Normes applicables aux collectivités : « face à l’addiction » le Sénat appelle à oser « une thérapie de choc ! » (ce qui va dans le même sens, pour l’essentiel, que les propositions du Président du CNEN).
Rarement un rapport sénatorial aura été doté d’un titre aussi clair, voire cru :
« Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l’addiction, osons une thérapie de choc ! »
Il s’agit d’un rapport d’information de Mme Françoise GATEL et M. Rémy POINTEREAU, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales de la chambre haute, n° 289 (2022-2023), en date du 26 janvier 2023, et que voici :
Voir ici le rapport (qui sera mis en ligne à cette adresse dans les heures à venir)
Les deux principales recommandations de ce rapport (à droit constant) sont :
Le rapport formule trois autres propositions.
1. le contenu des études d’impacts doit plus justifier du respect des principes de simplification, de libre administration, de subsidiarité et d’autonomie financière.
2. l’évaluation non-financière ex ante des textes réglementaires applicables aux collectivités territoriales est également l’objet d’une proposition, visant à étendre l’obligation d’évaluation ex ante aux impacts non financiers des textes réglementaires.
3- Le risque de surtransposition des directives est enfin classiquement évoqué :
« La fabrique de la norme doit intégrer une exigence forte : les mesures assurant la transposition d’une directive communautaire ne doivent pas excéder pas les objectifs qu’elle poursuit. Le rapport invite le Gouvernement à mieux prendre en compte cet impératif dans sa pratique afin de prévenir le risque de surtransposition, et donc d’inflation potentielle des prescriptions imposées aux collectivités territoriales. »
Le rapport souligne aussi l’intérêt de deux mécanismes susceptibles de contribuer à une meilleure évaluation des normes. Citons la synthèse de ce rapport sur ce point :
1- Expérimenter, dans les lois à fort impact sur les collectivités territoriales, des clauses de réexamen et, le cas échéant, en dernier recours, des clauses «guillotine» (recommandation n°3)
La mission d’évaluation des politiques publiques est placée au cœur de l’action du Parlement (article 24 de la Constitution). Pourtant, les démarches évaluatives demeurent encore trop rares en France. C’est pourquoi le rapport recommande que chaque loi territoriale prévoie, pour ses dispositions les plus importantes, des clauses de réexamen, à l’instar de qui se pratique au Royaume-Uni (« review clauses »). Ces clauses comporteraient un échéancier prévoyant, par exemple une première évaluation à deux ou trois ans, pour mesurer les premiers effets de la réforme, et une seconde à cinq ou six ans pour dresser un bilan complet avec le recul nécessaire. L’objectif est de vérifier si la réforme a renforcé la performance de l’action publique locale jusqu’au dernier kilomètre et au dernier habitant.
Ces clauses de réexamen pourraient elles-mêmes être assorties, dans certains cas, de clauses de caducité (ou « guillotine »). Ce système, appelé « sunset clause » outre-manche, entraîne la disparition pure et simple du texte en l’absence d’une évaluation effective ou en présence d’une évaluation négative. Vos rapporteurs sont toutefois conscients des réserves que suscitent de telles clauses. D’une part, la différenciation territoriale permet l’adaptation pragmatique des normes aux réalités territoriales et évite donc le recours à des mécanismes radicaux, tels que les clauses de caducité. D’autre part, ces dernières, créant des « normes législatives à durée déterminée », génèrent une forme d’insécurité juridique et découragent ainsi parfois les acteurs à s’engager dans des projets de long terme.
