"Moussaka insipide", "pastiche de Blade Runner"… Le Masque mitigé sur "Chien 51", de Laurent Gaudé – France Inter

Ce roman de rentrée préféré des libraires se déroule en Grèce, dans un monde futur. Les critiques du Masque ne sont pas à l’unisson. Pour certains, c’est un roman de science-fiction qui manque cruellement d’invention, alors que pour un autre critique, le texte est très original dans son propos.
Si l’on en croit une enquête parue dans Livres Hebdo, Chien 51 de Laurent Gaudé est le roman de la rentrée qu’ont préféré les libraires. Chien 51, est aussi le premier roman d’anticipation écrit par l’auteur du Soleil des Scorta, prix Goncourt 2004.
Dans ce livre, il imagine que la Grèce est en faillite, qu’elle a été rachetée par la firme GoldTex, qui a fondé ensuite une société ultra-surveillée. Des émeutes très violentes ont lieu. Elles sont réprimées dans le sang par des brigades de sécurité dont faisait partie le héros, Zem Sparak. Et on appelle les flics “des chiens”, d’où le titre.
Zem Sparak opère dans la zone trois où sont rassemblés tous les déshérités de la mégapole, et où un cadavre éventré est retrouvé dans une décharge. Il y a un soupçon de trafic d’organes. Ce qui hante surtout Zem Sparak est l’évocation de la Grèce d’autrefois. Il est aussi question d’une drogue technologique low cost qui lui permet de retourner virtuellement dans le passé, son paradis perdu. “Qui se souvient d’Athènes ?” Demande-t-il. “Qui se souvient de ce que nous avons été ?”
La critique des Inrocks a été très étonnée, car d’habitude elle n’aime pas les livres de Laurent Gaudé. Mais elle a commencé par apprécier ce texte. Elle aime les dystopies et la science-fiction, les univers qu’un écrivain invente intégralement. Elle a commencé sa lecture en trouvant que le texte était très bien écrit mais les choses ont fini par se gâter au fil de la lecture. Pour elle, Laurent Gaudé ne réinvente pas assez, et s’appuie trop sur d’autres modèles.
Nelly Kaprièlian relate son impression : “J’ai bien aimé au début et un moment donné, ça m’a rappelé Blade Runner et je me suis dit les pluies acides, une société qui domine, qui s’appelle… j’ai déjà oublié les noms et les personnages, enfin que des noms de jouets, de robots ou de chiens. J’ai eu cette impression de déjà-vu. Je me suis dit qu’on était vraiment dans une dystopie imaginée par d’autres auteurs. Il y a une sorte de modèle de dystopie et on ne s’en sort pas.”
Elizabeth Philippe a eu la même impression que sa collègue Nelly Kaprièlian. Ce texte manque pour elle d’invention et d’originalité : “J’ai vu Blade Runner, j’ai aussi lu un peu Don DeLillo. En fait, il a pris tous les thèmes du moment : la crise climatique, le transhumanisme, les dérives du néolibéralisme, tous les thèmes qui nourrissent aussi, les œuvres des écrivains, et puis il les a mélangés. Ça fait une moussaka un peu insipide.”
Mais pour elle, le plus grand défaut du livre, c’est de ne pas susciter d’images, comme elle l’explique : La Grèce, qui est pourtant au cœur du livre, on ne la voit jamais. C’est quand même paradoxal pour un livre censé justement décrire un monde qui ne repose que sur les images. Il n’y a aucune image suscitée par la langue de Laurent Gaudé. On ne voit pas la Grèce. C’est pas parce qu’il parle de dolmas, les feuilles de vigne farcies, qu’on est à Athènes.”
C’est la première fois que le critique finissait un livre de Laurent Gaudé, et il l’a lu d’une traite, l’a “avalé cul sec, le Gaudé”.
Le critique ne peut s’empêcher de faire un nouveau jeu de mots sur le titre : “Ça s’appelle Chien 51, ça aurait pu s’appeler Pastiche 51, ça aurait marché tout pareil parce que c’est vraiment ça, c’est un pastiche de science-fiction. Ça ressemble à Blade Runner.”
C’est un livre sur la Grèce, qui ne parvient pas à son but, selon lui, mais qui a tout de même une visée politique : “Ça se veut un beau livre sur la Grèce. Il y a une idée, on sait ce qui s’est passé en Grèce. On sait comment le FMI a trahi purement et simplement ce pays, l’a mis à genoux. C’est de ça dont veut parler Laurent Gaudé. Il a une conscience politique, on ne peut pas lui enlever ça. Cette évocation politique est présente dans ce livre, avec ses multinationales, ses géants qui rachètent des pays et qui, à partir de là, opèrent une immigration choisie. Les émigrants sont sélectionnés suivant leur capacité de travail, puis vont dans un endroit ou dans un autre. Là, on voit un discours politique intéressant.”
Arnaud Viviant et Nelly Kaprièlian s’accordent à dire que l’écriture de Laurent Gaudé n’est plus “boursouflée” comme auparavant, et elle est tout à fait convaincante, comme l’exprime le critique : “En écrivant de la science-fiction, il a atteint son seuil de compétence. On se dit : ‘mais bravo, tu as trouvé ta voix. Après tu y déploieras des idées originales, mais quand même, tu sais le faire.'”
Le critique aime ce livre et voudrait revenir sur le ton condescendant qu’il considère que certains critiques ont adopté. Ensuite, il explique pourquoi il admire ce livre : “Je sais gré à Laurent Gaudé, au moment où il y a la Coupe du monde de foot au Qatar, la Chine du crédit social et de l’identification faciale, le Brésil de Bolsonaro, la Russie poutinienne, d’avoir travaillé sur cette question des sociétés d’hyper-surveillance, ces sociétés totalitaires. La nouvelle forme du totalitarisme aujourd’hui passe par ça.”
Selon Jean-Claude Raspiengeas, c’est un roman extrêmement contemporain : “C’est à peine un roman d’anticipation. Je le trouve presque réaliste sur ce qui nous attend, sur ce qui est en train de se mettre en place. Et moi, je suis là et je sais gré à un romancier de s’emparer de ça et de le faire, contrairement à ce que vous dites, avec beaucoup d’originalité, avec beaucoup d’idées, avec beaucoup d’images. Certes, il n’y a pas la Grèce où vous allez en vacances, mais c’est une Grèce qui est prise dans les manifestations, etc.”
Pour se faire une opinion, il faut lire Chien 51 !
🎧 Ne manquez pas les autres critiques du Masque & la Plume de la semaine, consacrée à la rentrée littéraire…
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