Entendre son chat ronronner, se promener avec un chien, caresser un cheval et même un lama… Selon des scientifiques et des psychiatres, le contact des animaux aurait des bienfaits physiques. Notamment auprès des personnes âgées, autistes ou atteintes d'Alzheimer.
Par Valérie Sarre
« Mon chien constitue pour moi un véritable point d'ancrage dans l'ici et le maintenant. C'est un phare, un repère qui me rappelle au quotidien ce qui est essentiel », s'enthousiasme Jean-Marie. Ces paroles, qui peuvent surprendre de la part d'un ancien DRH d'une multinationale, heureux « propriétaire » de Reggae, un jeune bouvier bernois de 2 ans, exprime ce que beaucoup ressentent : l'animal dit « de compagnie » nous accompagne tant au quotidien qu'il peut même organiser et rythmer nos vies.
Plusieurs études montrent d'ailleurs l'impact positif de la présence d'un animal. Selon celle publiée en 2019 dans le journal de l'American heart association , les propriétaires de chiens voient leur risque de mortalité baisser de 24 % et celui de subir une attaque cardiaque de 31 %. Le Covid n'a fait que renforcer l'expérience. À soi ou aux voisins, le chien a permis aux confinés des villes, mais aussi des campagnes, de prendre l'air régulièrement. C'est un de ses atouts : il nous fait faire un peu d'exercice. « Depuis l'épidémie, on constate une prise de conscience forte de tout ce que les animaux de compagnie peuvent nous apporter », souligne Magali Gavaret, directrice de la communication et RSE de Purina France. Et leur nombre ne cesse d'augmenter.
Selon Statista, plus de la moitié des Français déclarent posséder un animal de compagnie et 18 % de ceux qui n'en n'ont pas encore pensent en acquérir un. Les chats (15 millions) et les chiens (8 millions) arrivent en tête des animaux préférés devant le cheval et dauphin ! On recense au total, selon la Fédération européenne de l'industrie des aliments pour animaux familiers, 80 millions d'animaux de compagnie en France, dont les poissons (32 millions), les poules (12 millions), les oiseaux (5 millions), les petits mammifères type souris et hamsters (4 millions), mais aussi des lézards et autres reptiles (2 millions) et quelque 700 000 chevaux et poneys.
Pesant près de 5 milliards d'euros en France, les entreprises du secteur ont bien compris l'intérêt de ces recherches qu'elles financent en grande partie, souligne le sociologue Jérôme Michalon. Pour autant, ces études ont clairement permis d'identifier de nombreux bienfaits physiques : rythme cardiaque ralenti ; hormone du stress (cortisol) abaissée lorsque l'on caresse la fourrure d'un animal ; tension artérielle équilibrée ; augmentation des hormones de bien-être comme l'endorphine ou celle de l'attachement comme l'ocytocine. Des bienfaits que certains prolongent même au bureau (voir encadré).
Au-delà du plaisir du toucher, celui simplement d'observer un animal se révèle déjà bénéfique. Trois chercheurs japonais ont ainsi démontré en 2009 (1) que lorsqu'un chien et son maître se regardent pendant de longues secondes, « leur taux d'ocytocine augmente conjointement de manière significative », explique Laurence Paoli dans son livre Quand les animaux nous font du bien. C'est cette hormone qui nous permet d'abaisser notre niveau de stress et de tisser des liens affectifs, comme entre un bébé et sa mère. Même regarder des poissons dans un aquarium aurait cet effet !
