La série, diffusée sur Amazon Prime, nous plonge dans un futur à la fois plausible et terrifiant. Que se cache-t-il derrière notre attrait pour des univers si déprimants ?
FIN DU MONDE – Le premier épisode de la série The Last of Us s’ouvre sur un débat télévisé entre deux scientifiques. Le sujet : la probabilité d’une pandémie foudroyante, causée par une mutation due au réchauffement climatique, qui détruirait l’humanité. Le reste de l’épisode voit la théorie du plus pessimiste se réaliser et le téléspectateur est rapidement transporté dans un monde postapocalyptique, où tout espoir semble perdu.
La dernière série star d’HBO, diffusée en France sur Prime Video et adaptée du jeu vidéo du même nom, s’inscrit dans une lignée de récits dystopiques et postapocalyptiques qui envahissent le petit écran. Il y a eu The Walking Dead, et sa cousine Fear the Walking Dead, The 100, ou encore plus récemment Station Eleven. Pandémie, crise climatique ou nucléaire… Toutes semblent résonner d’une manière ou d’une autre avec l’actualité et les angoisses qu’elle peut engendrer.
Qu’une époque anxiogène donne naissance à des œuvres de fiction tout aussi anxiogènes n’a rien de nouveau. Les cycles de création de récits dystopiques ou postapocalyptiques suivent d’ailleurs de près les crises majeures, qu’il s’agisse du Meilleur des Mondes, d’Aldous Huxley, écrit en 1931, en pleine dépression ; de 1984, de George Orwell, publié en 1948, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale et au début de la Guerre Froide ; où de la flopée de films « postapo » sortis après le 11 septembre 2001.
« Le propre de la dystopie c’est qu’en dépeignant un futur sombre et plausible, on met en fiction des problèmes qui traversent notre société, explique Marine Malet, enseignante-chercheuse à l’Université Panthéon-Assas et autrice d’une thèse sur les séries télévisées dystopiques. Cela permet de faire naître des discours politiques sur notre présent, tout en retranscrivant des angoisses qui sont propres à notre époque. »
Si l’on peut comprendre l’attrait de la dystopie pour des créateurs souhaitant explorer, à travers la fiction, des préoccupations bien réelles, comment expliquer l’enthousiasme du public à l’idée de se plonger dans un imaginaire aussi anxiogène ? Pourquoi nous prenons-nous de passion pour un univers dévoré par une pandémie, alors que nous venons nous-mêmes d’en traverser une avec le Covid-19 ?
Ces questionnements sont au cœur du travail de Mathias Clasen, chercheur danois à l’université d’Aarhus et créateur du Recreational Fear Lab, le laboratoire de la « peur récréative ». Il y étudie « toutes les activités où la peur est une source de plaisir », qu’il s’agisse de maisons hantées, de films d’horreur, ou de récits postapocalyptiques. « La peur récréative est omniprésente et très répandue, tout en étant sous-étudiée, explique-t-il au HuffPost. Beaucoup des premières activités auxquelles les enfants sont exposés sont des peurs récréatives, comme lorsqu’on les jette dans les airs avant de les rattraper, ou lorsqu’on joue à leur faire ‘coucou’ en se cachant derrière nos mains. Il y a tellement de domaines dans la vie où les gens sont à la recherche d’expériences terrifiantes pour en retirer du plaisir. »
Derrière cette quête d’effroi, se cachent une expérience sociale (on aime voir les films d’horreur et visiter des maisons hantées entre amis) mais aussi l’intuition, souvent subconsciente, qu’avoir peur peut nous faire du bien. « C’est dans notre nature de trouver du plaisir dans la peur récréative, parce que c’est bon pour nous, explique Mathias Clasen. Jouer avec la peur nous permet de mieux la réguler. Je pense que la plupart des gens saisissent ça, sans même en avoir conscience. »
Être attiré par des récits qui nous terrifient est un paradoxe que l’on retrouve même chez certaines personnes souffrant d’anxiété. Nora, 36 ans, est « très angoissée » par l’idée d’un effondrement. Elle consomme pourtant beaucoup de récits postapocalyptiques, « en bouquins, en films, en séries », même quand elle sait « qu’ils ne donnent aucun espoir ». « Je me disais que regarder des œuvres qui parlent de ça me mettrait dans des états de dépression intenses, mais en fait, pas du tout, analyse-t-elle. Il y a quelque chose d’apaisant à voir la chose se produire sur sa télé et dans un livre. »
Une forme de thérapie d’exposition qui n’est pas rare chez les fans du genre. « Il y a une proportion surprenante de fans de l’horreur qui souffrent d’anxiété ou de dépression, commente Mathias Clasen. Le problème, quand on souffre d’anxiété, est qu’on vit dans une brume de mauvaises émotions : on ne sait pas d’où elles proviennent, et on a l’impression de n’avoir aucun contrôle sur elles. Mais quand on choisit de regarder un film terrifiant, on sait exactement d’où vient ce nœud dans notre estomac. C’est à cause du film, et on est au contrôle : on peut éteindre sa télé ou quitter le cinéma. »
Un moyen aussi de rendre fictif et donc plus lointain un scénario qui nous hante ? « Lire des craintes et des angoisses très présentes sur le mode de la fiction peut aussi permettre de les mettre à distance », analyse Marine Malet. Plusieurs fans du genre citent d’ailleurs ce raisonnement. Tous les ans, Sophie regarde un film postapocalyptique avec son mari pour le Nouvel An – une façon pour elle « de commencer l’année en se disant que ça pourrait être pire ». Quant à Lars, autre fan du genre, il estime que les récits « postapo » rendent « la situation réelle moins anxiogène, car on mesure l’écart entre la pire situation possible et la réalité ».
