Pour préserver ce qui fait de nous des humains sensibles, empathiques, libres et intuitifs, il devient vital de révolutionner les imaginaires et la pratique du leadership. Dans cette tribune, Hélène Le Teno, directrice de la Jean-Noël Thorel Foundation et co-fondatrice de la Heart Leadership University (HLU), expose ses convictions en matière de leadership désirable. Des convictions appuyées par une exploration à 180 degrés des imaginaires du leadership réalisée avec le cabinet de sociologie Eranos.
Vous êtes plutôt Elon Musk ou de Gaulle ? Lena Situations ou Greta Thunberg ? Quel leader vous fascine ou vous séduit par sa profonde humanité ? Selon vous, le « manque de cœur » des dirigeants, ou la prise de contrôle totale par des algorithmes, vont-ils ravager notre humanité ?
Heart Leadership University est une association créée en 2021 par quinze dirigeants d’entreprise pour actionner une véritable « révolution des cœurs ». Partageant le constat que l’intelligence artificielle pourrait, demain, contrôler ou réduire à néant notre humanité, que les effondrements écologiques générés par le capitalisme extractif vont rendre notre maison commune largement inhabitable, et que les inégalités croissantes sont à la fois une injustice et une grenade dégoupillée, les fondateurs de HLU ont lancé des parcours pour dirigeants pour passer « du cœur aux actes » et transformer leur pratique du leadership.
HLU porte également des activités de recherche en psychologie, sociologie et gouvernance pour étudier des questions singulières. Par exemple, peut-on passer en entreprise de l’amour du pouvoir au pouvoir de l’amour (sans être vu comme de doux rêveurs) ? Et peut-on réformer en profondeur la gouvernance d’entreprise ? Aussi, quels sont les déterminants des actions des dirigeants : répondre aux urgences de court terme, nourrir leurs egos (pouvoir, possession, profit), être alignés avec leurs valeurs, choisir le confort des habitudes, reléguer leurs émotions ou bien au contraire se laisser emporter par elles ? Ont-ils été bien formés – ou déformés – par leurs formations lors de leurs études supérieures ? La fabrique des leaders, notamment dans les business schools, serait-elle totalement dysfonctionnelle ? Et que pèse le rôle des modèles ou des normes sociales : un dirigeant va-t-il chercher activement à ressembler à son « modèle très personnel du bon leader », ou bien plutôt se conformer à une culture dominante du leadership dans son groupe social, ses réseaux professionnels – afin de rester inclus, de ne pas se singulariser, de ne pas prendre trop de risques ?
Comment resituer ces déterminants sociaux dans une perspective historique ? Quels sont les courants passés et actuels des imaginaires du leadership ? Face aux défis technologiques, politiques, écologiques et sociaux de notre siècle, un imaginaire du leadership inspiré par la vie et animé par le cœur, tel que le porte HLU, serait-il très minoritaire et improbable, ou bien réellement émergent bien qu’encore peu visible ?
Nous portons la conviction que les imaginaires du leadership actuels, hérités du XXe siècle, entretiennent un style de leadership brutal, matérialiste, utilitariste, destructeur. Ils sous-valorisent les aptitudes du cœur (empathie, intuition, courage) et sont la cause racine d’une société profondément déséquilibrée, d’une économie non durable, d’une humanité malade et d’une perte de lien et de sens pour bon nombre d’entre nous.
Pour fournir des éléments étayés et nourrir un débat intergénérationnel, au-delà des frontières du monde des décideurs économiques, HLU a lancé en partenariat avec le cabinet de sociologie Eranos une étude inédite. Un premier sondage quantitatif a été réalisé auprès d’un échantillon représentatif de 1000 jeunes (âgés de 18 à 30 ans). Résultat : si les risques globaux du XXIe siècle sont plutôt bien identifiés par les jeunes, et que ces derniers ne sont donc pas aveugles sur les enjeux, il ressort toutefois que pour près de 30 % de l’échantillon, les role models sont plutôt des techno-fanatiques, comme Elon Musk ou Mark Zuckerberg, que des leaders soucieux du bien commun et de l’harmonie de leurs relations à autrui et au vivant.
Au-delà des leaders emblématiques, c’est surtout dans le cadre familial que les jeunes forgent leurs imaginaires. À la question « Quelles sont les personnes qui incarnent votre vision du leadership ? », ce sont les parents ou un adulte proche qui ressortent en premier. Les réseaux sociaux ont cependant une influence croissante : plus d’un jeune sur deux suit un influenceur dans le domaine de l’entrepreneuriat.
Parmi les signaux faibles les plus intéressants, notons le désir d’enrichissement rapide et facile, dont témoignent notamment les références aux influenceurs ayant fait fortune dans les cryptomonnaies. Et en creux, la difficulté à se projeter dans le travail dans une entreprise pour y construire ensemble.
Une touche d’optimisme ? Les aptitudes qui font un bon leader, avec qui l’on souhaiterait travailler, sont assez bien identifiées : empathie, courage, écoute, capacité à fédérer sont parmi les qualités et comportements les plus cités.
Face à ces premiers constats sur les imaginaires du leadership chez les jeunes, nous avons choisi d’approfondir l’analyse. Nous avons lancé un second sondage ouvert à tous les jeunes de 18 à 35 ans (étudiants dans toutes disciplines, en recherche d’emploi, salariés, jeunes dirigeants, potentiels créateurs d’entreprises, etc.). À la différence du premier, celui-ci n’a pas vocation à être représentatif de la jeunesse française et laisse une plus grande place à l’expression avec de nombreuses questions ouvertes. Tous les répondants seront invités à un grand évènement de restitution interactif (physique et en ligne) au 1er semestre 2023.
Pour donner dès maintenant votre avis concernant l’intérêt et le potentiel d’une « révolution des cœurs » des leaders, à vous de jouer, lecteurs d’Usbek & Rica ! Participez au sondage « Imaginaires du leadership » et n’hésitez pas à le partager !
Dans son nouveau numéro, disponible en librairie et sur abonnement, Usbek & Rica consacre un dossier de 40 pages à l’afrofuturisme. Un thème également à l’affiche, vendredi 27 janvier, de l’émission Le Meilleur des Mondes, sur France Culture, en partenariat avec Usbek & Rica. Derrière le micro, la curatrice franco-sénégalaise Oulimata Gueye et l’autrice afroféministe Laura Nsafou.
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