« Les causes qui poussent les hommes hors de chez eux sont variables ; ce qui est en tout cas hors de doute, c’est qu’aucune portion de l’humanité n’est restée au lieu de ses origines. »
Sénèque, Consolation à Helvia
« La question des migrations s’impose comme l’un des problèmes majeurs de l’Anthropocène. » C’est avec cette conclusion, qui cristallise l’ensemble des dysfonctionnements liés à notre façon d’habiter la Terre, que Michel Magny clôt son ouvrage Retour aux communs1. Car pour le paléoclimatologue, la mobilité internationale qui va en s’accroissant est une conséquence, en même temps qu’une preuve, des dérives démographiques, économiques, sociales et environnementales qui ne cessent de s’amplifier depuis le début de la modernité.
« La question des flux migratoires signe d’abord la détérioration des écosystèmes de la planète et des conditions d’existence d’une partie toujours plus nombreuse de l’humanité. » Inégalités sociales, pressions économiques, désastres écologiques, c’est tout un système qu’il faut repenser pour rompre un cercle vicieux dont la migration est révélatrice. Bilan : « On assiste à un accroissement inédit de la mobilité humaine : aujourd’hui, un habitant de la planète sur sept est un migrant et le changement climatique en cours ne peut qu’amplifier le phénomène. »
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Lorsqu’on parle de migration aujourd’hui, on a très vite à l’esprit l’image de bateaux surpeuplés, tragiquement disparus en mer. On pense au rêve broyé de milliers de personnes tentant d’échapper à la guerre ou à la famine, on craint parfois des situations incontrôlables, on focalise sur le passage des frontières. La migration, c’est aussi des étudiants s’installant pour quelques mois dans un autre pays pour suivre des études ou des stages, des salariés à la recherche d’expériences de travail nouvelles ou bien rémunérées, des personnes âgées s’installant sous des latitudes agréables pour y couler une retraite heureuse…
Le droit international pose les bases essentielles de la mobilité pour les personnes comme pour les pays. Il postule que toute personne est libre de quitter un pays, y compris le sien, et a le droit de rentrer chez elle. Cette liberté fondamentale peut être remise en cause par une situation exceptionnelle, notamment être restreinte pour des raisons de santé publique. La crise sanitaire de la Covid-19 est à ce titre un véritable cas d’école : Taïwan a par exemple très vite posé l’interdiction à ses personnels de santé de quitter le pays. Par ailleurs, le droit international stipule que les États sont maîtres de l’accès à leur territoire ; presque tous ont fermé leurs portes pour éviter la propagation de la pandémie.
Le droit européen quant à lui peut imposer que les entrées et sorties soient suspendues sur tout le territoire de l’Union. Les décisions prises par les États, ou fédérations d’États, pour cause de crise sanitaire ont complètement bouleversé les mouvements migratoires et jusqu’à la définition même du migrant, fournie par l’Organisation internationale pour les migrations. L’OIM considère comme migrant « toute personne qui quitte son lieu de résidence habituel en vue de s’établir ailleurs ». Cette définition s’est heurtée au contexte de la crise sanitaire, comme a pu l’étudier Hélène De Pooter, enseignante-chercheuse en droit public à l’Université de Franche-Comté / CRJFC. « Dès lors que les migrants ont atteint leur objectif, quitter leur pays et s’installer dans un autre, ils passent du statut de migrant à celui d’immigré pour le pays d’accueil. »
Or certains immigrés installés avant la crise ont perdu leur travail, par exemple parce qu’ils étaient employés dans des hôtels ou des restaurants : ils ont par là même également perdu leur droit au séjour ; d’autres n’ont pas pu faire renouveler leur titre de séjour dans les temps, parce que les préfectures étaient fermées ou croulaient sous les dossiers en retard… Pour différentes raisons, de nombreux immigrés se sont trouvés dans des impasses et des situations de précarité matérielle ou juridique : ils sont par la force des choses redevenus des migrants, au sens de la définition donnée par l’OIM. Certains, voulant retourner dans leur pays d’origine, se sont trouvés confrontés au problème de la fermeture des frontières, au départ comme à l’arrivée.
