“Je suis en apnée en 2022. Je vais être à 0€… Quand j’ai fait 9.99 à La Chaux-de-Fonds l’été dernier, je me suis dit ‘trop bien !’ je vais être aidé”. Mickael Zeze est effectivement rentré dans l’histoire du sprint français en 2022 en passant sous la barre des 10 secondes au 100m, devenant le quatrième français à casser le mythe après Ronald Pognon, Jimmy Vicaut et Christophe Lemaitre. “Sauf que la fédé ne joue pas comme ça, les règles ont évolué”.
Toutes les performances réalisées au-dessus de 900m d’altitude ne sont en effet plus comptabilisées, et Mickael Zeze n’a pas réussi à reproduire de type de performance au niveau de la mer, avec une pointe à 10.20 lors des championnats de France de Caen.
Romain Barras, directeur de la haute performance à la FFA, a instauré des critères de sélection restrictifs pour postuler aux contrats pro de la fédération. “Dura lex sed lex (la loi est dure mais c’est la loi) et malheureusement Mickael n’a pas réussi à courir aussi vite pendant les grands championnats. Si on fonctionnait à l’affect, j’aimerais aider tout le monde mais les budgets ne sont pas extensibles”.
Alors Mickael Zeze, qui espérait voir sa carrière exploser à 28 ans, grâce à son chrono record accuse le coup. “Nike m’a laissé tomber au début de la crise du Covid, comme beaucoup d’autres, et je n’ai plus de sponsors. Pour la première fois, j’ai dû m’acheter des paires de pointes moi-même”.
Heureusement, le Normand est community manager dans le civil pour gagner un peu d’argent. “Mais ma carrière sportive est en péril”. Il appelle à l’aide sur ses réseaux sociaux pour récolter 50 000€, nécessaire selon lui à se préparer pour les Jeux olympiques 2024, lui qui est aussi un leader du relais 4x100m, médaillé d’argent aux derniers championnats d’Europe de Münich en 2022.
“Avec cette médaille, je pensais que les sponsors allaient arriver mais pas grand-chose ne se passe. J’ai besoin d’argent pour partir en stage, pour le matériel, payer mon kiné, mon entraîneur et les déplacements. J’ai chiffré cela à 25 000€ par an, donc 50 000 jusqu’aux Jeux”. Sur LinkedIn, Twitter et Instagram, Mickael Zeze essaie de se vendre auprès des sponsors, et il a lancé une cagnotte leetchi, qui dépasse à la mi-janvier les 4000€.
Une situation tendue et stressante pour les athlètes, qui ne peuvent pas préparer les Jeux de la meilleure des manières. C’est aussi le cas d’Amandine Brossier, demi-finaliste des JO de Tokyo sur 400m, qui a battu son record personnel en 2022 mais qui a perdu son contrat pro B (entre 15 et 18 000 euros annuels) de la FFA.
“C’est une décision douloureuse à accepter. La subvention allait à mon club d’Angers qui me salariait. Je perds donc un salaire, mais aussi la mutuelle et les cotisations retraites qui vont avec. En ce moment je ne touche rien, excepté quelques sponsors. Mon club me certifie qu’il m’aidera jusqu’aux championnats du monde de Budapest en août, mais après je ne sais pas”.
La pression est donc énorme sur les épaules d’Amandine Brossier, qui en plus de ses entraînements et de ses stages, qu’elle paye donc de sa poche (2000€ pour aller à Séville en janvier par exemple), doit démarcher les entreprises pour des sponsors. “Je ne suis pas tranquille, je perds du temps et de l’énergie”.
Energie également dépensée par Margot Chevrier, numéro 1 de la perche féminine depuis l’année dernière où elle avait réussi 4m70. Grâce à ses performances récentes, la Niçoise est passée en contrat pro A (23 000€/an), tout en intégrant le cercle 1 de performances, postulant là aussi à des aides qui vont jusqu’à 30 000€/an.
Des revenus confortables pour préparer 2023 mais Margot Chevrier ne les a pas toujours eus. “Ça ne résout pas tous les problèmes, il faut des sponsors aussi. Je ne peux pas payer mon coach, mon préparateur mental ou mon kiné comme je le voudrais”. La jeune femme ne peut pas travailler à côté, car elle est en 5ème année de médecine.
“Par exemple, j’ai eu recours à une petite vidéo marrante sur Instagram où je sortais la clé à molette devant ma petite voiture qui venait de tomber en panne… je ne trouvais pas de sponsors capables de m’offrir une voiture fiable pour mes déplacements. Quand la mienne m’a lâchée, j’ai fait la vidéo et grâce au bouche à oreille, j’ai pu discuter avec Toyota qui, trois semaines après, m’envoyait une voiture sur Nice”.
Une happy end après deux ans à envoyer des dossiers pour obtenir une voiture, mais souvent son nombre d’abonnés sur Instagram posait soucis. “On me disait que 4 000, ce n’était pas assez. Mais j’en ai aujourd’hui 9 000, j’ai plus que doublé en un an”.
Margot Chevrier est aussi très consciente de ses atouts aujourd’hui, avec son profil sport-santé (grâce à ses études de médecine) et le développement du sport féminin, portée comme valeur étendard par des entreprises.
Des parcours de vie différents pour ces athlètes, qui doivent en tout cas se bouger et compter sur eux-mêmes pour durer dans le sport professionnel. Un problème dont la Fédération Française d’Athlétisme et Romain Barras a parfaitement conscience. “Il y a 15 ans déjà quand j’étais athlète, on faisait un book avec notre palmarès et on toquait à la porte des entreprises du coin pour trouver un peu d’argent”.
Le champion d’Europe 2010 du décathlon connaît donc les dures réalités des sportifs. Il est désormais celui qui établit les critères pour aider et professionnaliser les athlètes, processus mis en place depuis une dizaine d’années à la FFA. “On n’a jamais autant donné d’aides directes.”
“Les contrats pro (A, B ou Avenir) représente 1 350 000€ par an, les aides indirectes (avec l’appui de l’Agence Nationale du Sport) 680 000€ par an et les stages c’est 1 200 000€. On aide les collectifs relais également, mais il y a des critères de performances, soit des obligations de médailles ou de finales en grands championnats, soit un classement au ranking mondial dans le top 16 ou être dans les top lists de sa discipline.”
“Et l’athlé peut se jouer à un centimètre ou un centième de secondes, mais il faut des critères objectifs. La FFA a parfois fonctionné à l’affectif, et ça ne fonctionne pas. C’est parfois difficile, je suis peiné pour Mickael ou Amandine, c’est une bosseuse, sérieuse, mais ça ne passe pas pour elle en 2023.”
“Ce n’est peut-être pas encore assez, mais la Fédé pousse au maximum pour aider les athlètes sur ses fonds propres. C’est 3,5 millions d’euros annuels. Ce n’est pas si commun dans le monde de l’athlétisme”.
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