Prenant prétexte des difficultés actuelles de recrutement, le gouvernement entend moduler les conditions d’indemnisation des chômeurs en fonction de la conjoncture… Au risque d’aggraver la situation des plus précaires.
L’été doit être une saison propice pour tous ceux qu’une réforme de l’assurance chômage démange. La nouvelle convention de l’assurance chômage signée en 2017 par les partenaires sociaux était à peine sèche qu’en août 2018, Muriel Pénicaud, la ministre du Travail de l’époque, les invitait, en pleine torpeur estivale, à revenir à la table des négociations pour réaliser de substantielles économies, sous couvert de favoriser un retour à l’emploi rapide. On connaît la suite. Devant l’échec programmé d’une telle gageure, le gouvernement a « repris la main » et imposé la réforme de l’assurance chômage la plus sévère à ce jour.
Même impression de déjà vu le 14 juillet dernier. A la surprise générale, le chef de l’Etat annonçait dans son allocution télévisée vouloir aller plus loin que la toute récente réforme de l’assurance chômage de 2019, progressivement entrée en vigueur en 2021, crise sanitaire oblige. Aujourd’hui, un projet de loi sera présenté en conseil des ministres et examiné par les députés dès la première semaine d’octobre, afin que les règles d’indemnisation soient une nouvelle fois modifiées avant la fin de l’année.
L’été doit être une saison propice pour tous ceux qu’une réforme de l’assurance chômage démange. La nouvelle convention de l’assurance chômage signée en 2017 par les partenaires sociaux était à peine sèche qu’en août 2018, Muriel Pénicaud, la ministre du Travail de l’époque, les invitait, en pleine torpeur estivale, à revenir à la table des négociations pour réaliser de substantielles économies, sous couvert de favoriser un retour à l’emploi rapide. On connaît la suite. Devant l’échec programmé d’une telle gageure, le gouvernement a « repris la main » et imposé la réforme de l’assurance chômage la plus sévère à ce jour.
Même impression de déjà vu le 14 juillet dernier. A la surprise générale, le chef de l’Etat annonçait dans son allocution télévisée vouloir aller plus loin que la toute récente réforme de l’assurance chômage de 2019, progressivement entrée en vigueur en 2021, crise sanitaire oblige. Aujourd’hui, un projet de loi sera présenté en conseil des ministres et examiné par les députés dès la première semaine d’octobre, afin que les règles d’indemnisation soient une nouvelle fois modifiées avant la fin de l’année.
1/ Des partenaires sociaux squeezés
Mais pourquoi l’exécutif choisit-il cette fois d’en passer par la loi ? Pour garder la main sur l’assurance chômage, processus déjà bien engagé, l’exécutif peut procéder par décret sous réserve de respecter un certain nombre de règles : produire un rapport annuel sur la gestion de l’assurance chômage à transmettre au parlement – ce qu’il n’a pas fait –, envoyer une lettre de cadrage aux partenaires sociaux – ce qu’il n’a pas fait non plus après l’annonce d’Emmanuel Macron de juillet –, puis entamer une négociation qui dure en général quatre mois… En cas d’échec, le gouvernement peut alors se réapproprier le gouvernail en toute liberté.
« Cette situation d’urgence qui oblige à légiférer n’est due qu’à la carence d’une disposition que l’Etat a lui-même votée en 2018, constate l’économiste Bruno Coquet, spécialiste des questions d’emploi et de chômage. Il n’a pas fait son boulot en matière de gouvernance. Résultat, il est obligé d’en passer par la loi pour l’autoriser à prolonger – par décret – jusqu’à fin 2023 les règles actuelles d’indemnisation, qui se terminent le 31 octobre. »
Le projet de loi ouvre pour le gouvernement la possibilité d’instaurer de nouvelles règles sans recourir à la négociation
Le projet de loi a aussi pour objectif de faire courir jusqu’à fin août 2024 l’application du bonus-malus pour les entreprises qui recourent aux contrats courts.
Surtout, il ouvre pour le gouvernement la possibilité d’instaurer de nouvelles règles sans recourir à la négociation. Peu importe que la précédente réforme n’ait fait l’objet d’aucune évaluation. L’exposé des motifs qui accompagne le texte a beau concéder noir sur blanc une « absence de recul quant aux effets mêmes des règles actuelles », l’urgence commande quand même de changer les règles d’indemnisation tout en « squeezant » une nouvelle fois les partenaires sociaux.
Car une simple concertation, soit une série de consultations rapides avec les organisations syndicales et patronales, pourrait suffire à boucler l’affaire. D’autant que la perspective d’une négociation en bonne et due forme semble mal emmanchée. Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef, a d’emblée déclaré que c’était à l’Etat de s’emparer du sujet, les divergences de vue entre partenaires sociaux empêchant toute perspective d’accord. L’U2P, qui représente les petites entreprises, a laissé entendre une voix discordante :
« Remettre directement les clés de l’assurance chômage à l’Etat en lui confiant la responsabilité de décider par décret du cadre d’indemnisation des périodes non travaillées, serait de nature à abandonner une mission phare des partenaires sociaux avec le risque d’aboutir à des disposions non adaptées aux TPE », a souligné l’organisation patronale dans un communiqué.
