bien comment réagir, quelle procédure suivre, j’ai été réduite au silence. Alors j’ai maintenant cette jolie chaise qui ne convient pas, et je pense souvent : voilà l’exemple charmant d’une impossibilité à s’accorder sur la vérité. Le fait est qu’il s’agit d’une chaise de 60 cm ; la vérité de la chaise est qu’il s’agit d’un joli siège – ou pas ; mais la vérité de cette histoire n’a aucun rapport avec la chaise. La vérité de cette histoire se rapporte aux humains : à ce que les individus gagnent à mentir.
 
Le prix de la chaise, je suppose… Mais retournons la question : qu’est-ce que les individus gagnent à dire la vérité ? En tant qu’écrivaine, vous avez expérimenté les conséquences d’une telle entreprise. Et le concept de vérité apparaît à de nombreuses reprises dans vos textes.
Pour moi, le vrai mythe auquel je ne m’attendais pas, c’est la parentalité. Quand j’ai eu des enfants, je me suis dit : oh mon dieu, voici un immense terrain où s’entremêlent dissimulation, silence, malhonnêteté, subjectivité, sincérité ou manque de sincérité, mensonges… Vous comprenez, du coup, qu’il me fallait absolument écrire sur ce thème !
“La créativité qui surgit dans le cadre d’un danger personnel, et dans un environnement violent, est la véritable créativité” Rachel Cusk
 
Dans votre essai L’Œuvre d’une vie. Devenir mère (Éditions de l’Olivier, 2021), vous déplorez le peu de “partisanes de la vérité” rencontrées à l’endroit de la maternité. Mais vous l’avez cher payé : pour avoir osé ternir la félicité de la jeune mère comblée, vous avez été sévèrement critiquée…
Oui, j’ai été accusée de haïr les enfants (« being a child hater »). Mais je devais m’atteler à dire la vérité. De la même façon que je me dis qu’une pièce est en désordre et qu’il faut la ranger. J’y voyais la même raison logique. C’est toujours ce que je cherche, en quelque sorte : un chemin qui avance dans le désordre. Et qui est toujours caché, en tous cas très difficile à voir, parce qu’il concerne mon existence au moment où je la vis et que je ne sais pas où je vais, ni comment m’extirper, en tant qu’artiste, de toutes ces questions qui concernent la maternité, ou la domesticité et tous ces compromis que les femmes font. D’autant qu’il y avait aussi, à mes yeux, un problème central qui tenait à l’impossibilité de décrire mes expériences en même temps que je les vivais, du fait de leur nature absolue. Un peu comme la guerre. Les hommes tentent d’écrire sur celle-ci après coup.
 
Dans un passage de La Nausée (1938), Sartre s’interroge sur ce qui transforme un événement banal en morceau de destin, ce qui change un fait en récit…
Justement. À propos de Sartre, j’ai lu l’autre jour dans un texte où il évoque la Résistance – et qu’il ait fabriqué ou non sa propre expérience, ici, ça ne compte pas vraiment – qu’il a réalisé que la violence donne une valeur spéciale et transcendante à l’art et à la créativité. La créativité qui surgit dans le cadre d’un danger personnel, et dans un environnement violent, est la véritable créativité. Je peux faire mienne cette remarque, non pas à propos de la Résistance, mais à un endroit personnel. Plus vous vous approchez de ce qui a été violent dans l’expérience, plus vous vous approchez de la vérité.
 
Dans vos livres, la vérité dérange ! Un personnage de Transit (Éditions de l’Olivier, 2018) affirme ainsi “Quand j’ai annoncé à ma mère que j’avais écrit un livre […] la première chose qu’elle m’a dit, c’est : ‘Tu as toujours été un enfant difficile.’” Et dans Coventry (2019), vous suggérez que votre rôle comme écrivain est d’être une “diseuse de vérité”. Une diseuse de vérité se doit-elle d’être honnête ?
L’honnêteté est souvent confondue avec la vérité. Alors que, pour moi, son rôle relève de la technique (littéraire). C’est une vertu très reconnaissable qu’à cet égard, j’utilise dans mes livres. Je ne suis pas toujours honnête, mais j’en use. En tant qu’écrivaine, je pense que je n’irais pas bien loin en essayant uniquement d’être honnête. En revanche, je pense que l’honnêteté est une étape, un stade dans le processus vers la vérité. Et que la vérité porte, à cet endroit, un autre nom qui est l’entente, le fait de s’accorder. C’est seulement si j’assume honnêtement mon positionnement et ma singularité, que d’autres pourront s’accorder sur la valeur de mon expérience en tant que vérité.
“L’honnêteté est souvent confondue avec la vérité. Alors que, pour moi, son rôle relève de la technique (littéraire)” Rachel Cusk
 
Le corps aussi peut dire la vérité. À la fin de Kudos (Éditions de l’Olivier, 2020), le personnage de Félicia a cette phrase terrible : “Nos corps survivent à l’usage qu’ils [les hommes comme son ex-mari] en font, et c’est ce qui les agace le plus. Ces corps continuent à exister, ils vieillissent, s’enlaidissent et leur disent la vérité qu’ils ne veulent pas entendre.”
En substance, je pense que les hommes devraient juste accepter de vieillir. Toutes ces choses qu’ils font pour occulter leur âge les rendent en fait encore plus visibles, et ridicules. Voici un domaine dans lequel ils ont besoin de faire la paix avec la réalité. Les femmes ont peut-être un peu plus l’art de jouer avec ces notions de corps et d’âge… Pour ma part, cette mascarade pour essayer de me rendre plus attirante, justement, elle ne m’attire plus du tout. Je n’ai plus besoin de prétendre quoi que ce soit, dans le sens où je ne pense pas qu’il y ait de vérité en jeu.
 
