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Quand les employés refusent de se soumettre à leur employeur – The Conversation Indonesia

Avocat, professeur associé, spécialiste des relations numériques de travail, Sciences Po
Professeur Associé à Sciences Po, Yann-Mael Larher est également membre du conseil d'administration de l'Association Française des Docteurs en Droit, avocat fondateur du cabinet Legal Brain Avocats et de OkayDoc.fr et Conseiller Municipal Délégué au numérique à Boulogne-Billancourt.

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Popularisé sur les réseaux sociaux par les jeunes générations, le phénomène dit du « quiet quitting » ou « démission silencieuse », illustre un désinvestissement progressif des salariés au sein de leurs entreprises et une posture : celle de faire le strict minimum au travail. Cette dernière souligne une rupture profonde avec les formes de travail connues jusqu’au tournant du XXIe siècle.
Formellement, la relation de travail entérine un échange entre celui qui travaille, qui commercialise sa force de travail et la personne qui l’utilise, son employeur. Ce faisant, il se crée un lien de subordination. La subordination s’envisage traditionnellement vis-à-vis d’une personne : c’est la figure du patron. Les salariés doivent exécuter le travail demandé par ce représentant direct de l’autorité avec les moyens et le temps qui leur est imparti. Cet échange je l’ai exploré dans mon ouvrage Le droit du travail à l’heure du numérique. Sauf, que, depuis quelques années, on observe une remise en question partielle ou totale de ce lien.
Aujourd’hui, le concept de la subordination qui était en adéquation avec l’exécution du travail dans un cadre strictement hiérarchisé adapté aux usines, semble dépassé pour rendre compte de ce qui est attendu du salarié dont le travail est plus souvent intellectuel et qui doit se livrer plus souvent à des tâches discrétionnaires.
Les salariés mettent désormais en exergue le surengagement qu’ils estiment fournir et la reconnaissance de leur travail. Si cette balance est déséquilibrée, alors certains employés restituent leur niveau d’investissement professionnel à la hauteur du contrat de travail, décrypte Christophe Nguyen, psychologue du travail.