Pour les mêmes raisons, nombreux sont ceux qui n’ont pas pu faire aboutir leur projet de mobilité, par exemple les étudiants internationaux ou les demandeurs d’asile. Les frontières se sont fermées parfois au mépris des règles élémentaires du droit international telles que le principe de non refoulement, qui interdit de renvoyer quelqu’un vers un territoire où sa vie est en danger. Encore faut-il donner la possibilité à cette personne d’expliquer sa situation pour juger ensuite du bien-fondé de sa requête. Les États-Unis ont à ce titre été particulièrement pointés du doigt, car au nom du principe d’exception invoqué pour se protéger du virus, ils ont systématiquement refusé tout accès à leur territoire, sans appréciation du caractère des demandes. Pas moins d’un million de migrants ont ainsi été directement refoulés à l’approche des côtes américaines. Là comme ailleurs, aussi, les bateaux des migrants ont erré en mer pendant des semaines sans pouvoir accoster nulle part.
En marge de ces situations dramatiques, la crise sanitaire a révélé d’autres réalités, plus favorables aux migrants. Ainsi les frontières sont-elles devenues perméables par endroits, lorsqu’il s’agissait d’accueillir des personnels de santé, dont certains n’avaient même pas encore passé leur diplôme, pour renforcer les équipes soignantes. Leur recrutement a pu créer une pénurie dans leur pays d’origine, une pratique témoignant d’un vrai problème de coopération internationale. De nombreux migrants, arrivés depuis peu dans un pays d’accueil, se sont vus accorder des titres de séjour pour pallier le manque de main d’œuvre, comme en Italie où la régularisation de 200 000 d’entre eux a permis d’assurer les récoltes au printemps et à l’été 2020, quand la mobilité des saisonniers était bloquée.
« Dans de nombreux pays, les mesures de protection des migrants se sont finalement renforcées, comme l’accès au soin. En Italie, le droit au logement a été maintenu même en cas de perte de travail, afin que les personnes en situation régulière ne perdent pas leur statut et ne retombent pas dans la précarité », raconte Hélène De Pooter. La pandémie a complètement modifié la donne concernant la mobilité à l’échelle planétaire, au gré de logiques et d’intérêts contradictoires, les exceptions confirmant parfois les règles du droit… La guerre en Ukraine, avec son caractère d’urgence humanitaire, a elle aussi bousculé les schémas, et amené son lot de questions en même temps que des milliers de réfugiés.
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L’agression de l’Ukraine a provoqué la concertation immédiate des pays membres de la Communauté européenne, qui ont adopté des statuts spéciaux favorisant l’accueil des réfugiés. D’autres pays ont suivi ce mouvement, comme la Suisse, qui en mars 2022 et pour la première fois, a activé le statut de protection S introduit dans la loi en 1998, au moment de la guerre des Balkans. Ce statut « offre une protection collective à un groupe déterminé de personnes pour la durée d’une menace grave. Il confère un droit de séjour ainsi qu’un droit à l’hébergement, à l’assistance et aux soins médicaux », ainsi que l’indiquent les autorités. Il est comparable au statut de protection temporaire de l’Union européenne, créé au début des années 2000.
En Suisse, 60 000 réfugiés ukrainiens sont détenteurs d’un permis S, un chiffre considérable si on le compare à celui des permis accordés aux demandeurs d’asile, qui avoisine 20 000 chaque année. Si quelques milliers d’entre eux ont regagné leur pays au cours de l’année, d’autres arrivées sont encore prévues : les projections estiment à 80 000 le nombre de réfugiés ukrainiens à la fin 2022, auquel il faut ajouter le chiffre des 20 000 demandeurs d’asile. « Ces chiffres sont la preuve qu’on peut faire face », souligne Denise Efionayi-Mäder, sociologue et directrice adjointe du Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM) à l’université de Neuchâtel, qui précise : « La moitié de ces réfugiés ukrainiens sont pris en charge par des structures privées, comme des hôtels, ou chez des particuliers ».
