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Le livre France de ce dimanche est #Metoothéâtre, un recueil de textes d’autrices, d’auteurs et d’anonymes du monde du théâtre. L’une des contributrices, Marie Coquille-Chambel, nous en parle.
RFI : Marie Coquille-Chambel, vous êtes critique de théâtre et doctorante, vous avez contribué à #Metoothéâtre, un livre plein de colère et de révolte. Quelle est l’histoire de ce livre ?
Marie Coquille-Chambel : Ce qu’il s’est passé, c’est qu’on a lancé le hashtag #Metoothéâtre sur les réseaux sociaux en octobre 2021 et on voulait se rassembler après cette effervescence de témoignages sur les réseaux sociaux. Et donc, on a fait un rassemblement devant le ministère de la Culture et devant la Comédie française. Plus de 200 personnes étaient présentes.
On avait demandé à des autrices, à des metteuses en scène, plein de personnes du milieu théâtral de réagir au lancement du #Metoothéâtre. On nous a envoyé beaucoup de textes. Nous les avons lus au moment du rassemblement. C’était dommage de garder ces textes pour nous. Ce sont des textes qui sont assez forts, militants, engagés, très personnels, mais aussi et assez intimes. Et on a décidé de les publier aux éditions Libertalia.
S’il y en a eu beaucoup, comment est-ce que vous les avez sélectionnés ?
En fait, il y a deux sortes de textes. Il y a à la fois des textes qu’on a commandés. Ce sont des textes d’auteurs et d’autrices et de comédiens et comédiennes. Et aussi des témoignages qu’on a reçus sur les réseaux sociaux. Nous ne voulions pas laisser la parole aux personnes qu’on connaît, qui sont dans nos cercles proches, parce qu’on se connaît relativement bien dans le milieu théâtral. C’est un tout petit milieu. On voulait aussi laisser la parole à des personnes plus anonymes, par exemple qui étaient dans des écoles de théâtre et ont subi certaines formes de violence. Ces deux sortes de textes forment la réalité du mouvement #Metoothéâtre.
Est-ce que vous vous attendiez à ce genre de témoignages ou est ce qu’il y en a qui vous ont étonné ?
En fait, je connaissais déjà ces histoires pour en avoir vécu personnellement. On en parlait de notre côté. On se prévenait entre nous. Par exemple de personnes qui pouvaient être violentes, ou insistantes. Donc en fait, personne n’est surpris. Ce qui est surtout assez déstabilisant, c’est le nombre de comédiennes qui étaient en école de théâtre et qui étaient très jeunes au moment où elles ont subi des violences. Elles étaient aussi moins préparées parce qu’il y a tout un rapport hiérarchique qui créé encore plus de situations de violences et d’abus.
En octobre 2021, vous avez déclaré avoir été violée par un comédien de la Comédie française, toujours membre de la compagnie même si la direction est informée de l’existence d’une plainte. Vous dites que vous avez subi des pressions juridiques, politiques et intimes. Vous pouvez en parler ?
Ce qui s’est passé au niveau juridique, c’est que j’ai été jugée pour atteinte à la présomption d’innocence. J’ai gagné. Et dans ce procès, il a été dit que le droit à la liberté d’expression des victimes avait la même valeur normative que le droit à la présomption d’innocence, donc c’est quelque chose d’assez important. Mais les pressions juridiques, ça fait perdre de l’argent. Je n’ai pas énormément d’argent face à un comédien de la Comédie française qui est dans une situation plus confortable.
Les pressions institutionnelles, c’est aussi avoir son nom qui revient en boucle chez certaines personnes du milieu théâtral et qui ont pu percevoir chez moi et chez le collectif quelque chose de dangereux. Tout le monde sait qu’il y a des hommes qui sont haut placés et qui sont violents envers les femmes. C’est à ce degré-là, en tout cas, que j’ai pu recevoir des violences institutionnelles, des intimidations. Et aussi beaucoup de cyber-harcèlement, de menaces de mort d’incitations au viol. C’est ce qui arrive à toute personne militante des droits des femmes, ou à toute femme qui ose s’exprimer sur les violences qu’elle a subies, surtout si elle politise son vécu et si elle ne se tait pas.
Est-ce que cela a empiré avec la publication au mois de juin du livre #Metoothéâtre ?
