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Jusqu’à il y a une quinzaine d’années, Laurent Lhéraud attendait patiemment que sa production de cognac vieillisse pour pouvoir la vendre. « Une condition sine qua non pour faire un bon produit », dit-il, avant de préciser que, « bien sûr », cela ne suffit pas à faire « un grand cognac ». Pour lancer la production, sa banque acceptait de lui faire un prêt sur la base de ses ventes à venir. Mais pas beaucoup plus. En tout cas pas de quoi investir pour développer sa marque.
Et puis un jour, il apprend qu’un de ses confrères a trouvé le moyen de valoriser le nectar dormant avant qu’il ne soit arrivé à maturité. « On m’a dit que je pouvais obtenir un financement plus important si je mettais mon stock en garantie, explique-t-il. Ça a été un tournant : les fonds nous ont permis de doubler notre gamme de millésime. L’entreprise familiale a clairement passé un cap. »
Cette méthode de financement alternative à un prêt bancaire classique s’appelle le gage sur stock. Pour le moment, ce marché ne représente en France que 2,5 milliards d’euros d’encours de crédit garantis. Une goutte d’eau sur les 1.214 milliards d’encours de crédits aux entreprises. Mais il pourrait bien se développer dans les années à venir.
« A l’heure actuelle, le gage sur stock est au même niveau que l’affacturage il y a vingt ans », estime Arben Bora, le président d’Auxiga, leader français des tiers détenteurs. Ces intermédiaires s’assurent, pour le compte des banques ou d’autres prêteurs, que les stocks mis en garantie sont toujours là, prêts à être saisis en cas de défaut de remboursement.
Si l’affacturage fait rêver le patron d’Auxiga, c’est parce qu’en une quinzaine d’années, c’est devenu la principale source de financement des entreprises avec un marché de plus de 327 milliards d’euros, devant le découvert bancaire. En 2021, cet outil qui permet à une entreprise de toucher l’argent d’une facture avant son paiement par le client a enregistré une croissance annuelle de 12,7 % par rapport à 2020, et de 2,8 % par rapport à 2019, malgré la concurrence des prêts garantis par l’Etat, qui ont provoqué une chute du marché en 2020.
Pour les acteurs du secteur, les éléments sont réunis pour que le gage sur stock décolle à son tour. Depuis 2016, plusieurs textes législatifs sont venus en simplifier la pratique. Dernièrement, « la loi Pacte a permis une réforme du droit des sûretés dont l’ordonnance est entrée en vigueur cette année, explique Hélène Payen, avocate au cabinet Vivien & Associés qui accompagne des prêteurs. Cela a notamment élargi le panel d’actifs pouvant être mis en gage par une entreprise ainsi que supprimé des sûretés désuètes. »
Ainsi, certains éléments comme les panneaux solaires placés sur l’immeuble de bureaux d’une entreprise peuvent désormais être gagés.
Le développement du numérique pourrait également jouer un rôle. « C’est lorsque l’on n’a plus été obligé de déposer ses factures physiquement que l’affacturage a décollé, assure Benoît Robet, qui dirige la société Haro, un autre tiers détenteur qui fait le pari du tout numérique. Pour les entreprises, cela simplifie grandement les procédures. »
Enfin, les professionnels du secteur estiment qu’avec la fin des mesures de soutien de l’Etat, l’accès des entreprises au financement sera plus restreint. Le gage sur stock pourrait donc être une alternative nécessaire. Le gisement est là, selon les spécialistes du secteur, qui estiment à 700 milliards d’euros le montant total des stocks d’entreprises qui pourraient être valorisés par cette méthode. Actuellement, seuls 3 milliards d’euros de stocks sont gagés.
Le gage sur stock n’a pas vocation à remplacer les solutions de financement classiques telles que le découvert, l’affacturage ou le prêt, nuance Arben Bora. « En revanche, c’est un bon complément lorsque, par exemple, une entreprise a atteint un taux d’endettement trop important », dit-il. Revers de la médaille : le prêteur peut imposer un gage sur stock avec dépossession. Autrement dit, l’entreprise n’a plus totalement accès à sa marchandise, voire plus du tout. Une sécurité de plus pour le prêteur, mais qui rend la pilule plus difficile à avaler pour l’entreprise.
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