La sociologue note qu’un élan de générosité comparable avait animé les Suisses lors de la guerre en Bosnie, qui, en 1992, avait aussi créé la surprise : une grande solidarité s’était manifestée en faveur des populations déplacées, en majorité des familles, des personnes âgées et des enfants. « L’accueil des Kosovares fuyant la guerre à la fin des années 1990 était plus mitigé. Il s’agissait d’une guerre moins visible, fratricide, et dans un premier temps les réfugiés, politiques, étaient surtout des hommes seuls ; on craignait des frictions et de la violence avec les Serbes et les Croates déjà établis en Suisse. » Vingt ans de recul montrent que les tensions se sont apaisées, et que les stéréotypes attachés aux Kosovares sont moins forts. Denise Efionayi-Mäder dresse un parallèle avec les Italiens, plutôt mal considérés et écartés à leur arrivée dans les années 1960 et 1970, puis peu à peu bien acceptés au point d’être aujourd’hui les « chouchous » en Suisse !
Pour en savoir plus : L’Espagne et le Portugal d’aujourd’hui, sous la direction d’Alicia Fernándes García et Mathieu Petithomme, Presses universitaires de Rennes, 2022
L’Espagne et le Portugal connaissent des histoires parallèles depuis les années 1930, dont chacune des grandes phases s’accompagne de mouvements migratoires, dans un sens ou dans l’autre. Jusqu’au milieu des années 1970, les deux pays sont respectivement sous la coupe des dictateurs Franco et Salazar, et connaissent un mouvement d’émigration pour raisons politiques, bientôt renforcé par des motivations d’ordre socio-économique : la nécessité de trouver du travail rencontre les besoins en main d’œuvre des pays voisins.
Au cours des années 1990 et 2000, les deux pays connaissent une croissance sans précédent, conséquence directe de leur entrée simultanée dans la Communauté européenne, en 1986, et des transferts de fonds qui s’ensuivent. Le dynamisme du secteur immobilier et du tourisme occasionne de forts besoins en main d’œuvre, et la situation s’inverse : c’est au tour de la péninsule ibérique de recourir à la population étrangère. L’Espagne devient même alors l’un des principaux pays d’accueil au monde pour les immigrés. Leurs origines sont diverses, mais pour des raisons linguistiques évidentes, les pays d’Amérique latine sont largement représentés. 2008 marque la fin de cette période faste, et la crise impacte durement et durablement les deux pays.
Le chômage incite les migrants à retourner dans leur pays d’origine ou à tenter d’autres expériences de migration, et pousse des centaines de milliers de jeunes natifs d’Espagne et du Portugal à partir. « Le temps fort de cette troisième vague migratoire se situe entre 2010 et 2015. Les jeunes, qui souvent sont diplômés, émigrent en premier lieu en Europe, puis en Amérique latine », explique Mathieu Petithomme, enseignant-chercheur en science politique à l’université de Franche-Comté / CRJFC. Spécialiste des mouvements politiques en Europe, notamment dans l’Espagne contemporaine, Mathieu Petithomme vient d’être nommé à l’Institut universitaire de France pour se consacrer pendant cinq ans à des recherches concernant la percée des gauches alternatives sur l’échiquier politique européen.
La Suisse présente la particularité d’accueillir des communautés d’origines très diverses, mais limitées en termes d’effectifs. Petit pays où de surcroît on parle plusieurs langues, elle a toujours accueilli beaucoup de migrants et de réfugiés. « Pour pouvoir prospérer, être présent dans le monde, il est nécessaire d’échanger, d’embaucher de la main d’œuvre, de recourir à des spécialistes de différentes disciplines. Les petits pays ont une dynamique plus volontiers tournée vers l’extérieur que les grands, qui mathématiquement disposent de plus de ressources humaines. »
Italiens, Allemands, Français et Portugais constituent près de la moitié de la population étrangère résidant en Suisse (chiffres 2021, Office fédéral de la statistique). Là comme ailleurs en Europe, le racisme s’exprime davantage envers les étrangers issus de pays non européens, qui font l’objet de davantage de discriminations sur le marché du travail et pour l’obtention d’un logement, comme le confirme une étude récente menée par le SFM. Du côté de la loi, il existe un « double système » en Suisse, selon que les ressortissants sont originaires de pays de l’Union européenne ou non : les étrangers européens peuvent circuler librement pour travailler, la Suisse faisant partie de l’espace Schengen, et ne sont par exemple pas tenus de suivre des cours de langue. À l’inverse extrême, un résident de nationalité étrangère hors UE, ayant par exemple abusé d’une aide sociale, peut être renvoyé dans son pays d’origine, même s’il est né et a grandi en Suisse.