De leur côté, les organisations syndicales ont unanimement réaffirmé leur opposition au nouveau projet.
« Nous l’avons répété en réunion bilatérale avec le ministère du Travail, explique Denis Gravouil, en charge du dossier assurance chômage à la CGT. Nous sommes formellement contre toute nouvelle baisse des droits des demandeurs d’emploi. »
Laurent Berger, à la tête de la CFDT, ne dit pas autre chose dans Le Monde. Introduire une forme de modulation des droits en fonction de la conjoncture, « ça n’a pas de sens, ça relève de la pure idéologie et c’est inefficace. Nous ne négocierons pas là-dessus ».
2/ Une assurance chômage déjà contra-cyclique
Car c’est bien de cela dont il est question. « Quand ça va bien, on durcit les règles et, quand ça va mal, on les assouplit », a résumé Olivier Dussopt dans un entretien au Parisien le 27 juillet. Le ministre du Travail s’inspire ainsi largement d’une note du Conseil d’analyse économique rédigée en 2021 par Camille Landais, Stéphane Carcillo et Pierre Cahuc. Les trois économistes considèrent que les règles de fonctionnement de l’assurance chômage ne sont plus adaptées au marché du travail actuel et qu’elles font exception aux autres pays.
Ils préconisent de revoir la gouvernance de l’assurance chômage dont le budget serait intégré dans la loi de financement de la Sécurité sociale, mais aussi un pilotage de long terme avec un ajustement des conditions d’éligibilité et de durée d’indemnisation en fonction d’indicateurs de l’activité économique. Des systèmes qui existent aux Etats-Unis et au Canada.
« Les évaluations disponibles indiquent que ces règles sont efficaces, car elles indemnisent mieux lorsqu’il est plus difficile d’accéder à l’emploi. En outre, elles accentuent la contra-cyclicité des dépenses d’indemnisation favorisant ainsi la stabilisation de l’activité », écrivent les économistes dans la note.
Ces modèles fonctionnent-ils pour autant ? « La bonne pratique canadienne, c’est le rapport produit tous les ans sur la situation de l’indemnisation. Pour ce qui concerne les modulations en fonction des taux de chômage selon les territoires, c’est une véritable usine à gaz mais rien ne prouve que ça produit les effets positifs attendus », tempère Bruno Coquet, qui considère que le modèle américain est beaucoup plus intéressant :
« Aux Etats-Unis, il n’y a que des extensions de droits quand la conjoncture se dégrade. Le système aide les chômeurs à passer un mauvais cap. Mais on ne retourne pas en arrière quand la conjoncture s’améliore. Et c’est cela qui est le plus efficace. »
Ces nouvelles règles vont frapper encore plus durement des chômeurs qui ne perçoivent déjà aucune allocation
Où le gouvernement compte-t-il placer les curseurs ? Le risque est que l’amélioration des droits ou au contraire leur durcissement ne prennent comme base de départ les règles actuelles qui touchent déjà durement les chômeurs les plus précaires.
Selon les déclarations d’Olivier Dussopt, le ministre du Travail, il ne s’agirait pas de toucher au montant des allocations mais de jouer sur la durée d’indemnisation. Mais même si la conjoncture est bonne et que le taux de chômage baisse, que faire des salariés qui continuent d’être licenciés en nombre ? Bruno Coquet pointe en effet la singularité de la période :
« Normalement, en phase de croissance, les salariés quittent leur emploi pour en prendre d’autres. Ce phénomène de “grande démission” qu’il faut relativiser a d’ailleurs beaucoup été commenté. Mais nous connaissons, et c’est inédit, à la fois un nombre important de départs volontaires, mais aussi de licenciements. On s’explique beaucoup moins cette dernière tendance. Il faut s’interroger sur l’efficacité et les risques de mettre en place une telle mesure en ce moment »
Des arguments que balaie l’économiste Stéphane Carcillo :
« Il n’y a pas de mauvais moment pour appliquer cette modulation. Quand l’économie ralentit, les règles peuvent être plus protectrices. On peut par exemple repasser de six à quatre mois de travail nécessaires pour avoir accès à l’assurance chômage, voire être indemnisé plus longtemps. Le premier objectif à garder en vue doit être le maintien du revenu de remplacement et il faut moins insister sur le retour à l’emploi. Mais lorsque le marché est porteur, on peut considérer qu’en moyenne, les personnes vont retrouver un emploi plus facilement, même si les droits sont moins élevés ».
Certes, l’assurance chômage est par nature contra-cyclique. Mais lorsque l’activité repart, ce sont les chômeurs indemnisés qui retrouvent un job. Sachant que seuls 36 % des inscrits à Pôle emploi perçoivent une allocation, et que leur nombre ne cesse de baisser au fil des réformes qui ont restreint les droits, ces nouvelles règles vont frapper encore plus durement des chômeurs qui ne perçoivent déjà aucune allocation. « L’objectif n’est pas de favoriser le retour à l’emploi, mais de potentiellement réaliser beaucoup d’économies », avance Bruno Coquet.