« Ma fille Alice, tout juste âgée d'un an, et notre chat Gustave aiment se regarder les yeux dans les yeux, raconte Marie, la maman. C'est assez étonnant de les voir ainsi, comme s'ils s'étaient apprivoisés par les yeux. » Les chevaux aussi ont un regard étonnant. « Leurs grands cils et leurs grands yeux ronds dans lesquels on peut se refléter fascinent », note Catherine Mercier, psychologue et thérapeute par le cheval. « Le regard des animaux m'interpelle, confie Ariel, professeur de philosophie en classe préparatoire et propriétaires de trois chats. Lors d'un voyage en Afrique du Sud, j'ai échangé un long regard avec une lionne installée sous son arbre. C'était troublant… »
Selon une étude publiée en 2019, les propriétaires de chiens voient leur risque de mortalité baisser de 24 % et celui de subir une attaque cardiaque de 31 %.
Décidément salutaires, les chats disposent d'une spécialité en plus : le ronronnement. Le vétérinaire Jean-Yves Gauchet a d'ailleurs inventé l'expression « ronronthérapie » pour évoquer ses bienfaits. « A fracture égale, un chat se rétablit trois fois plus vite qu'un autre animal grâce aux vibrations de son ronronnement », explique-t-il. Ces vibrations à basse fréquence – entre 20 et 140 hertz – déclencheraient aussi la production d'endorphine et de sérotonine, dont profitent les humains à leur contact.
« À la suite de mon cancer du sein, raconte Sabine, mon chat Berlioz, un chartreux peu câlin, s'est soudainement rapproché de moi pour se coller sur ma poitrine, comme s'il me pansait. Cela a duré le temps que j'aille mieux, puis il a repris ses distances. » Les animaux sont-ils médiums ? « Disons qu'ils possèdent cette extrême sensibilité aux changements de fréquences qui leur permet par exemple, d'anticiper un tremblement de terre. C'est cette acuité qui leur permet de capter nos changements d'humeur », explique Lisa, journaliste, cavalière et énergéticienne. Ariel confirme : « Mon chat Max sent tout de suite si j'ai un coup de blues ! Il vient se blottir contre moi et ronronne comme un fou… »
Alors forcément, on s'y attache. Même si cela n'était pas prévu. « Nous avons trouvé Pioute, une petite moinette, tombée du nid, sur un trottoir le long du parc des Buttes- Chaumont, raconte Stephan, journaliste. Dix ans plus tard, elle fait partie de la famille ! ». Des rituels, tel celui du petit-déjeuner se sont instaurés. Pioute picore des miettes à ses côtés et l'accueille avec ses piaillements joyeux lorsqu'il rentre chez lui. « Quand je travaille sur mon ordinateur, comme elle est en liberté dans mon bureau, elle a pris l'habitude de se poser sur ma main ou dans mon cou, puis elle s'endort », raconte-t-il attendri. « Je ne peux imaginer ma vie sans les animaux », déclare, quant à elle, Yolaine de la Bigne, animatrice du site d'informations l'animal et l'homme. « Les animaux sont une arme redoutable contre la solitude. C'est aussi une grande source de bonheur de les observer dans toute leur majesté », résume-t-elle.
L'attrait croissant pour les animaux correspond aussi à cette quête de bien-être, de retour à l'essentiel qui traverse nos sociétés. L'animal peut alors devenir un puissant substitut d'un manque d'affection. « Le chien, connu pour sa fidélité, nous offre une forme d'amour inconditionnel, souligne la psychanalyste Laurence Lacour. Avec l'animal, nous sommes dans la gratuité du lien. Quelque chose en nous se détend, nos défenses tombent et cela constitue une sacrée économie d'énergie, contrairement à nos relations humaines souvent épuisantes ! » C'est ce que Jean-Marie apprécie aussi chez ses deux bouviers bernois : « Une relation sans faux-semblants, franche et directe. Un chien ça ne se prend pas la tête sur des systèmes de valeurs complexes ! »
Autre atout : l'animal ne parle pas… Du moins pas comme nous. C'est paraît-il ce que Karl Lagerfeld appréciait chez sa chatte Choupette. Les enfants aussi. « Les jeunes enfants reconnaissent chez l'animal un être vivant qui comme eux ne parle pas, souligne Marine Grandgeorge, éthologue et chercheuse à l'université de Rennes. Leur côté animé et multisensoriel les attire. Ensemble, ils inventent un autre langage, fait de gestes, de regards, de jeux. » L'animal devient alors un compagnon et même un confident qui ne les grondera jamais pour une mauvaise note ! D'où son effet très bénéfique sur des enfants autistes par exemple.