L’arrivée des réfugiés ukrainiens pose aussi cette question d’une politique migratoire à deux vitesses, comme d’ailleurs dans d’autres pays. « La situation crée des tensions sur le terrain, surtout auprès des personnes qui ont un statut d’admission provisoire, et qui attendent depuis longtemps de bénéficier de cours de langues, un droit accordé d’emblée aux réfugiés ukrainiens, rapporte Denise Efionayi-Mäder. La question aujourd’hui est de savoir si la situation induite par l’accueil des réfugiés ukrainiens va inciter à relever les standards de la migration forcée en Suisse. »
À l’université de Neuchâtel, Anita Manatschal est professeure en analyse des politiques migratoires. Elle brosse dans une rapide analyse les grandes lignes des politiques migratoires en Suisse et en France. Les deux pays sont cosmopolites, la Suisse accueillant davantage de ressortissants d’Europe de l’Est, et la France de ressortissants du Maghreb. Au jeu des différences, la chercheuse relève que la France est plus favorable à la naturalisation que la Suisse : « Cette demande peut intervenir au terme de dix ans de résidence en Suisse, c’est cinq ans en France ».
La Suisse compte 25 % d’étrangers, ce chiffre étant difficilement comparable à ceux de la France, justement en raison d’un accès à la naturalisation différent ; la population migrante est estimée à 10 % en France, dont plus d’un tiers a acquis la nationalité française. Les plus grandes différences entre les deux pays concernent les droits politiques : « Contrairement à la France, la Suisse autorise le vote à la population étrangère. Cependant, ce droit est limité à la sphère cantonale, et chaque canton est libre ou non de l’accorder ».
Living the dream ? Ou l’odyssée d’une migrante entrepreneuse vient de paraître. Une BD tout droit issue d’une recherche du NCCR on the move sur l’entrepreneuriat migrant, dont elle diffuse les résultats de façon originale à travers l’histoire de Luisa, créatrice de mode colombienne installée à Zurich, qui cherche à lancer son entreprise… Une bande dessinée scientifique imaginée et dirigée par Christina Mittmasser, Laure Sandoz et Yvonne Riaño. Adaptation, scénario et dessin par Jean Leveugle, Université de Neuchâtel, NCCR on the move (2022), 32 p.
Ainsi les cantons francophones sont majoritairement en faveur du droit de vote des étrangers (5/6), bien plus en proportion que les alémaniques (3/19) ou le canton italophone du Tessin. En Suisse, pays de la démocratie participative, certaines décisions sont soumises à votation populaire : la construction de minarets a par exemple été refusée en 2009 et la dissimulation du visage interdite en 2021. Sur le plan culturel de manière générale, les deux pays adoptent des politiques migratoires comparables, avec l’assimilation pour maître-mot.
Anita Manatschal effectue des recherches de portée internationale au Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM), et au Pôle de recherche national NCCR on the move ; cette structure, coordonnée par le SFM, fédère huit universités en Suisse autour d’études sur la migration et la mobilité. Aux côtés de collègues en Suisse et en Belgique, Anita Manatschal a piloté une recherche à propos de l’influence des politiques migratoires sur les relations entre populations natives et immigrées.
Cette étude menée dans pas moins de 66 pays, 20 cantons suisses et 64 écoles flamandes en Belgique, vient de rendre ses conclusions. « Ce sont dans les pays, régions ou écoles où les politiques d’intégration sont les plus inclusives, là où l’égalité est la plus grande entre les populations natives et celles issues de l’immigration, que la cohésion sociale est la plus forte, que les relations entre les gens sont les plus harmonieuses. » La Suède et la Norvège, tout comme le Portugal et le Canada, figurent au rang des pays les plus favorables à l’intégration, qu’il s’agisse du marché du travail, de l’école, de l’engagement civique, des droits politiques …, toutes choses favorisant le sentiment d’appartenance.