3/ Quel effet sur les difficultés de recrutement ?
Pourtant, l’argument massue du gouvernement pour justifier cette réforme tient dans les difficultés de recrutement. Changer les règles de l’assurance chômage doit contribuer au plein emploi, a assuré Emmanuel Macron.
« La littérature économique, et notamment les travaux de Ioana Marinescu, montre que baisser les droits augmente le taux de retour à l’emploi, surtout lorsque les demandeurs d’emploi arrivent en fin de droit. Ils se mobilisent alors fortement pour retrouver un travail », défend Stéphane Carcillo.
Ce phénomène est bien connu des chercheurs, à l’instar de Michel Husson décédé l’an dernier. Mais ils sont nombreux à pointer que ces mesures punitives ne font pas forcément baisser le taux de chômage. Pressés par l’échéance qui s’approche, les demandeurs d’emploi acceptent des jobs, quitte à ce qu’ils soient sur-qualifiés pour la tâche à accomplir, prenant ainsi la place d’autres demandeurs d’emploi qui, eux, restent scotchés dans un chômage de longue durée.
« Ce qui me frappe dans cette nouvelle séquence, c’est la manière dont le débat sur l’assurance chômage est posé. C’est à sa trop grande générosité qu’on devrait les pénuries de main-d’œuvre, observe la sociologue Claire Vivès. L’objectif est de faire en sorte que les règles ne permettent plus de choisir l’emploi repris. Nous sommes très loin du rôle de l’assurance chômage qui est d’aider les travailleurs à passer des caps difficiles, sans devoir accepter n’importe quoi. Le gouvernement s’abrite derrière un argument économique, qui n’est même pas discuté – où sont les emplois non pourvus, pourquoi et combien ? – pour in fine légitimer une nouvelle baisse des droits pour les chômeurs et mettre l’ensemble du salariat sous pression. »
En fonction de la conjoncture, voire de la région où un demandeur d’emploi se trouvera, le même euro cotisé ne donnerait pas droit aux mêmes prestations, ce qui pourrait poser des problèmes juridiques
Le débat sur les compétences, sur le temps indispensable pour former des personnes, n’est en effet guère posé. « On peut toujours moduler les droits en fonction de la conjoncture, poursuit-elle, mais si nous avons besoin de techniciens en informatique par exemple, en quoi ce durcissement des règles en produira-t-il plus sur le marché du travail ? »
Quant à la question des difficultés des recrutements imputables aux desiderata des employeurs, elle n’est pas du tout abordée. Et ce malgré de très éclairants rapports rédigés par les services de l’administration du travail, qui ont montré que les problèmes d’embauche tiennent beaucoup moins à une question de compétences et de manque de motivation des demandeurs d’emploi qu’à la capacité des entreprises à proposer des conditions de travail attractives.
Ce projet consiste enfin à rompre avec la logique assurantielle qui lie cotisations et prestations. En fonction de la conjoncture, voire de la région où un demandeur d’emploi se trouvera, le même euro cotisé ne donnerait pas droit aux mêmes prestations, ce qui pourrait poser des problèmes juridiques.
« Au Canada, les modulations de droits en fonction des provinces existent. Pour la France, il faudrait faire des études dans les départements pour voir si cela crée de trop grandes disparités. Quant aux changements d’indemnisation selon le taux de chômage, il faut bien sûr regarder en fonction de la jurisprudence, explique Stéphane Carcillo. Mais des ruptures d’égalité, il y en a plein, il faut les justifier. »
Il n’est pas certain que les chômeurs, intéressés au premier chef, soient de cet avis.
Sur les réseaux sociaux
En recevant notre newsletter
Alternatives Economiques est une coopérative 100% indépendante qui appartient à ses salariés et qui ne vit que grâce à ses lecteurs. Nous avons besoin de vous pour faire vivre ce projet.
Véronique Riches-Flores, économiste indépendante, analyse les mesures contre l’inflation annoncées par la Première ministre britannique.
[Accidentés du travail] Derrière les chiffres des accidents du travail, il y a des personnes. Nous vous racontons trois histoires, aussi particulières ou anecdotiques que potentiellement universelles et politiques.
Enjeu transversal, les questions d’écologie manquent de cohérence d’ensemble. Cécile Blatrix et Christian Babusiaux, membres du Cercle pour la réforme de l’Etat, proposent des pistes pour y remédier.
Alternatives Economiques vous recommande Un empire de velours de David Todd, Servir les riches d’Alizée Delpierre et Redonner du sens au travail de Thomas Coutrot et Coralie Perez.
Data, analyses, tribunes, enquêtes : Alternatives Economiques vous propose une sélection hebdomadaire de ressources en accès libre pour (re)lire l’actualité au prisme des sciences sociales.