Sept animaux à la tête d'une véritable fortune
La bête sautillante et sympathique apporte aussi sa joie. « Il me fait tellement rire, reconnaît Léa, 31 ans, lorsqu'elle parle de Marcel, son jeune teckel nain. Je connais toutes ses mimiques, et je ne m'en lasse pas ! » Ce côté juvénile réveille sans doute notre âme d'enfant. Avec un animal, on s'autorise à régresser. D'où l'immense succès sur les réseaux sociaux des vidéos ludiques mettant en scène toutes sortes d'animaux. « Le fait de visionner ces images procure aussi un effet apaisant », souligne Marine Grandgeorge. Kiki the fox avec ses 2,1 millions de vues sur Tiktok n'a pas fini de couiner sur la toile…
Après avoir utilisé l'animal pendant des siècles pour son énergie motrice, aujourd'hui c'est sa sensibilité qui nous attire. On est loin du concept de « l'animal machine » prôné par Descartes au XVIIe siècle. « La recherche nous a appris que les animaux vertébrés étaient eux aussi dotés d'un système limbique qui leur permet d'éprouver des émotions, telles la peur, l'affection, l'empathie, tout comme nous », explique Georges Chapouthier, biologiste et philosophe, chercheur émérite au CNRS et auteur de Sauver l'homme par l'animal. En France, cette sensibilité animale a d'ailleurs été intégrée, en 2015, dans notre Code civil. Aux Etats-Unis, dans les années 1960, le psychanalyste Boris Levinson théorisa le premier ce sujet grâce à son chien Jingles. Enfant autiste qui refusait tout contact, le petit Johnny s'était un jour spontanément approché de lui, se laissant lécher le visage et le caressant en retour. Les parents n'en revenaient pas…
Et ce potentiel ne s'arrête pas aux animaux de compagnie traditionnels. Soixante ans plus tard, Benjamin amène régulièrement Jules, un vrai lama comme on en voit dans la pampa argentine, au service de gériatrie de l'hôpital Clemenceau de Toulon.« Simone, âgée de 91 ans, ne sait plus quel jour nous sommes. En revanche, elle sait que c'est le jour du lama ! », raconte Nathalie, aide-soignante en Ehpad. « L'animal fait appel à des zones archaïques du cerveau au même titre que la musique. Les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer vont ainsi se reconnecter à leurs souvenirs. Au contact de l'animal, c'est tout un mode sensoriel qui se réveille », explique Boris Albrecht, directeur de la Fondation Adrienne et Pierre Sommer qui en vingt ans a financé à hauteur de 10 millions d'euros de nombreux projets.
Le cheval ne soigne pas, mais c'est un médiateur qui va révéler nos émotions enfouies.
