INTERVIEW. Figure du militantisme féministe de ces dernières années, Lauren Bastide poursuit son combat de vulgarisation de la pensée féministe, avec la publication de Futur.es (éditions Allary). Elle y dessine les contours de ce que serait une société « vraiment féministe » selon elle.
Elle ne s’offusque pas du terme « vulgariser ». Elle l’utilise même, le revendique. Lauren Bastide fait partie de ces femmes qui ont contribué à mettre en lumière les pensées féministes, depuis la création de son podcast « La Poudre » il y a six ans, à la publication de ses deux livres, Présent.es (2020) et Futur.es (en librairies depuis début octobre), en passant par ses interventions publiques et médiatiques. Dans son dernier livre, fidèle à une certaine tradition des luttes féministes de mêler intime et politique, elle détaille comment, selon elle, le féminisme « peut tout changer », de la justice à la politique en passant par l’écologie.
Que souhaitez-vous démontrer avec Futur.es ?
Démontrer que la pensée féministe a un pouvoir transformateur qui concerne l’ensemble de la société. Le féminisme ne parle pas que des femmes. C’est une façon de regarder le monde, le développement d’une structuration analytique qui permet de comprendre tous les pans de la société différemment. Cela concerne les femmes, mais aussi les hommes, les adultes mais aussi les enfants et les personnes âgées. On parle de classes, de travail, de justice, de racisme, de mondialisation, de nature, de guerre… On peut tout regarder et tout changer avec le féminisme.
La façon dont les médias ont traité MeToo, la façon dont MeToo a été compris est une catastrophe
À qui vous adressez-vous ?
J’ai envie de parler à tout le monde, y compris aux personnes qui ne sont pas convaincues par le féminisme, y compris, voire surtout, aux hommes.
Dans le livre, vous abordez la justice réparatrice, dans le cadre des violences sexistes et sexuelles. Est-ce la direction que doit prendre une justice féministe ?
L’idée de la justice réparatrice est intéressante et vertigineuse, et encore très balbutiante en France. L’expression « justice féministe » ne suffit pas à résumer cette pensée, parce que principalement, le féminisme tel qu’il est porté dans nos sociétés est un féminisme carcéral, qui a pour objectif de punir les violeurs et les agresseurs, d’obtenir des plaintes, des enquêtes, des procès et des condamnations. Ce qui pourrait être intéressant, si le système fonctionnait. Or, le système ne fonctionne pas. La Fondation des Femmes a fait circuler ce chiffre tellement éloquent : sur 95 000 viols déclarés en 2020, il y a eu 721 condamnations. Il y a un mouvement féministe anticarcéral, qui prend ses racines dans l’afroféminisme, qui suggère que la prison n’est pas un outil utile pour lutter contre le viol. C’est l’idée que finalement, quand une personne a commis un crime, plutôt que de l’isoler, le plus réparateur pour la société, pour la victime et pour l’auteur du crime, c’est de le tenir plus prêt, et au contraire de déclencher le dialogue avec lui. Quand j’ai lu les travaux de la sociologue Gwenola Ricordeau sur la question, cela m’a convaincu que c’était certainement la réponse féministe à apporter à la violence. Comme j’ai été assise sur le banc d’un procès au pénal, je savais exactement de quoi elle parlait quand elle disait cela.
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Vous considérez que MeToo a été un échec. Pourquoi ?
J’emploie cette phrase de façon un peu dramatique et grandiloquente, mais cela a l’air de dire ce que je n’ai pas voulu dire. Je pense que le geste MeToo, la force déployée en même temps par des milliers de femmes pour témoigner des viols et des agressions sexuelles subies, est tout sauf un échec. Il y avait une idée vraiment très judicieuse dans ce geste-là, de montrer le caractère systémique : en disant « moi aussi », on était en train de dire « nous toutes ». En cela, ce n’était pas du tout un échec. En revanche, la façon dont les médias ont traité MeToo, la façon dont MeToo a été compris, est pour moi un échec, une catastrophe même. MeToo a permis à un certain type de femmes uniquement d’accéder à l’espace public : elles sont courageuses, et ont payé très cher leur audace. Mais il n’empêche que les femmes qu’on a entendu dire « MeToo », ce sont celles qui avaient le privilège de voir un micro tendu vers elles, et de pouvoir témoigner. Cela ne suffit pas.
