Je l’ai illustrée par une phrase clé : « Les Allemands ne sont pas des Français qui parlent allemand ». C’est ce que m’avait dit un de mes premiers patrons, en précisant : « Faites bien attention à la pensée des autres ». Nous sommes à une époque où l’accélération des événements qui nous entourent nous incite d’autant plus à prendre en compte cette pensée des autres. En particulier, si on considère que la parenthèse de la domination occidentale qui a duré quatre siècles est en train de se refermer. Nous avons eu tendance, nous Européens et les Français, en particulier, avec notre pensée universaliste, à imposer notre vision du monde. Nous sommes maintenant obligés de prendre en compte l’approche des pays émergents. Je pense notamment à la Chine, à l’Inde, à la Turquie, à l’Iran, etc., qui ont autre chose à nous dire.
La déperdition des moyens sur une longue durée a même été constatée par la Cour des comptes. Nous sommes passés de 28 000 agents à 13 000, en maintenant le réseau universel, avec nos 180 ambassades, presque une dans chaque pays, et nos 90 consulats, qui se chargent plus directement de la protection des Français et de leurs biens à l’étranger. Simultanément, les échanges internationaux n’ont fait que croître, de même que les missions confiées au Quai d’Orsay. Nous apportons maintenant un soutien aux entreprises, sur le terrain. Par exemple, en Chine, lorsqu’un grand groupe s’est fait expulser d’un site pour des raisons d’écologie, il a fallu négocier une autre implantation avec le pouvoir chinois. Missions également dans le domaine du tourisme. Après les attentats, il a fallu redonner confiance sur la destination France. N’oublions pas la dimension culturelle. Les services de nos ambassades assurent là de multiples activités, qu’il s’agisse de la promotion du cinéma, de la diffusion de spectacles vivants, de l’enseignement du français, etc. Seulement, nous avons dû nous mettre dans les mains des mécènes privés, à hauteur de 75 % des besoins. Cela démontre qu’il n’y a plus vraiment de politique culturelle extérieure.
Dans ces conditions, nous sommes nombreux à penser que nous pourrions faire beaucoup plus avec quelques moyens supplémentaires. En particulier sur le soft power, pour renforcer notre capital culturel qui est immense et fait que la parole de la France et sa création sont encore attendues et entendues. Y compris en faisant voter une loi de programmation culturelle extérieure.
On ne peut que se réjouir que les chefs d’États et de gouvernements aient des contacts personnels et confiants. C’est une des conditions de la réussite des relations bilatérales. Souvenez-vous, d’agissant des relations entre la France et l’Allemagne, de Mitterrand et Kohl, de Giscard et Schmidt, de Chirac et Schröder. On voit, aujourd’hui par exemple, qu’Emmanuel Macron a su nouer une relation de confiance avec Xi Jinping. Mais tout ceci se fonde sur un travail de préparation qui incombe aux ambassadeurs. À eux, en lien avec leurs interlocuteurs sur le terrain, à documenter sur les dossiers en cours, sur les intentions de nos partenaires, sur la réalité des pays. Ce travail-là est indispensable et immuable. On peut se demander si le moment a été bien choisi par le Président pour supprimer notre corps diplomatique spécialisé et en faire une profession interchangeable avec les autres métiers de fonctionnaires alors que la pratique du terrain à l’étranger nécessite une certaine expérience dans le temps et des motivations particulières.
Sa conviction était qu’aucune culture n’est supérieure aux autres et c’est ce qui a guidé son action diplomatique. Il avait aussi cette manière de mettre à l’aise tous ses interlocuteurs, d’où qu’ils viennent et quels que soit leur rang. C’est à cette aune qu’il a su percevoir, à l’occasion de la crise irakienne, les risques pour la stabilité des sociétés et l’impact dévastateur pour la région qu’aurait une intervention américaine. Ce fut tout aussi vrai à l’égard de la Russie. Il a très vite perçu, après la chute de l’URSS, le ressentiment que les Russes pouvaient éprouver. Il ne s’agissait pas de les consoler mais, même s’il n’y est pas parvenu, d’assurer un équilibre qui leur redonne confiance, dans un monde différent. De même, pour le traité d’amitié avec l’Algérie, Chirac a avancé très prudemment. Comment reconnaître certaines responsabilités de la France sans aller jusqu’à la repentance ?
Ce qui diffère de la présidentialisation du régime que nous connaissons aujourd’hui. Depuis Chirac, nous n’avons plus un président qui décide de la politique étrangère et un ministre qui la met en œuvre. Les ministres des Affaires étrangères sont très sollicités, avec l’extension des missions que j’ai évoquée, mais la cellule diplomatique du président a pris de plus en plus d’importance. Partage-t-elle assez avec le Quai d’Orsay, et sa capacité d’analyse et de réflexion ? On peut se poser la question.
Jacques Chirac, sur des sujets particulièrement délicats, évitait de se mettre en avant et recourait à des tiers pour lancer des ballons d’essais. C’est encore souvent le cas.
Il s’agit du poids que nous pesons encore dans le monde. Nous avons, jusqu’à un certain point, maintenu l’indépendance de la France. Stratégique, avec notre dissuasion nucléaire qui ne dépend pas des Américains. Même si on peut regretter que ce ne soit plus tout à fait le cas militairement quand, par exemple, nous manquons de drones. C’est une faiblesse. Puis nous avons glissé vers l’Otan. Il est bon d’appartenir à une alliance, mais l’entre-soi peut être néfaste pour la France et c’est contraire à ses intérêts et sa tradition d’indépendance.
Nous avons encore un certain poids économique et nous sommes dans le peloton de tête pour les entreprises de la « tech ». En revanche, nous souffrons de notre désindustrialisation et il nous faut faire mieux dans la recherche. D’où ce besoin de retrouver une souveraineté, notamment avec l’Europe.
Certes, nous parlons à tout le monde, l’Inde, la Chine et bien d’autres. Osons-nous cependant dire plus que ce que notre grand allié nous permet de dire ? On voit, avec ce qui se passe en Ukraine. Nous n’avons peut-être pas assez souligné, alors qu’il était encore temps, qu’il y avait là un risque considérable à installer l’Otan au centre de l’Europe. Nous en avions l’intuition, et le président Macron en particulier, avec son idée « d’une nouvelle architecture de sécurité, incluant la Russie », mais cela ne suffit pas.
Il faut être mobile. Sans nous comparer à eux, regardez les Turcs. Ils sont dans l’Otan, ce que personne ne leur conteste. Ils livrent des drones aux Russes comme aux Ukrainiens. Ils sont aussi membres des BRICS et en observateurs à l’Organisation de Shanghai.
Ce pays, qui a réussi son indépendance, sa constitution, son combat pour le non-alignement, est en passe de perdre ce qui en a fait l’essence, son « sécularisme », c’est-à-dire sa laïcité. Il est dans une phase nationaliste et hindouiste, rejetant peu à peu les minorités en dehors de la société, en particulier les musulmans. Je crains que ce colosse, qui peut rattraper la Chine et prendre le leadership d’une multiculturalité, grâce au sécularisme, perde ce qui a fait son succès et sa stabilité.
Elle comprend que nous avons besoin de gestes qui affirment la singularité de la France et son rayonnement.
« Les autres ne pensent pas comme nous », Maurice Gourdault-Montagne. Bouquins édition. 22 €.
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