Benjamin, qui a créé en 2015 Var Lamas, le constate à chaque visite. « Certaines personnes qui ne bougent plus vont faire l'effort de se lever et de s'habiller pour descendre au salon afin de brosser et de câliner Jules », explique-t-il. Elles sont à la fois impressionnées et attirées par « sa laine de peluche et son regard de biche. Le flegme de Jules les apaise, les réconforte et souvent une émotion forte qu'ils n'avaient pas ressentie depuis longtemps ressurgit. »
On l'appelle « docteur Peyo », ce cheval alezan qui depuis dix ans promène sa fière allure, sabots lustrés et crinière tressée, dans les maisons de retraite ou les services de soins palliatifs. « C'est lui qui choisit dans quelle chambre il entre », explique son propriétaire Hassen Bouchakour, fondateur de l'association Les Sabots du coeur. Peyo se dirige vers la personne alitée, approche son bout de nez vers elle, la sent, et se laisse caresser. « La personne est surprise, puis son regard s'illumine, raconte Sandrine, aide-soignante à l'Ehpad de la Chartreuse à Dijon. Certains se remettent même à parler. » Les chevaux ont « une forme de clairvoyance qui leur fait ressentir ce que nous éprouvons », souligne Catherine Mercier, psychologue et thérapeute par le cheval. Churchill, ne disait-il pas déjà : « L'extérieur du cheval exerce une influence bénéfique sur l'intérieur de l'homme. »
Le cheval, meilleur coach de l'homme
Le succès de l'équithérapie n'est pas un hasard. « Maintenant que le cheval n'est plus utile, écrit l'écrivain Jérôme Garcin, il est devenu nécessaire. » Même en prison. Catherine Mercier a été l'une des premières en France, en 2008, à y faire entrer ses équidés. Grâce au documentaire Les Caresses de l'ombre, réalisé par Danièle Alet à la prison pour femmes de Rennes, on découvre des détenues qui apprennent à apprivoiser le cheval. L'idée est de recréer du lien, retrouver la confiance perdue pour préparer leur sortie. « Le cheval ne soigne pas, précise Catherine Mercier, mais c'est un médiateur qui va révéler nos émotions enfouies. C'est au thérapeute d'utiliser cela pour faire prendre conscience à la personne de ses blocages afin qu'elle essaie de les surmonter ». Aujourd'hui, on estime à 80 % le nombre d'établissements pénitentiaires en France qui pratiquent la médiation animale.
Redonner confiance, c'est aussi le travail de Lol. Ce labrador noir, qui exerce depuis trois ans, le nouveau métier de « chien d'assistance judiciaire ». Financé par la Fondation Sommer et formé par l'Association Handi'Chiens, il aide en particulier les mineurs victimes de viols à raconter ce qui leur est arrivé, puis à témoigner à l'audience. « Pour la personne traumatisée, parler s'avère presque impossible. La présence rassurante et protectrice de Lol, assis à ses pieds, le fait de lui tenir la patte et de le regarder, l'aide à s'exprimer », explique Boris Albrecht. Souvent d'ailleurs, c'est à Lol que la victime se confie.
Dans notre société où l'on peut se sentir facilement « hors-sol », les animaux ont cette capacité innée à nous relier au monde vivant. « L'humanité n'est pas seulement l'affaire des humains, c'est aussi celles de tous les êtres sensibles », comme le souligne Norin Chai, ancien vétérinaire du Jardin des plantes à Paris, dans son livre Sagesse animale. « L'homme doit retrouver ses aptitudes émotionnelles et empathiques animales, qui ont été bien négligées par nos sociétés », défend Georges Chapouthier. Nous les « deux pattes » comme disait Colette, avons sûrement encore à ré-apprendre de ces autres vivants…
Valérie Sarre
(1) « Attachements between humans and dogs », publiée dans le journal « Psychological research en décembre 2009 »
C'est la nouvelle mode, a fortiori depuis le confinement. « Avant, cela ne concernait que les professions libérales ou les chiens du patron ! », explique Magali Gavaret, directrice de la communication et RSE de Purina France, qui a lancé en 2016 le programme « Pets at work » pour encourager les entreprises à accueillir les chiens. Quand Yvan entre en réunion avec Tempo, son labrador de 6 mois, l'ambiance se détend instantanément. « Des personnes qui ne se parlaient pas entrent ainsi en contact », souligne Magali. Chez Purina, les photos des 50 chiens inscrits au programme, figurent sur un tableau dédié avec leur nom et celui de leur maître. « Nous avons créé un calendrier en ligne, pour ceux qui se proposent de garder un chien pendant que son maître déjeune à la cantine. C'est un succès ! » Depuis 2016, l'entreprise a aidé 25 sociétés françaises à passer le cap. A qui le tour ?
Valérie Sarre
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