« Les résultats montrent qu’une politique inclusive est une condition essentielle pour bien vivre entre natifs et étrangers. Cette volonté d’inclure les personnes étrangères peut s’exercer aux niveaux politique, culturel ou socio-économique. » Dans les écoles flamandes, en Belgique, là où les chartes scolaires favorisent l’inclusion, les préjugés reculent ; même constat en Suisse, où les performances des élèves sont meilleures lorsque la politique du canton est inclusive. « Partout, lorsque les personnes immigrées bénéficient de droits égaux, elles ont un niveau de formation, un emploi et des revenus comparables à ceux des personnes natives. Elles sont plus présentes dans tous les domaines de la société, et sont vues comme des membres égaux et actifs de la société. »
Anita Manatschal et ses collègues invitent les décideurs à réfléchir à leur conception de la migration, et à leur action dans ce domaine : « Nos résultats montrent que les politiques inclusives font la différence même lorsque d’autres facteurs sociopolitiques pourraient générer de l’hostilité à l’encontre des immigrés, comme un fort taux de chômage, un PIB faible, l’inégalité des salaires ou la présence de discours contre l’immigration. »
Après 18 mois d’investigation sur le terrain et d’analyse de travaux de recherche déjà accomplis, les membres du projet Sliding Doors vont présenter leurs conclusions et émettre leurs recommandations auprès des députés européens, lors d’une rencontre prévue à Bruxelles courant novembre. Le projet concerne la perception des migrants et de l’immigration en Europe depuis l’Antiquité ; il réunit des universitaires et des acteurs de la société civile dans douze pays concernés par les parcours migratoires traditionnels ou les routes nouvellement créées.
« Sur la partie historique contemporaine, l’étude montre que la perception de l’immigration est plus négative aujourd’hui qu’elle l’était par le passé », constate Frédéric Spagnoli, enseignant-chercheur en langue et civilisation italiennes à l’Université de Franche-Comté / ISTA, et porteur du projet. « Dans les faits, l’immigration ne présente pas tellement de différences en termes de nombre de personnes concernées, de dispositifs mis en place ou encore de problèmes rencontrés. Mais le contexte politique et économique a changé, comparé à celui des années 1960 par exemple : la période était alors au plein emploi et la régularisation des migrants était facilitée pour répondre au manque de bras. »
Les recommandations de l’équipe Sliding Doors concernent des aspects administratifs, des problématiques d’harmonisation, et des questions très concrètes sur le logement, l’accès à la formation et au travail ; elles sont formulées à partir des résultats des enquêtes menées auprès de personnes migrantes et de résidents dans les pays impliqués dans le projet : l’Italie, l’Espagne, la Roumanie, la Bosnie-Herzégovine, la Hongrie, le Portugal, les Pays-Bas, la Belgique et la France.
Entre autres recommandations, les acteurs du projet proposent que le règlement de Dublin, qui impose le traitement d’une demande d’asile dans le pays d’arrivée d’un migrant, soit modifié pour permettre une plus grande mobilité des personnes. Ils suggèrent de créer une carte de séjour européenne, d’identifier des termes officiels communs applicables à toute l’Union pour éviter les problèmes de définition d’un pays à l’autre, de reconnaître au niveau européen les diplômes et l’expérience professionnelle des migrants, ou encore de renforcer les dispositifs d’intégration linguistique et sociale.
Pour en savoir plus : https://slidomigration.eu/
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La langue apparaît à l’évidence comme un facteur déterminant d’intégration. Les attentes concernant l’apprentissage de la langue du pays d’accueil, pour le quotidien comme en situation professionnelle, sont très élevées de la part des personnes en situation de migration et de la société d’une manière générale. Enseignante-chercheuse en sciences du langage à l’université de Franche-Comté / CRIT, Anne-Sophie Calinon privilégie les études de terrain pour comprendre comment le lien entre migration et langue s’opère, comment les choix politiques des pays d’accueil se traduisent en dispositifs concrets, eux-mêmes influençant le vécu et le ressenti des immigrés.
Ce fil conducteur se décline dans une étude qui vaut aujourd’hui à Anne-Sophie Calinon d’être nommée à l’Institut universitaire de France (IUF). « Cette recherche, à laquelle je vais pouvoir, grâce à cette nomination, consacrer une grande partie de mon temps pendant cinq ans, consiste à étudier les directives politico-éducatives concernant la scolarité des enfants allophones nouvellement arrivés en France, c’est-à-dire qui parlent une autre langue ou d’autres langues que le français ». Son action est en particulier dirigée vers les enseignants de mathématiques, qui se heurtent à la difficulté de devoir expliquer algèbre et géométrie à des enfants qui ne parlent pas la même langue qu’eux.