Non, le livre est plutôt bien reçu dans le milieu institutionnel du théâtre parce que c’est quelque chose de concret. Un livre, ça fait bien. S’exprimer sur les réseaux sociaux en son nom, c’est trop intime, trop personnel. Et puis les seules personnes qui lisent le livre sont des personnes qui ont envie de se renseigner. Cela crée moins de situations d’intimidation.
Quelle est la particularité du monde du théâtre qui justifie ce hashtag Metoo spécifique ?
Il y a plusieurs choses. Déjà au niveau physique, il y a plus de possibilités pour les personnes de se toucher. Donc la vision du consentement est déjà plus compliquée que dans d’autres milieux. C’est-à-dire que c’est une situation de jeu et puis il faut savoir aussi différencier le personnage de la personne réelle, de la personne qui ressent les émotions et les situations de violence, parce qu’il y a des pièces avec de la violence physique, mais il faut que tout cela soit cadré. Et puis dans le milieu théâtral, qui est un tout petit milieu, si quelqu’un vient dans un but de séduction, en nous proposant un rôle… qu’est-ce qu’on fait ? C’est toute cette problématique-là.
Qu’est-ce qu’on doit supporter pour réussir dans un milieu où beaucoup de femmes commencent. Il y a plus de femmes au début en école de théâtre et puis très peu de rôles féminins après. Généralement, il va y avoir dix rôles masculins pour trois ou quatre rôles féminins. Cela crée une situation de tension, de concurrence entre femmes, et ça va créer des situations de violence.
Et c’est le fait que c’est un tout petit milieu où des choses sont gardées secrètes depuis longtemps. Parfois on se dit : « Telle personne est lourde ». Généralement, quand on dit ça, après on se rend compte qu’il y a eu des situations d’agression sexuelle qui ont pu être répétées. Ce qui se passe aussi, c’est que là tous les noms qui ressortent sont ceux de personnes qui ont entre 40 et 50 ans, qui ont été en école de théâtre ou au conservatoire. Ce sont des gens qui se connaissent depuis 20 ans. Comment va-t-on protéger une victime plutôt jeune face à quelqu’un qu’on connaît depuis 20 ans ?
C’est évoqué dans les témoignages du livre : les femmes ne sont pas forcément exemplaires
Oui en tout cas en matière de violence institutionnelle. C’est toute la problématique du pouvoir. Quand une femme est directrice de lieu, elle va devoir faire ses preuves cinquante fois plus qu’un homme. Et donc elle va prendre un rôle de petit chef et être dans une forme de misogynie intégrée parce que c’est le milieu qui veut ça et parce que c’est le pouvoir qui appelle ça. Et aussi parce qu’il y a eu un manque de sororité chaque fois qu’une affaire a éclaté. Ou ça va être plus facile de se dire : telle victime, elle n’est pas parfaite parce qu’elle a fait telle chose dans sa vie qui n’est pas forcément bien. C’est tout le système patriarcal qui est à revoir.
Je n’ai pas forcément envie de blâmer des femmes qui sont dans des situations où elles ne peuvent pas faire autrement. Mais c’est vrai que le patriarcat ne concerne pas que les hommes et que la sensibilité à l’écoute de la parole de la victime doit se faire dans toute la société, qu’importe le genre de la personne.
Anne Monfort évoque certaines terminologies nauséabondes telles qu’il faut séparer l’homme de l’œuvre. Quelle est votre position à ce sujet ?
Ce n’est pas forcément le cas du #Metoothéâtre, je milite personnellement pour la déprogrammation des spectacles d’artistes qui sont accusés d’agression sexuelle et de viol, sous couvert de justice en disant : « Il y a une plainte qui est déposée, on verra ce qui se passera ». Tant qu’on laisse les hommes suspectés ou condamnés (parce qu’il y en a aussi) à leur place dans l’économie du spectacle vivant, qu’est-ce que l’on va dire aux victimes ? On leur dit : « Vous, vous allez perdre votre métier, vous risquez d’avoir des animosités envers des personnes, on va vous prendre pour quelqu’un qui n’a pas d’intimité, qui n’a pas de pudeur ».
