La COVID-19 est venue bouleverser les habitudes des consommateurs et la capacité de production des entreprises, entraînant toutes sortes de retards et de pénuries. Ces problèmes de chaînes d’approvisionnement sont loin d’être réglés et dépassent la seule question de la pandémie.
« Je pense pouvoir affirmer sans exagérer que les perturbations des chaînes d’approvisionnement ont touché presque tout le monde récemment, constatait dans un discours le mois dernier le sous-gouverneur de la Banque du Canada, Toni Gravelle. Que vous cherchiez à acheter une voiture, un lave-vaisselle ou encore des cadeaux à offrir à votre famille dans le temps des Fêtes, la réalité est qu’il est impossible de se procurer certains biens et que l’attente pour en obtenir d’autres est plus longue qu’elle l’était. »
Ce problème ne s’observe pas seulement au Canada et découle en bonne partie de la pandémie, a-t-il rappelé. D’un côté, il y a eu ce brusque changement d’habitudes de consommation des ménages soudainement très intéressés par certains biens à défaut de pouvoir dépenser leur argent dans des services comme la restauration, les spectacles et le tourisme. De l’autre côté, il y a eu la peine des entreprises et de leurs fournisseurs à répondre à la demande non seulement à cause de son ampleur, mais aussi des fermetures intermittentes des usines et des ports pour raison sanitaire, de la difficulté de trouver la main-d’œuvre nécessaire et du réflexe que tout le monde a eu d’essayer de se constituer des réserves à chacune des étapes de production.
C’est ce qu’a fait Lion électrique. Voyant venir la tempête, l’entreprise québécoise s’est rapidement assurée d’avoir dans ses entrepôts toutes les composantes essentielles à la construction des véhicules électriques qu’elle a promis de livrer jusqu’à l’an prochain. Mais elle a quand même dû composer avec la pénurie de certains produits, reconnaît son vice-président au marketing et aux communications, Patrick Gervais. « Qui aurait cru qu’on en viendrait à manquer de colle ? ! »
Le phénomène n’a pas manqué de pousser à la hausse le prix des biens (+6,8 % au Canada de novembre 2019 à novembre 2021, contre 4,8 % pour les services). Il a aussi jeté une lumière crue sur la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement des entreprises de plus en plus complexes et mondialisées ces dernières années.
Presque la moitié des entreprises canadiennes se disaient, à la fin de l’été dans une enquête de la Banque du Canada, aux prises avec des « goulots d’étranglement » dans leurs chaînes d’approvisionnement, contre 10 % avant la pandémie.
C’est une chose de se rendre compte qu’on a un problème, mais c’en est une autre de procéder à des changements en profondeur, constatait récemment la firme de consultants McKinsey. Au printemps 2020, plus de neuf entreprises sur dix lui avaient dit, dans un sondage international, avoir l’intention de rendre leurs chaînes d’approvisionnement plus flexibles, agiles et résilientes. Un an plus tard, 60 % s’étaient contentées d’augmenter leurs stocks et 55 % s’étaient assurées d’avoir au moins deux fournisseurs différents pour leurs matières premières, mais seulement 15 % avaient simplifié la fabrication de leurs produits et 11 % avaient rapatrié au moins une partie de leur production dans leur pays. Moins de 50 % des répondants admettaient du même coup avoir une idée précise de la nature et des risques inhérents à leurs principaux fournisseurs, contre 20 %pour les fournisseurs de ces fournisseurs, et 2 % pour les fournisseurs de troisième niveau.
Au Canada, un peu moins d’un tiers des entreprises sondées par le Conference Board cet été disait vouloir changer sa chaîne d’approvisionnement pour en améliorer la capacité d’adaptation aux changements de la demande ou en réduire l’empreinte environnementale, soit la même proportion de celles qui l’estiment déjà très bien comme ça. Un cinquième des répondants croyait qu’il faudrait mieux tenir compte des attentes des consommateurs en matière de production locale.
Il faut dire que les chaînes d’approvisionnement des compagnies canadiennes sont déjà beaucoup moins complexes et éparpillées géographiquement que celles de leurs homologues américaines, explique la principale experte sur ces questions au Conference Board, Swapna Nair. Mis à part le Canada, c’est chez leur voisin au sud qu’elles trouvent la majorité de leurs fournisseurs.
Cela ne signifie pas qu’elles ne devraient pas accorder beaucoup plus d’attention à ces questions, prévient l’économiste. « Une chaîne d’approvisionnement plus locale ne vous protège pas contre les perturbations, dit-elle citant comme exemple les dernières inondations en Colombie-Britannique. Et puis, il y a un coût économique à vouloir garder les étapes de production aussi près que possible de chez soi. Un coût qui devra se refléter dans les montants que devront débourser les consommateurs.
Chez Lion électrique, on est passé durant la crise d’environ 430 à 500 fournisseurs, mais l’on cherche à faire soi-même le plus d’étapes de production possible et l’on privilégie les chaînes d’approvisionnement aussi courtes et locales que possible. Cela vaut pour les véhicules que l’on construit et vend au Québec, comme pour ceux que l’on entend construire et vendre aux États-Unis dans une nouvelle usine en Illinois, dit Patrick Gervais. On vise ainsi à améliorer son efficacité, sa capacité d’innovation et son empreinte environnementale.
La Banque du Canada estimait en octobre que les perturbations des chaînes d’approvisionnement atteindraient leur sommet vers la fin de 2021 avant « de se dissiper graduellement en 2022 » avec son effet sur les prix. Elle admettait cependant peut-être sous-estimer le problème.
« Il y avait déjà des perturbations avant la pandémie, observe Swapna Nair. Elles étaient liées à des facteurs comme la politique, le protectionnisme, les catastrophes climatiques et les problèmes de main-d’œuvre. Il y en aura après la pandémie. C’est inévitable. L’important est de s’y préparer en recherchant l’efficacité, la flexibilité, la résilience et la viabilité environnementale. »
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