En effet, le développement des technologies de l’information et de la communication comporte des incidences sur les modes d’organisation du travail affectant le rapport classique de subordination du salarié à l’égard de l’employeur. Des auteurs comme Brigitte Pereira reconnaissent un renversement des normes. Le temps de travail devient flexible et la consécration du télétravail rend la frontière entre le salariat et le travail indépendant de moins en moins évidente.
En droit, le lien de subordination, élément essentiel de la définition du contrat de travail, est :
« caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements » selon la Cour de cassation (cass. soc. 6 juillet 1931 ; arrêt Bardou).
[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]Par ailleurs :
« La condition juridique d’un travailleur à l’égard de la personne pour laquelle il travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique du dit travailleur et ne peut résulter que du contrat conclu entre les parties ; la qualité de salarié implique nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l’emploie » ; Soc. 13 novembre 1996 Bull. civ. V n° 386).
Il existe ainsi trois critères cumulatifs : le pouvoir de direction, le pouvoir de contrôle, et le pouvoir disciplinaire (pouvoir de sanction).
Pour les caractériser, les juges ont recours à la méthode dite du faisceau d’indices. Ils observent alors l’existence de directives, de contraintes comme la fixation d’horaires mais aussi la mise à disposition au travailleur d’éléments nécessaires à l’accomplissement de la tâche, par exemple les outils de travail.
Par opposition, l’insubordination se définit comme le refus par le salarié d’effectuer une tâche prévue par le contrat, elle peut alors justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse voire pour faute grave, sans aucune indemnité.
Ainsi, dès lors qu’un salarié critique de manière les orientations stratégiques et commerciales d’un responsable, et remet en cause régulièrement son autorité sans modifier son comportement malgré plusieurs rappels à l’ordre, il est considéré comme commettant des fautes sanctionnables par un licenciement disciplinaire. (Cass. soc., 21 octobre 2020, n°19-15.453).
De même, le refus du salarié d’exécuter des heures supplémentaires car il considère que le dépassement des horaires habituels se fait sur la base du volontariat peut être qualifié d’acte d’insubordination. Il s’ensuit que le refus du salarié de les effectuer, sans motif légitime, constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, voire une faute grave (Cass. soc. 26 novembre 2003, n°01-43.140).
Finalement, selon la jurisprudence, le salarié retrouve sa capacité d’appréciation sur son travail pour refuser une tâche qui n’entre pas dans ses attributions (Cass. soc., 4 avr. 2001, n°98-45.934) ou des directives qui méconnaîtraient des dispositions légales mais ce n’est pas en aucun cas à lui de définir ses conditions, ni son rythme de travail.
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La crise sanitaire, avec le développement massif du télétravail, a révélé les forces et faiblesses des organisations de travail hybrides et des transformations des façons de travailler. Comme le soulignent Aurélie Dudézert, Fanny Gibert et Florence Laval : « 
« Avec le new normal, il convient de contrôler l’essentiel de l’activité “sans les yeux”, c’est-à-dire de s’intéresser aux résultats du travail et non aux moyens en contrôlant la réalisation de la tâche avec les outils digitaux. »
Ainsi, l’avènement de l’entreprise digitale ou de « l’entreprise intelligente », qui sait valoriser le travail en utilisant des incitations nouvelles comme la flexibilité, brouille les frontières de la subordination et bouleverse les modes de diffusion des informations – désormais horizontales – et les modes de commandement à l’intérieur des organisations. Cette nouvelle perspective est fondamentale pour comprendre les enjeux à l’œuvre : l’entreprise n’est plus perçue comme un équilibre des intérêts individuels (matérialisé par le contrat de travail), mais comme un environnement qui doit permettre à l’individu d’évoluer.
En ce qu’elle se révèle très propice à une organisation du travail par projet à distance, la transformation numérique alimente cette dynamique. Ce phénomène croissant impose aux organisations de s’adapter et de revoir certains fondamentaux pour manager leurs équipes, tout en assurant une bonne qualité de vie au travail en rendant le cadre du travail parfois plus informel et plus libre. La relation employeur-travailleur devient ainsi plus horizontale et moins compatible avec la subordination à une autorité hiérarchique.
Le droit du travail est basé sur une défiance réciproque entre le salarié et l’entreprise puisque le salarié est la partie faible et l’employeur la partie forte. Or, les nouvelles pratiques de management ébranlent la notion originelle de subordination où un salarié apporte sa force de travail en contrepartie d’un travail subordonné et où l’entreprise détient le capital.
Dès lors que le manager hiérarchique n’est pas nécessairement le chef de projet, il ne contrôle plus directement les directives à exécuter et leur bonne exécution. Le salarié est plus autonome, il doit faire preuve de créativité et se livre plus souvent à des tâches discrétionnaires.
Le contrôle de l’exécution se réduit progressivement à un contrôle des livrables. On transforme progressivement l’obligation de moyens en une obligation de résultats. D’ailleurs, même les modes de rémunération reflètent cette évolution. Le salaire ne répond alors plus aux besoins des managers de l’économie numérique qui souhaitent impliquer les salariés par des rémunérations plus incitatives en supportant ainsi une partie des risques de l’activité.
Attention toutefois, la crise sanitaire a également révélé une dichotomie croissante entre les travailleurs et entre les usages numériques dans les entreprises. Si certains peuvent désormais poursuivre leur activité chez eux de façon plus autonome, d’autres doivent continuer à se rendre quotidiennement sur leur lieu de travail, parfois en étant très exposés comme les livreurs. Les travailleurs intermédiaires et les cadres ne sont pas à l’abri du développement des dispositifs de surveillance.
Les solutions informatiques d’encadrement, de cadencement, de surveillance et d’évaluation du travail s’exportent dans de nombreux secteurs d’activité, que ce soit dans l’industrie ou dans les services, avec un renforcement de la subordination pour les travailleurs au bout de la chaîne. Une nouvelle forme de subordination est alors établie. Pour tous, le numérique rend en effet possible une surveillance accrue par le biais d’algorithmes, de la géolocalisation ou encore par des phénomènes de télésurveillance ou téléprésence bien souvent en contradiction avec les principes de la proportionnalité des moyens de contrôle et des impératifs de protection de la vie privée.
Au regard de l’usage croissant des TIC par le salarié, la jurisprudence s’efforce d’encadrer le rapprochement technologique entre sphère privée et professionnelle, pour préserver le droit au repos du salarié et limiter dans le temps et dans l’espace la subordination.
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En effet, les TIC permettent de maintenir un lien permanent entre le salarié et son travail, comme si le lien de subordination se prolongeait jusqu’à s’immiscer dans la vie privée du salarié. Pour éviter que les technologies ne maintiennent ce lien constant entre l’employeur et le travailleur, la Cour de cassation a reconnu le droit à la déconnexion. Elle a par exemple admis que le refus par un ambulancier de répondre aux appels téléphoniques de son employeur en dehors de son temps de travail ne justifie pas un licenciement pour faute (Cass. soc. 17 février 2004, n°01-45.889).

En définitive, les évolutions du travail en cours montrent de nombreux paradoxes. C’est à la fois plus d’autonomie et de nouvelles formes de subordinations, avec de nouvelles divergences et de nouvelles convergences… La notion de subordination centrale dans les organisations de travail inventée au siècle dernier n’apparaît plus suffisante pour appréhender toute la variété des situations de travail pour lesquelles elle a été inventée. Il y a peut-être un nouvel équilibre à inventer entre les règles anciennes qui ne protègent pas toujours au mieux les travailleurs du numérique qui réclament plus d’autonomie et des nouveaux moyens de contrôle qui font peser des risques nouveaux. À mesure que la technologie et les usages évoluent, le cadre de régulation doit évoluer aussi.
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