« Dans les représentations communes, on a l’impression que pour certaines matières les questions de langue ou d’oralisation sont moins importantes. C’est le cas, en particulier, pour les mathématiques. Or, on enseigne et on apprend les maths par le prisme de la langue. Et quand elle n’est pas la même pour tous, il ne faut pas avoir peur de laisser les élèves s’exprimer dans leur langue, de privilégier des binômes de langue commune, de s’appuyer sur toutes les connaissances linguistiques que les élèves ont pu acquérir dans leur parcours migratoire, d’avoir recours à la traduction automatique… Cela prend du temps, mais il faut pour un enseignant instaurer l’habitude de travailler dans plusieurs langues, même s’il ne les maîtrise pas. »
Au cours de ses observations, séances de travail collaboratives et entretiens, Anne-Sophie Calinon fait émerger les difficultés et tire profit des expériences pour donner les clés, qui, partant de l’individu, pourront influencer les interactions pédagogiques, les dispositifs éducatifs mis en place et remonter jusqu’aux orientations politiques. Elle insiste sur l’importance d’une recherche menée au plus près du terrain, nourrie d’échanges avec les membres des équipes pédagogiques, afin d’expliciter les enjeux langagiers de l’apprentissage de matières scolaires : par exemple expliciter qu’une lettre s’inscrit de quatre manières différentes en français, -« en attaché », « en script », en minuscule, en majuscule-, saisir les différences de structures grammaticales d’une langue à l’autre, ou encore s’apercevoir que certains enfants sont habitués à un système éducatif où l’on apprend par cœur quand d’autres sont familiarisés avec les principes de la pédagogie active.
« Écouter les personnes, enfants ou adultes c’est aussi accéder à un contexte de migration parfois révélateur de leur rapport aux langues de leur vie. Certains parcours sont très difficiles, et dans ces cas-là, apprendre une nouvelle langue recouvre de nombreux enjeux psychologiques, sociaux, économiques. Quand il est question de langue, les questions sont toujours complexes… Et il n’y a pas de réponses simples à des questions complexes », conclut Anne-Sophie Calinon. La principale finalité de cette recherche en sciences du langage est la publication d’un ouvrage de référence à destination des décideurs, formulant des recommandations sur les questions de langue dans la scolarité des enfants allophones.
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Le phénomène migratoire est multifactoriel, et ces causes s’imbriquent souvent les unes aux autres. Les bouleversements climatiques et environnementaux s’ajoutent désormais à cette équation particulièrement complexe. « Selon l’IPBES2, 2,7 milliards d’êtres humains vivaient dans des zones arides en 2010, ils seraient 4 milliards en 2050. L’ONU estime pour sa part le nombre de migrants climatiques à 250 millions à la même date », rapporte Michel Magny dans son ouvrage. À l’Institut de géographie de l’université de Neuchâtel, on fait des estimations également, on sait par exemple que la montée des océans devrait à terme concerner 600 millions de personnes. Mais pour ces chercheurs spécialisés dans l’étude des migrations, « il n’y a pas de migration purement climatique ».
Les travaux qu’ils mènent depuis de nombreuses années montrent plutôt que les changements environnementaux ajoutent de l’impact aux facteurs économiques, sociaux, démographiques ou politiques, qui, eux, génèrent le phénomène migratoire de manière décisive. « Les migrations en lien avec les changements environnementaux vont certainement augmenter. Les pays du sud sont les plus concernés, car ils ont peu de moyens techniques et financiers d’adaptation et de résilience pour rester sur place. Pour l’essentiel, ces migrations resteront internes au pays ou se limiteront aux pays limitrophes », explique Loïc Brüning, chercheur associé à l’Institut de géographie, où il a passé sa thèse en début d’année sous la direction d’Étienne Piguet, spécialiste international du rapport entre migration et changement climatique.