Pour ces raisons, vos rapporteurs estiment que les clauses guillotine doivent être utilisées en dernier recours et qu’il convient de privilégier, dans un premier temps, le mécanisme pragmatique de l’expérimentation, dont le régime a été amélioré par la loi organique du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations engagées sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution. En effet, d’une part, cette loi a instauré une évaluation intermédiaire pour chacune des expérimentations engagées, d’autre part, elle a assoupli le régime de l’expérimentation locale : ainsi, cette dernière peut désormais aboutir au maintien des mesures prises à titre expérimental dans les collectivités territoriales ayant participé à l’expérimentation, ou dans certaines d’entre elles, et leur extension à d’autres collectivités territoriales, dans le respect du principe d’égalité
Cette recommandation n°3 ne nécessite pas de modification constitutionnelle ou organique : elle peut en effet être mise en œuvre par simple volonté du législateur lors de l’examen des textes territoriaux. Elle suppose, en complément, une profonde évolution de la culture des fonctionnaires. Le rapport suggère ainsi d’enseigner l’évaluation – sa méthodologie et ses procédures – dans les écoles de la fonction publique (INSP, INET, IRA, ENSP…) et de l’intégrer aux cours de formation continue des agents des trois fonctions publiques.
Cette recommandation suppose également d’évaluer, au vu des récentes lois territoriales, si le domaine de la loi a toujours été respecté. En effet, en application de l’article 34 de la Constitution, la loi doit simplement « déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ». En d’autres termes, le législateur a compétence pour définir des objectifs généraux et il appartient ensuite aux collectivités d’en déterminer les modalités d’application, dans le cadre du pouvoir réglementaire local.
2- Une autre proposition du rapport (à droit constant) : l’importance du dialogue État / collectivités
Le rapport rappelle une autre proposition destinée à mieux évaluer a posteriori les normes applicables aux collectivités territoriales. Elle porte sur l’importance du dialogue entre les services déconcentrés de l’État et les élus : en effet, depuis plusieurs années, le Sénat propose d’instaurer auprès du préfet une instance de concertation, composée de représentants des services de l’État et des collectivités locales. Cette instance aurait notamment vocation à être saisie de tout différend sur l’interprétation d’une norme, et d’exprimer une position unique de l’État sur des projets complexes pour éviter aux élus d’être confrontés à une multitude de services différents aux positions parfois incompatibles. Le rapport regrette le rejet de la proposition du Sénat d’instaurer une telle instance, qui permettrait à tous les acteurs locaux, élus ou fonctionnaires, d’œuvrer ensemble à améliorer les normes applicables aux collectivités territoriales. Le rapport observe toutefois que l’instance de concertation pourrait être mise en place sans vecteur législatif, par une simple circulaire du ministre de l’intérieur auprès des préfets, ce qui permettrait à ces derniers d’en éprouver l’efficacité et le cas échéant de l’abandonner si cette instance ne produit pas localement les effets escomptés.
Créé à l’initiative du Sénat par la loi du 17 octobre 2013, le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) est chargé d’évaluer l’impact technique et financier des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. Le rapport recommande de renforcer le CNEN afin d’en faire un organe charnière inspiré du Nationaler Normenkontrollrat (NKR) allemand, comme l’a opportunément proposé M. Rémy Pointereau dans sa proposition de résolution déposée en juin 20221. Ce renforcement, qui fait l’objet de la recommandation globale n°4, passe par plusieurs propositions :
1- Reconnaître son importance par des mesures à portée symbolique
Deux mesures symboliques sont proposées et nécessitent respectivement de modifier la loi et le règlement : réaffirmer l’indépendance du CNEN et le rattacher au Premier ministre, ce qui marquerait à la fois son importance et la transversalité de son action, par nature interministérielle.
2- Rendre plus visibles les travaux du CNEN vis-à-vis du Sénat
Au-delà des mesures symboliques, le rapport estime nécessaire de donner plus de visibilité aux travaux du CNEN. Aussi conviendrait-il que ce Conseil assure une transmission directe au Sénat de ses avis négatifs, motivés de manière précise et dès leur adoption. En outre, il conviendrait d’annexer ses avis aux études d’impact des projets de loi afin de faire bénéficier celles-ci de l’expertise développée par le Conseil dans l’évaluation de l’impact des normes sur les collectivités territoriales. Cette disposition est portée par le Sénat depuis plusieurs années.