L’expérience de la vérité, alors, ce serait l’art ?
Écrire est une extraordinaire représentation de ce problème d’entente au sujet de la vérité. Je déteste écrire parfois, mais s’entendre sur ce qui est vrai, voilà la raison pour laquelle nous avons besoin de l’art, pourquoi nous voulons toucher à l’art. C’est ce qui fait que nous sommes nombreux à vouloir créer nous-mêmes. Pour tenter d’obtenir l’accord des autres et qu’ils nous disent : Ça, c’est tellement vrai… Ainsi, entre la réalité des faits et la vérité de l’art, il y a l’identité. Ou, plus précisément, toutes nos tentatives de montrer aux autres ce que nous sommes, comme un paon étale ses plumes, à la recherche d’une confirmation, d’un accord sur notre identité qui résisterait à l’épreuve du temps.
 
La Dépendance, de Rachel Cusk, vient de paraître aux Éditions Gallimard. 208 p., 20€ en édition physique, 14,99€ en format numérique, disponible ici.
La quête de la vérité est le but même de la philosophie. Le Vrai constitue pour Platon, avec le Beau et le Bien, une valeur absolue. Mais qu’est-ce que la vérité et comment y accéder puisqu’on ne peut la confondre avec la réalité ? On se heurte à un problème de définition et de méthode. En général, on définit la vérité soit comme un jugement conforme à son objet (on parle alors de vérité-correspondance), soit comme un jugement non-contradictoire (on parle alors de vérité-cohérence ou de vérité formelle). Son caractère universel la distingue de l’opinion, toujours particulière. D’un point de vue théorique, elle s’oppose à l’erreur et à l’illusion (qui diffère de l’erreur en ce qu’elle persiste même quand elle est expliquée). La vérité a aussi un sens pratique : la véracité désigne le fait de dire la vérité qui, dans ce cas, s’oppose au mensonge. Atteindre la vérité suppose des critères pour la séparer de ce qui n’est pas elle. Lorsque la vérité se reconnaît d’elle-même, ce critère est l’évidence. Mais souvent la vérité est cachée. Dès lors, si elle n’est pas révélée comme dans la religion, elle doit être démontrée. Le scepticisme considère, lui, qu’elle est inaccessible.
Aux États-Unis, après le cas de Rachel Dolezal, c’est désormais celui de Jessica Krug qui fait grand bruit. Ce qui les unit ? Pendant des années, ces deux femmes – l’une représentante d’une association de lutte contre le racisme, l’autre professeur d’université spécialisée sur les questions raciales – se sont fait passer pour des Afro-Américaines… alors qu’elles sont parfaitement blanches. Au-delà du scandale de la supercherie, une question (soulevée explicitement par Rachel Dolezal, qui clame être « née dans la mauvaise peau ») se pose soudain : de même que d’aucuns sont transgenres, serait-il donc possible que certaines personnes soient « transraciales » ? (Contre-)argumentaire.  
La justice n’a pas reconnu l’agression sexuelle dont aurait été victime Édouard Louis en 2012. Une affaire dont le romancier avait fait le récit dans Histoire de la violence. Au-delà des faits, comment arbitrer le conflit entre vérité judiciaire, vérité d’une plainte et vérité d’un récit ? En revenant à celui dont se réclament certains protagonistes, Michel Foucault.  
À la fois professeur de littérature française et psychanalyste, Pierre Bayard est l’auteur d’une œuvre à l’ironie déroutante car elle s’attache à décomplexer le rapport que nous entretenons avec les livres. Qu’il contredise Sherlock Holmes dans L’Affaire du chien des Baskerville (Minuit, 2008) ou qu’il défie les lois de la logique en envisageant Le Plagiat par anticipation (Minuit, 2009), c’est toujours avec sérieux mais légèreté qu’il interroge la part de vérité avec laquelle joue la fiction littéraire.  
Les fictions, en littérature ou au cinéma, nous font vivre par procuration des expériences singulières qui culminent dans les dilemmes qu’affrontent les personnages. C’est ainsi que nos propres choix, en miroir, s’éclairent. Démonstration avec la spécialiste de littérature Frédérique Leichter-Flack.
Analyse des termes du sujet « Faut-il » Synonymes : est-ce un devoir, une obligation, une contrainte, une nécessité ? « préférer » Synonymes : choisir (choix exclusif ou inclusif), privilégier, favoriser… « bonheur » Termes proches : plaisir, joie, contentement spirituel, satisfaction durable et totale… « à » Le bonheur et la vérité sont deux objectifs, idéaux, valeurs… Que vaut le bonheur face à la vérité ? La vérité face au bonheur ? « vérité » Termes proches : connaissance, sincérité, honnêteté, véracité…  
Il y a de nombreux moyens pour découvrir une vérité : en prendre connaissance tout en faisant confiance aux sources de transmission, avoir une intuition intellectuelle, une expérience indubitable, voire une révélation esthétique ou mystique. Mais établir signifie la rendre accessible à tous en en déployant tous les aspects de manière vérifiable par la raison. Ici, la croyance, l’énumération, l’expérience, la vision, la conviction paraissent insuffisantes. Seule la démonstration, qui décompose et articule tous les éléments de cette vérité, serait à même de l’établir.
La Vérité, dernier film du réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda se penche à nouveau sur les secrets de famille, avec un regard sceptique sur le monde. Paré d’une distribution prestigieuse, il cherche paradoxalement les effets de vérité dans la fiction.

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