Les recherches menées à l’Institut contredisent ainsi les craintes parfois évoquées d’une immigration massive vers les pays du nord en raison de conditions climatiques devenues plus dures au sud. « La migration internationale est très coûteuse, et puis tout le monde n’a pas envie de partir. Les gens qui quittent leur pays pour aller en Europe sont très minoritaires. » Dans ses recherches, Loïc Brüning étudie le lien entre érosion côtière, migration et stratégie d’adaptation. « Toutes les côtes d’Afrique de l’Ouest sont en cours d’érosion. On en parle peu, pourtant c’est un enjeu majeur, car ce sont les zones les plus peuplées et où les grands centres économiques sont installés. » Le chercheur s’intéresse particulièrement à la région du Gandiol, au Sénégal, située à quelques kilomètres au sud de Saint-Louis, la « Venise africaine ».
La ville et sa région sont bordées d’un côté par l’océan Atlantique, de l’autre par le fleuve Sénégal. Une bande de sable d’une quarantaine de kilomètres de long, la langue de Barbarie, met naturellement à l’abri le continent des marées et des fortes houles provenant de l’océan. Un rôle cependant mis à mal avec l’ouverture dans cette bande de sable, en 2003, d’un canal permettant d’évacuer les eaux du fleuve dans l’océan, devant l’imminence d’une crue menaçant Saint-Louis. Mais sous l’influence des éléments, cette ouverture de 4 mètres s’est transformée au fil des années en une brèche de… 5 kilomètres ! « L’océan peut ainsi gagner du terrain : l’érosion est estimée à 5 mètres par an depuis 10 ans à Saint-Louis. »
Les sols se sont salinisés, des maisons se sont effondrées, deux villages ont même été détruits entièrement ; les activités de pêche, d’élevage et de maraîchage sont devenues difficiles à exercer, alors qu’elles constituaient des ressources majeures pour la population, contrainte pour toutes ces raisons à se déplacer vers l’intérieur des terres. La construction, à Saint-Louis, d’une digue rocheuse qui devrait permettre de contrer les assauts de l’océan, du moins temporairement, a obligé 10 000 habitants de plus à partir. « Depuis 2003, un tiers des hommes entre 15 et 49 ans se sont exilés pour travailler dans d’autres régions du Sénégal, revenant dans leur famille une fois par an, pour quelques semaines. »
La mobilité n’est pas une pratique nouvelle dans la région, où les pêcheurs ont toujours dû suivre les déplacements des bancs de poissons. La migration est ici une pratique ordinaire, mais elle s’est fortement accentuée en raison de l’érosion côtière et du délitement de la langue de Barbarie, de la surpêche et des changements climatiques qui obligent les poissons, eux aussi, à migrer…
Les habitants d’une région ont-ils une perception juste des changements environnementaux qui se produisent à leur porte ? Et leurs impressions influencent-elles leur décision, ou non, de migrer ? Ces questions sont au cœur du projet PEEMPASS, démarré en 2021 pour une durée de 4 ans, et mené conjointement par les universités de Neuchâtel et de Namur. Issa Mballo, doctorant à l’Institut de géographie neuchâtelois, participe à cette étude conduite elle aussi au Sénégal, son pays d’origine, et pour laquelle il est allé enquêter auprès de 450 ménages dans la région de Saint-Louis. « L’étude permettra dans un premier temps de savoir si la perception des gens correspond à la réalité, ou si elle est faussée. L’analyse est en cours, mais les premiers résultats montrent que la perception sur les évolutions environnementales dépend de l’âge et surtout du niveau d’étude. Nous partons de l’hypothèse que les jeunes et les personnes qui ont un meilleur niveau d’études présentent une meilleure perception, parce qu’ils ont des références, ont appris la géographie climatique du pays, sont davantage informés. »
Chez les autres, la perception basée sur le vécu et sur l’observation s’avère tantôt juste, tantôt faussée : la plupart d’entre eux sont susceptibles d’être influencés dans leur perception par la masse populaire. « L’objectif est de voir si, en marge de faits scientifiquement établis, la perception que les personnes ont des changements environnementaux suffit à les inciter à la mobilité. » Une mobilité encore une fois le plus souvent interne au pays, ou limitée aux pays voisins, comme ne le laissent pas supposer la plupart du temps les médias occidentaux, qui, en focalisant sur les toutes petites franges de population migrant vers le nord de la planète, généralisent à l’excès le mouvement. Une histoire de perception, là encore…
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