3- Étendre et conforter ses missions
• Confier au CNEN la certification des études d’options et des études d’impact des textes imposés aux collectivités territoriales ;
• Permettre au CNEN de travailler dans des conditions sereines : en effet, environ 20 à 25 % des textes examinés par le Conseil s’inscrivent dans le cadre d’une procédure d’urgence voire d’extrême urgence, alors même que certains d’entre eux sont publiés plusieurs mois après cette saisine « urgente » ;
• Donner explicitement au CNEN mission pour se prononcer sur le respect des principes de simplification, d’autonomie financière, de libre administration et de subsidiarité ;
• Étendre le champ de compétence du CNEN aux impacts des réformes de l’État territorial sur les collectivités territoriales ;
• Contraindre le gouvernement à une seconde délibération en cas d’avis négatif rendu par le CNEN sur un projet de loi ;
• Renforcer les moyens humains et financiers du CNEN.
Le rapport estime aussi nécessaire de créer, au sein du Sénat, une fonction de veille et d’alerte, au service des commissions permanentes compétentes, le plus en amont possible de la production des normes applicables aux collectivités territoriales (recommandation n°5).
Le rapport recommande enfin d’organiser au Sénat des États généraux portant sur la qualité, la nécessité et l’efficacité des normes imposées aux élus locaux. Cette manifestation, ouverte au public, permettrait une prise de conscience de la nécessité d’agir concrètement. (recommandation n°6).
Voici un dossier « Faut-il alléger, voire ”réparer” notre droit ? », en vidéo dont voici, également, ci-dessous, la transcription.
En premier lieu, voici la vidéo de 8 mn 59, réalisée à ce sujet, « Faut-il alléger, voire ”réparer” notre droit ? », préparée et présentée par mes soins avant une interview de :
https://youtu.be/z-VvLs1ScuY
Il s’agit d’un extrait de notre chronique vidéo hebdomadaire, « les 10′ juridiques », réalisation faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés : http://www.weka.fr
En 2000, le Conseil d’Etat avait déjà fait un décompte : la France comptait 9 000 lois et 120.000 décrets.
Huit ans après, on en était semble-t-il à 10 500 lois et 127 000 décrets (source politique.net), selon les calculs de Philippe Sassier et Dominique Lansoy.
La XIVème législature (2012-2017) aura vu l’adoption de 448 lois (sur ce point, voir l’éditorial du SGG Marc Guillaume dans la lettre de la DAJ).
En 2017, la circulaire du 26 juillet 2017 (NOR : PRMX1721468C) a prescrit la règle du « 2 pour 1 ». Il s’agissait d’imposer deux abrogations, deux suppressions pour tout nouveau texte :
Cette règle fut en quelque sorte appliquée dans les premières années, avant que la pandémie n’impose un rythme de production normative inédit.
Mais on mesure un peu aussi le caractère un peu artificiel de ce décompte :
Ainsi l’inflation est-elle demeurée en nombre de mots. M. Christophe Éoche-Duval, conseiller d’État, en 2022, au 25 janvier 2022 le stock net de « mots » pour dire des « normes » s’élève à 44,1 millions de « mots Légifrance », sur une pente de + 93,8 % depuis 2002.
Source : C. Éoche-Duval, « Un « mal français » : son « é-norme » production juridique ? » : RDP mars 2022, p. 421.
Abordons aussi ceci avec un prisme un brin plus large :
D’ailleurs, sur ces deux derniers sujets, je vous renvoie à la lecture très intéressante de l’ouvrage de Denis BARANGER, avec qui nous avions déjà échangé sur ce sujet précis en 2019 (en lien avec Weka) :
https://youtu.be/iyXOIxX3v4o
Ce sujet est toujours d’actualité et d’ailleurs, le 14 octobre 2022, le Conseil d’Etat avec le Conseil National d’évaluation des Normes a organisé un colloque intéressant sur la simplification normative. Ça peut être vu en rediffusion sur internet aisément, ici :
Dans une chronique, le président du CNEN (Conseil national d’évaluation des normes), M. Alain Lambert, par ailleurs ancien ministre du budget, a cet été 2022 appelle de ses voeux l’évolution vers un contrôle, opéré par le juge administratif, de la qualité des études et fiches d’impact (comme tel est déjà le cas en matière environnementale, pour schématiser) qui doivent apparaître en prélude à tout projet de loi.
