Les trombinoscopes et photos d’équipe fleurissent sur les sites internet des entreprises. Les salariés ont-ils leur mot à dire face à ces pratiques aujourd’hui fréquentes ? Réponse positive de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 19 janvier 2022, passé relativement inaperçu (n° 20-12420). Deux principes importants sont pourtant posés par les juges :
Deux salariés sont embauchés en 2007 par une société du BTP en qualité de maçons. Comme leurs collègues, ils se prêtent au jeu de la photo d’équipe pour une mise en ligne sur le site web de l’entreprise. Licenciés pour motif économique en 2014, ces deux salariés adressent un courrier en 2015 à leur ex-employeur pour demander le retrait de leurs photos du site internet. Sans succès dans l’immédiat. Par la suite, les salariés saisissent le conseil de prud’hommes de diverses demandes liées à des manquements de l’employeur lors de l’exécution de leur contrat de travail. S’y ajoute une demande de dommages et intérêts pour violation de leur droit à l’image. Après réception des conclusions de l’avocat des salariés, l’entreprise consent finalement à faire disparaître la photo litigieuse.
Les salariés maintiennent toutefois leur demande d’indemnisation devant le juge prud’homal, sur le fondement de l’article 9 du Code civil, selon lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée ». En l’absence de définition précise de ce droit, les tribunaux ont en effet pour coutume d’y associer le droit à l’image (ainsi que diverses composantes comme la vie sentimentale, la vie familiale, la santé, le domicile, etc.). Mais le conseil de prud’homme, puis la cour d’appel, considèrent que cette demande est « sans fondement », en raison de l’absence de preuve de « l’existence d’un préjudice personnel, direct et certain » résultant du délai de suppression de la photographie.
La Cour de cassation n’est pas de cet avis. Elle pose le principe selon lequel « la seule constatation de l’atteinte au droit à l’image ouvre droit à réparation ». Il n’y a donc pas lieu, pour les salariés concernés, de démontrer l’existence d’un préjudice. L’octroi de dommages et intérêts doit être ordonné par le juge, de manière automatique.
Cette solution aurait-elle été la même pour des salariés toujours en poste au sein de l’entreprise ? Cela ne fait aucun doute à notre avis. Le droit au respect de la vie privée, qui appartient à la catégorie des droits fondamentaux, s’applique sur le lieu de travail. L’employeur ne peut donc pas diffuser l’image des salariés sans obtenir leur consentement exprès au préalable. S’il enfreint cette règle, les salariés peuvent saisir le juge des référés pour qu’il ordonne toutes les mesures propres à faire cesser cette atteinte au droit à leur image (art. 9 C. civ.).
L’employeur peut-il faire signer au salarié une clause de cession de son droit à l’image, à des fins promotionnelles par exemple ? La Cour de cassation l’a admis dans un arrêt assez ancien du 18 décembre 1996 (n° 93-44825). En l’espèce, la société Euro Disney avait obtenu l’autorisation d’un salarié, lors de son embauche, d’utiliser sa photo dans un but promotionnel durant une période allant jusqu’à dix ans après la fin des relations de travail.
Compte tenu de l’ampleur prise par l’utilisation d’Internet depuis les années 1990, il est toutefois peu probable que cette jurisprudence soit toujours d’actualité. Aujourd’hui, le droit à l’image doit être fortement protégé. Publier la photo d’un individu sur le Web l’expose à un risque de diffusion massive et de manipulations. En 2009, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est intervenue en ce sens :
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