A l’image de ce qui se passe dans le spatial, le secteur privé investit dans la technologie de fusion. Mais gare aux promesses intenables.
La construction du réacteur Iter, à Saint-Paul-lès-Valence, le 10 octobre 2018 dans les Bouches-du-Rhône
afp.com/CHRISTOPHE SIMON
C’est le chantier de tous les superlatifs : 22 milliards d’euros de subvention de l’UE et de la France, 35 pays participants, une enceinte en acier de 5200 tonnes destinée à contenir des particules chauffées à 150 millions de degrés, soit dix fois la température du soleil… Avec le projet ITER, l’humanité peut rêver d’une source d’énergie quasiment inépuisable, non polluante, décarbonée, sûre et pratiquement sans déchet, comme l’indique l’Elysée sur son site internet. Mais dans combien de temps ?
C’est là que le bât blesse. Selon le calendrier officiel, il faudra sans doute attendre 2040 pour maîtriser le plasma en combustion, seul à même de produire les réactions en chaîne proches de celles du soleil voulues par les scientifiques. “L’épidémie de Covid va se traduire par un délai et des coûts supplémentaires” a prévenu ce lundi Bernard Bigot, directeur général du projet, à l’occasion d’un événement organisé par l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA). Toutefois, certaines sociétés privées veulent aller plus vite grâce à des levées de fonds importantes et des choix technologiques différents. C’est le cas par exemple de la startup américaine TAE technologies.
Bénéficiant de la faveur des investisseurs, qui lui ont déjà octroyé 880 millions de dollars, cette société vise la fin de la décennie pour atteindre les conditions permettant de commercialiser un réacteur. Le Massachusetts Institute of Technology (MIT) se lance lui aussi dans la course avec Sparc, un projet de réacteur publi-privé. Actuellement, il existe neuf installations privées en construction, recense l’AIEA. Ces intitiatives profitent du savoir-faire accumulé par le projet Iter. Mais elles permettent aussi d’explorer de nouvelles pistes comme celle des supraconducteurs à haute température. “Avec ces matériaux, on a l’espoir de quasiment doubler la valeur des champs magnétiques servant à contenir le plasma”, commente Jérôme Bucalossi, directeur de l’Institut de recherche sur la fusion par confinement magnétique du CEA. Cela permettra peut-être de réduire la taille du réacteur et donc son coût.
Une autre piste de recherche consiste à produire un plasma très chaud d’une composition différente, sans dégagement de neutrons, car ceux-ci nécessitent la construction d’une enceinte de protection en métal épaisse d’un mètre. Là encore, l’objectif est de réduire la taille des installations et de leur coût associé. Ces intitiatives ne risquent-elles pas de ringardiser Iter ? “Ce n’est pas si simple, explique Jérôme Bucalossi. Le design XXL d’Iter ne doit rien au hasard. Il tient compte des lois de la physique. Si vous voulez atteindre une température de 150 millions de degrés dans le coeur du réacteur, ce qui est considéré comme l’idéal pour la fusion d’un point de vue scientifique, alors vous devez construire une installation de grande taille. Miser sur des réacteurs plus petits est donc osé”.
Tim Luse, chief scientist du projet Iter, alerte lui aussi sur les promesses un peu trop belles de certaines startups. “J’invite les journaliste à regarder les astérisques présentes au bas de leurs communiqués. Obtenir une licence pour un nouveau type de réacteur nucléaire en quatre ans à peine me paraît très optimiste” a-t-il expliqué à l’occasion de la conférence organisée par l’AIEA. “Il est difficile de croire les sociétés qui annoncent pouvoir faire un réacteur en dix ans. C’est pas le tout d’initier la réaction, il faut être capable de la maintenir et d’évacuer la chaleur en permanence”, abonde Jérôme Bucalossi.
Pour l’expert, Iter garde l’avantage sur un autre critère : l’amplification. A terme, il doit produire 500 MW pour une puissance en entrée de 50 MW (la puissance nécessaire pour lancer la réaction de fusion), ce qui représente un rapport de dix. Toutefois, il s’agit d’une machine expérimentale dont le but est de prouver que la technologie fonctionne, pas d’être raccordé au réseau électrique. “Pour un réacteur commercial, il faut plutôt viser un facteur d’amplification de 50”, prévient un expert. Bien sûr, Iter peut être optimisé : il intègre, par exemple, trois systèmes différents pour chauffer le plasma, à des fins de recherche. Or un seul sera nécessaire dans le futur. Il possède également beaucoup plus d’instruments de mesures et de capteurs qu’un réacteur commercial. Mais pour assurer la rentabilité d’une telle installation, il faudra sans doute s’inspirer des trouvailles … du secteur privé.
À découvrir
Services partenaires
© L'Express