Tout le problème est de savoir si le « juge » évoqué, de manière générique par M. A. Lambert, est le juge administratif ou constitutionnel, puisque dans un cas cet ancien Ministre en appelle à une révolution, et dans l’autre cas à une petite évolution.
Voir :
J’ai voulu aborder ces divers points avec le Président LAMBERT, je le remercie d’être avec nous.
Bonjour Monsieur le Président, Monsieur le Ministre,
Réponse du Président A. Lambert, ancien Ministre, Président du CNEN :
Bonjour à tous,
Première question, quels sont vos conseils pour que nous ayons des normes moins indigestes ?
Réponse du Président A. Lambert, ancien Ministre, Président du CNEN :
« Mon conseil serait que tous les producteurs de droit prennent enfin conscience que la prolifération de leurs lois et leurs règlements créent une crise systémique qui s’apparente à ce qu’on appelle le phénomène « boule de neige ». C’est-à-dire quelque chose qui enfle en dévalant la pente, qui s’accroit inévitablement et qui créée un cercle vicieux qu’on ne peut pas arrêter. Notre droit aujourd’hui connait exactement la même situation. Les textes servent de vecteurs de communication politique sans veiller à être utiles. Donc ils pleuvent chaque jour, ils sont bourrés quelquefois de contradictions, ils obligent à des ajustements permanents, d’où l’instabilité, leur nombre insensé et leur illisibilité. Le seul moyen de sortir de cette spirale infernale c’est de fermer le robinet. C’est de fixer chaque année un nombre de signes maximum pour le Journal Officiel afin de responsabiliser toutes les Administrations Centrales sur les textes qu’elles produisent. »
Passons à votre proposition en matière d’étude d’impact. A quel stade le Juge interviendrait-il ? Comment envisagez-vous ceci ?
Réponse du Président A. Lambert, ancien Ministre, Président du CNEN :
« Personnellement, je n’ai aucun doute sur la nécessité d’une étude d’impact car elle est très utile. C’est une obligation qui a d’ailleurs été fixée par le Constituant en 2008 et qui a été confirmée par le Législateur en 2009. Elles étaient, je cite, “destinées à améliorer la qualité des projets de loi et à mieux éclairer le Parlement sur la portée des réformes que lui soumet le Gouvernement”. Fin de citation. Et voilà qu’elles ont été totalement détournées de leur objectif. On ne peut plus noble, objectif noble, utile mais elles sont été dévoyées en étant rédigées après les textes de manière désinvolte, inutile et souvent contre-productive. Alors quoi faire quand les textes les plus fondamentaux de la République sont ignorés, sont négligés par les Administrations Centrales ? Soit on les sanctionne, soit on supprime l’obligation puisque les autorités qui sont chargées de faire respecter cette obligation renoncent à le faire. C’est donc sous une forme un peu provocatrice, je le reconnais, qu’un jour j’ai proposé de les supprimer, non pas pour qu’on en arrive là mais il faut faire réagir un système resté complètement apathique et indifférent. Et c’est pourquoi, dans un second temps, dans une chronique, j’ai soumis l’idée de fragiliser, de fragiliser, dis-je bien, les textes dont les études d’impact auraient été négligées. C’est un pis-aller, j’en suis complètement conscient mais quand les Institutions chargées de faire respecter, nos institutions restent inertes, il faut essayer de les contraindre à se saisir du sujet. L’idée consistant à permettre par exemple à une administration locale dans un contentieux qui l’oppose à l’Administration Centrale d’utiliser comme l’un des moyens, ce n’est pas le seul moyen mais l’un des moyens, le défaut caractérisé de l’étude d’impact lorsque celui-ci a contribué à provoquer des difficultés d’application des textes qui est objet du contentieux. Il ne s’agit donc pas, selon moi, de créer un contrôle de toutes les études d’impact mais d’autoriser le Juge Administratif à s’en saisir lorsque sa vacuité est à la source de la dégradation de la loi qui a entraîné un contentieux. Alors cela ne résout pas tous les problèmes, j’en suis parfaitement conscient, mais cela ouvre un débat sur l’urgente nécessité de réparer notre droit qui, je vous prie de le croire, est en aussi mauvais état que nos finances publiques. »
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