Mais comme le rappelle Mathias Clasen, « même si on sait intuitivement qu’un film terrifiant peut nous faire du bien, la plupart des gens ne vont pas voir un film en se disant ‘ça sera bon pour ma santé mentale’, ils se disent ‘ce sera fun’. » Et si les films postapocalyptiques sont si « fun », c’est aussi parce qu’ils font appel à quelque chose de primaire en nous. « Au moment où je vous parle, je suis dans mon bureau, j’ai des exams à corriger, des données à inventorier, décrit le chercheur danois. C’est plus ou moins ça mon quotidien, c’est assez banal et ennuyeux. Mais maintenant, imaginons que nous sommes dans un monde où la règle, c’est ‘tuer ou se faire tuer’, où je dois risquer ma vie pour défendre ma famille. Il y a quelque chose d’attirant dans notre société postindustrielle, à se placer, à travers l’imagination, dans un scénario primitif et rudimentaire, qui nous semble d’une certaine manière plus authentique. »
Dans une interview sur YouTube, Anne-Lise Melquiond, autrice de l’essai Apocalypse Show, quand l’Amérique s’effondre (éd. Playlist Society), évoque un retour à une mythologie américaine très classique : « Avec la question de l’apocalypse et de la fin d’un monde […], on est à nouveau dans la question du déplacement de la Frontière, la question des pionniers. […] Sous couvert de reconstruction, on ne fait que rejouer des choses qui sont anciennes », explique-t-elle.
La chercheuse évoque aussi l’attrait esthétique, et intrinsèquement cinématographique, de l’apocalypse. En ouverture de son essai, elle cite le philosophe et critique d’art Walter Benjamin qui disait : « L’humanité est devenue assez étrangère à elle-même pour réussir à vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de premier ordre. » Cette jouissance esthétique est citée par de nombreux fans, et on la retrouve dans The Last of Us, où l’on s’attarde sur de superbes plans de la ville de Boston, détruite et dévorée par une végétation qui a repris ses droits.
Si la destruction est souvent belle dans les œuvres postapocalyptiques, elle peut aussi être cathartique. « Ces œuvres permettent d’exprimer toute la violence des sentiments qu’on peut avoir à l’égard de la société », estime Danièle André, maîtresse de conférences en civilisation et cultures populaires états-uniennes à l’université de La Rochelle. « Finalement est-ce si grave si la société dans laquelle on meurt, si on peut en reconstruire une derrière ? Et c’est peut-être ça l’espoir : qu’on puisse reconstruire sur une table rase, reconstruire sur ce qui reste », poursuit-elle. « Il y a une ambivalence dans le rapport à ces récits : d’un côté on regrette l’effondrement de notre civilisation, de l’autre on se dit qu’on peut rebâtir un nouveau monde », abonde Mathias Clasen.
Une lueur d’espoir toute relative, qui est présente dans de nombreux récits postapocalyptiques, que ce soit à travers des communautés qui continuent à faire vivre l’art, comme dans Station Eleven, où à travers un personnage qui pourrait être la clé pour combattre une pandémie, comme dans The Last of Us. Dans l’obscurité, une once d’humanité persiste presque toujours dans ces récits, et c’est sûrement aussi ça qui fait qu’ils nous passionnent autant.
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