Tandis que les hommes, quand ils sont accusés, quand il y a une plainte, il ne se passe rien. Quand il y a un classement sans suite il ne se passe rien. Il y a juste des rumeurs, il ne se passe rien. Quand il y a une condamnation, il ne se passe rien. Quand la personne fait de la prison, elle revient. C’est ça le problème. Qu’est-ce qu’on fait au niveau de notre éthique et de notre morale personnelle ? Moi je pense qu’il ne faut pas séparer, parce que la personne qui agresse est aussi la personne qui va créer une œuvre. Et ce qu’on a aussi dans le milieu théâtral et dans d’autres milieux, c’est que plus une personne va être violente et torturée, plus on va dire que c’est un génie. Et cela se répercute sur toutes les personnes qui travaillent avec cette personne.
Est-ce que ce n’est pas une attitude qui manque de nuance ?
C’est-à-dire ?
D’être pour la déprogrammation avant qu’une enquête soit menée. Il y a quand même la présomption d’innocence.
La présomption d’innocence, elle garantit qu’une personne ne soit pas condamnée par avance. Une condamnation, c’est une condamnation pénale. Une éthique en terme de programmation n’a rien à voir avec quelque chose de juridique. Ce sont deux choses complètement différentes. On amalgame beaucoup par rapport à la présomption d’innocence. Moi, pour avoir été jugée pour attentat à la présomption d’innocence, j’ai compris ce que c’était parce que je me suis renseignée.
Ensuite, une programmation, on choisit déjà qui on va mettre en avant. Nous on demande la parité. Pourquoi on ne pourrait pas enlever les personnes qui sont suspectées le temps de l’instruction par exemple, et on met des femmes à la place pour garantir une égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans le milieu théâtral.
Nicola Raccah est l’un des rares hommes à signer un texte de cet ouvrage. C’est assez fort ce qu’il dit de ses propres interrogations sur ce qu’est être un homme accompli. Il explique notamment qu’il a rencontré une forme de courage dont on ne lui avait jamais parlé. Il ne s’agissait pas d’en découdre, vaille que vaille, de conquérir de nouveaux territoires mais de s’enfoncer dans ses propres doutes intérieurs. Vous dites que la peur a changé de camp, mais des réflexions de ce type, est-ce que c’est aussi plein d’espoir ?
J’ai vraiment beaucoup d’espoir. La jeune génération connaît tous les concepts que je ne connaissais pas quand j’étais adolescente. Je ne savais pas ce qu’était une agression sexuelle, ce qu’était du harcèlement sexuel. Je pensais que c’était des hommes lourds, ce genre de chose. Mais que la jeune génération puisse déjà se saisir de ce qu’il est possible de faire et ce qui est pénalement répréhensible, ça donne un peu de courage.
J’ai pu avoir des discussions passionnantes avec des hommes comme des femmes pour leur expliquer ce qu’est le droit, ce que c’est que d’avoir été victime de ces agressions-là et j’ai l’impression qu’il y a déjà un changement avec beaucoup plus de sororité. Oui, ça me donne beaucoup d’espoir et on a besoin des alliés hommes parce qu’on ne s’en sortira pas juste entre femmes.
Dénoncer les violences sexistes dans le monde du théâtre, est-ce que cela fragilise ou est-ce que cela donne de la force ?
Moi, ça m’a donné beaucoup de force. Quand j’ai témoigné la première fois, je n’ai pas témoigné pour viol, j’ai témoigné des violences physiques dont j’avais été victime en postant des photos de mes bleus sur les réseaux sociaux. Toute mon année 2021, je n’ai été que dans des procédures judiciaires, où j’avais peur à chaque fois que je témoignais publiquement. Et là, maintenant, je n’ai plus peur.
Et surtout, on est soutenu. Donc ça donne beaucoup de force. Beaucoup de rage aussi. Et cette rage-là, elle permet d’avoir de l’énergie, de combattre et de se soutenir. Et à partir du moment où on a connu les procédures judiciaires, la violence institutionnelle de la justice, on n’a pas envie que ça arrive à d’autres. On a envie de témoigner de ce que c’est que de porter plainte, que d’avoir des expertises psychiatriques, d’être auscultée par un médecin légiste, plein de choses auxquelles on ne pense pas forcément. Et oui, ça donne beaucoup de force.
Et ça m’a appris ce qu’est la sororité. Et j’ai l’impression d’avoir renoué avec toute une partie de l’humanité parce que moi aussi, j’étais dans une forme de misogynie intégrée. Je ne pensais qu’au regard que les hommes pouvaient avoir sur mon travail. Et là, j’ai l’impression qu’on est une vraie meute en fait. Une vraie meute qui veut se protéger les unes les autres. Et ça, c’est vraiment beau.
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