L’auteur est professeur agrégé au Département de psychopédagogie et d’andragogie de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.
« Téo [un élève du primaire] a tenu à ajouter ces quelques mots, dédiés à tous les enfants souffrant du syndrome Gilles de la Tourette (SGT) : “N’essayez pas de vous retenir, c’est trop fatigant” », lit-on sous le clavier de Drôle de plume. Un cri du coeur, qui peut aussi se lire comme un plaidoyer pour une gestion plus heureuse des « différences » dans notre réseau scolaire.
La diversité avérée du Québec se répercute inévitablement dans le domaine de l’éducation. Les critères établis à la formation du groupe classe sont-ils désormais effectifs ? L’âge, l’origine, la langue première, la religion, la cellule familiale et l’expérience existentielle de chacun postulent que la classe d’aujourd’hui n’est plus composée que d’élèves, mais bien d’individus.
Le groupe d’élèves formant la classe n’a d’office que la croisée des vécus de chacun, l’énergie même de son historicité. L’hétérogénéité manifeste des besoins des élèves ajoute un défi de taille quant à la gestion des apprentissages. Est-ce que tous ses apprenants y trouvent leur place ? Qu’en est-il des élèves dits « à risque », dont les jeunes atteints du syndrome Gilles de la Tourette (SGT) ? Ceux pour qui le cri d’espoir des parents, à bout de souffle, ne trouve que peu ou pas d’écho.
La réforme scolaire entamée au début des années 2000 marque un tournant dans la façon d’éduquer en rappelant explicitement la mission d’instruire, de socialiser et de qualifier de notre système d’éducation.
La diversité et l’inclusion nuancent le courant de pensée de cette réforme scolaire dont les fondements soutiennent un apprentissage social : on apprend ensemble en confrontant nos idées.
La salle de classe n’est-elle pas l’espace où déjà les enfants, tous les enfants, « entreprennent la construction d’une vision du monde » ?
Le SGT est un trouble complexe qui se caractérise principalement par des tics. Il apparaît vers l’âge de six ans et peut s’accompagner d’autres troubles tels que le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité, le trouble obsessionnel compulsif de même que le trouble de comportement, pouvant ainsi entraîner des difficultés d’apprentissage ou d’adaptation. Au Québec, on estime qu’environ 1 enfant sur 200 est atteint du SGT, selon des données du CHU Sainte-Justine.
L’encadrement des élèves dépend donc à la fois de la sévérité des tics et des troubles associés. L’approche éducative privilégiée doit, à juste titre, être personnalisée. En effet, si certains élèves présentent des manifestations légères ou discrètes de tics, comme un clignement des yeux ou un toussotement tout à fait acceptable socialement, d’autres élèves peuvent manifester des tics plus apparents, comme le sautillement, les tapes, des bruits de chien, des grossièretés ou des insultes, nous rappelle le Centre d’évaluation neuropsychologique et d’orientation pédagogique (CENOP). Malheureusement, ces indices, souvent mal perçus et apparentés à des troubles de comportement chez l’élève, lui porteront préjudice tout au long de son cheminement scolaire et professionnel.
Par conséquent, une vision humaniste de l’éducation, fondée sur l’idée d’ouverture de l’expérience, sur les besoins et sur les intérêts des élèves, ne viendrait-elle pas en renfort à « la confiance qu’a l’adulte en la capacité de chaque enfant à développer tout son potentiel ? » suggère-t-on dans ÉDUCatout.com, cybermagazine de la famille et de la petite enfance.
Si plusieurs professionnels, tels que les psychologues, pédiatres, psychiatres ou neurologues, peuvent être impliqués dans le diagnostic et le traitement du SGT, la thérapie comportementale des tics reste fortement recommandée et peut se faire dès l’âge de neuf ans. Il serait donc prioritaire de former ou de sensibiliser les psychologues scolaires et les autres intervenants à cette approche.
Comme il faut admettre qu’un enfant peut attendre jusqu’à la fin de sa 5e année du primaire avant de recevoir un diagnostic de SGT, celui-ci aura vécu six années pendant lesquelles la réprimande aura servi en vain à lui imposer une façon d’agir, pour lui, impossible : arrêter de bouger, arrêter de faire du bruit, lever la main avant de parler ne sont que quelques exemples illustrant la cause.
On l’isole, alors qu’il a besoin d’apprendre à reconnaître les codes sociaux, et on le change d’école quand ses intervenants scolaires sont dépassés, alors que leurs besoins premiers sont simplement mal établis. Pourtant, l’environnement d’un enfant à cet âge n’est-il pas déterminant pour son plein épanouissement ? Par conséquent, le soutien nécessaire à sa réussite emprunte une trajectoire mal tracée dont les obstacles viennent ternir le mérite et amplifier les risques évitables d’échec scolaire.
On voit même ces enfants « déscolarisés », car l’école n’a pas les « ressources » pour gérer les apprentissages, et ce, même si ces enfants ont généralement des capacités qui se comparent à la moyenne des enfants de leur âge. Une démarche réflexive invitant les professionnels, les adultes et l’ensemble des élèves, au regard des injustices scolaires qui tiennent en otage ces élèves, s’impose.
Personne, ici, ne cherche à blâmer les enseignants ou le personnel scolaire, qui ont à coeur d’aider leurs élèves. Toutefois, rares sont les enseignants dont la formation leur permet de bien encadrer l’enfant SGT.
Le SGT est peu abordé ou absent de la formation initiale des maîtres, parce qu’il ne fait pas explicitement partie des codes pouvant être attribués à ces apprenants par le ministère de l’Éducation. Comprenons que le « curriculum » ne peut explorer l’ensemble des diagnostics, dont la pertinence ne rejoint pas les compétences professionnelles à développer chez les étudiants.
Dans les recherches en sciences de l’éducation, l’importance d’accorder plus de place à la voix des élèves, comme Téo, est de plus en plus reconnue.
Cet article se rallie au choc des idées des collègues chercheuses Marie-Ève Boisvert, Mélanie Paré et Nathalie Trépanier. Il a bénéficié de la collaboration du Dr Yves Dion, psychiatre retraité et personne-ressource dans les causes du SGT, et de l’Association québécoise du syndrome Gilles de la Tourette (AQST). Tous appellent à des changements.
En définitive, « s’il y a quelque chose de stable en éducation, c’est bien le changement » ! pour citer Vers une gestion éducative de la classe de Jean Archambault et Roch Chouinard.
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