Collectivement, il faut qu’on ait peur, pour se structurer, s’organiser et répondre aux urgences
Dans quel sens cela n’est-il pas suffisant ?
En présentant MeToo et le viol comme une guerre des femmes contre les hommes, on passe à côté de ce qu’est le viol. Du fait que le viol a lieu partout et tout le temps : au sein des familles, à commencer par les enfants, les femmes pauvres, précarisées… On passe à côté du fait que le viol s’exerce avant toute chose sur les enfants, et que, parmi ces enfants, il y a beaucoup de garçons. Et qu’il y a des hommes qui ont été violés, plus que l’on croit… On passe à côté du fait que le viol c’est aussi une arme de guerre. On passe à côté du fait que le viol et l’agression sexuelle est une violence qui s’exerce par la police, sur des hommes racisés, sur les hommes pauvres, dans les prisons. C’est vraiment très loin d’être une simple domination homme sur femme. Même si, il faut aussi rappeler ce chiffre : 96 % des viols sont commis par des hommes. Mais c’est plus complexe que cela : nous n’avons pas encore la mesure de ce dont on parlait : une domination systémique.
Est-ce qu’on peut avoir de l’espoir finalement ?
J’ai un peu forcé l’espoir dans le livre, parce que je suis profondément inquiète et désespérée. Je suis allée chercher des raisons d’espérer pour panser mon désespoir. Je suis dévorée par l’anxiété climatique et je suis très inquiète de la montée de l’extrême-droite. Collectivement, il faut qu’on ait peur, pour se structurer, s’organiser et répondre à ces urgences-là, avec notamment, le féminisme.
Cela passe par quoi alors ? Le militantisme, les partis, les deux ?
Je crois beaucoup à la désobéissance civile , à l’action non-violente, comme ce que fait le collectif Dernière Rénovation . Mais la révolution féministe est aussi silencieuse. On n’est pas obligé de transformer son féminisme en livre ou en post Instagram. Parfois, une avocate qui décide de travailler pour défendre des femmes victimes de violences ou une sage-femme qui décide d’ouvrir une permanence pour les personnes transsexuelles dans la maternité où elle travaille, elles sont en train de changer le monde. Le féminisme, c’est des pensées, des discours, mais c’est aussi des gestes et des actions.
Réhabiliter une forme d’émotionnel en politique pourrait clairement ne pas faire de mal
On reproche beaucoup à certaines femmes politiques, dont Sandrine Rousseau, d’utiliser ses émotions, de les ressentir sans s’en cacher. Est-ce que l’émotion, ça doit être aussi un moteur politique ?
On peut se demander pourquoi cela suscite autant de violence, et pourquoi l’expression d’une émotion en politique choque. Il y a une structuration binaire du monde et des discours qui repose sur une opposition entre émotion et rationalité, qui se reflète dans l’opposition entre nature et culture et femmes et hommes. Systématiquement, on va renvoyer les femmes vers la nature et l’émotion, et les hommes vers la rationalité et la culture. Cette stigmatisation des émotions, c’est une stigmatisation sexiste. Évidemment que les personnes qui font de la politique sont des personnes humaines, qui ressentent de la tristesse, de la peur et de la colère. On les a tellement robotisés, interdit d’exprimer leurs émotions que cela les coupe d’une partie des gens, d’une certaine sensibilité qui leur permettrait de prendre des décisions différemment. Réhabiliter une forme d’expressivité et d’émotionnel en politique pourrait clairement ne pas faire de mal. Comment gouverner sans parler de peur et de tristesse aujourd’hui ? Cela me paraît compliqué.
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Est-ce politique, de parler des émotions, de la peur, de la tristesse et de l’angoisse ?
C’est drôle, quand elle est du côté des revendications, de la colère, l’émotion est bien estampillée, on la nomme… Les personnes qui reçoivent ces revendications sont aussi des êtres de chair et de nerfs et de sang. Il y aussi forcément une réaction émotionnelle qui devrait se produire. Je trouve cela incroyable que l’on n’ait pas encore vu des gouvernants pleurer en prenant conscience du rapport du Giec . Ce dernier explique que les enfants qui naissent aujourd’hui auront un monde invivable quand ils auront trente ans : c’est une bonne raison de pleurer.
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