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La Chine, qui clame son ouverture sur le monde, n’en demeure pas moins une puissance régionale aux revendications territoriales parfois hégémoniques sur les mers asiatiques. Tour d’horizon de ses conflits de voisinage.
Contrairement aux États-Unis, la Chine est signataire de la Convention des Nations unies pour le droit de la mer (CNUDM). Ce texte, qu’elle a d’ailleurs ratifié, vise à fixer un cadre aux relations entre États sur les mers et océans du globe. Il se rattache notamment à des mécanismes de justice internationale permettant de trancher des litiges. Ce fut le cas en 2016, à l’initiative des Philippines, qui estimaient que la Chine violait leur « Zone économique exclusive » (ZEE).
Problème, cette « constitution des océans » ne règle pas tous les différends. Et parfois, elle contribue à en créer. C’est notamment le cas dans les mers de Chine, où la RPC, deuxième puissance mondiale et première puissance asiatique, fait valoir « l’extension de son plateau continental » (PC), et surtout des « droits historiques » et la présence ancienne de ses pêcheurs dans des zones qu’elle convoite, parfois très loin de ses côtes et tout près de ses voisins, pour s’y implanter.
Les considérations d’ordre historique, et celles relatives à la pêche traditionnelle, sont mentionnées dans la CNUDM, qui y consacre une partie de ses articles 15, 51 et 298. Idem pour le plateau continental. Mais cela ne suffit pas à valider les desiderata de Pékin, comme l’a acté la victoire de Manille dans sa demande d’arbitrage. Notamment parce que rien ne permet de prouver l’antériorité des Chinois sur des eaux fréquentées depuis des millénaires. Bien au contraire.
La Chine s’estime pourtant chez elle dans la quasi-totalité de la mer de Chine du Sud, et dans une bonne partie de la mer de Chine de l’Est. Aucun autre pays de la région ne joint l’acte à la parole à ce point, et aucun ne peut se targuer d’être la deuxième marine du monde en tonnage. Dans sa quête de sécurité, la RPC a multiplié ces dernières décennies les accrochages en haute mer. Sa méthode : pousser ses voisins à négocier dans un cadre bilatéral, directement avec elle.
• Taïwan, le double fragile de la Chine
Une quinzaine d’États seulement reconnaissent aujourd’hui l’existence de l’adversaire le plus intime de la République populaire de Chine, à savoir la « République de Chine ». L’ancien régime nationaliste chinois, retranché dans la province de Taïwan depuis la victoire de Mao en 1949, a fêté son centenaire au début des années 2010. Et en janvier 2020, les Taïwanais ont réélu une présidente « indépendantiste » : Tsai Ing-wen. Elle était notamment opposée au candidat du Kuomintang, le parti des anciens présidents chinois Sun Yat-sen et Chiang Kai-shek ; une formation actuellement favorable à la réunification.
Jusqu’au milieu des années 1950, dans sa lutte contre Chiang Kai-shek, la Chine populaire a progressivement ravi à ses rivaux nationalistes, autour du continent dans les deux mers de Chine, les îles ou groupes d’îles de Zhoushan, Tachen, Yijiangshan, Dalushan, Nanji, Nanri, Dongshan, Nan’ao, Wanshan, Nanpeng ou encore Hainan, la plus grande île de Chine. À cette époque, cette dernière a d’ailleurs fait l’objet d’une invasion amphibie. Mais les réfugiés nationalistes de Taïwan ont conservé Itu Aba (alias Taiping), les Dongsha (Pratas), les Penghu, les Wuqiu, une partie des Matsu ou encore Kinmen, île située tout près du continent.
Taïwan est devenue, avec le temps, une démocratie libérale. Aux yeux de Pékin, toute déclaration d’indépendance demeure néanmoins une ligne rouge à ne pas franchir de l’autre côté du détroit de Formose et de sa « ligne médiane ». Toute intervention tierce est perçue comme une ingérence. Le respect du statu quo est brandi, de manière de plus en plus ferme, comme préalable à toute discussion concernant l’archipel, de plus en plus isolé du fait des rétentions chinoises contre les pays souhaitant commercer avec Taipei. Depuis 1992, un « consensus » inter-détroit sert de base aux relations entre « compatriotes » des deux rives.
L’histoire contemporaine de l’archipel de Taïwan est à nulle autre pareille, différente de celle de la Corée ou du Vietnam. Dans quel autre pays – car cette entité présente de fait les attributs d’un pays – un gouvernement prend-il autant de précautions pour éviter de prononcer ou d’écrire à mauvais escient le mot « frontière » ? Les sentiments contrastés de Taïwan vis-à-vis de la grande Chine poussent son régime à des contritions sémantiques incessantes. En 2015, la rencontre historique et millimétrée entre Xi Jinping et Ma Ying-jeou, prédécesseur de Tsai Ing-wen issu du Kuomintang, fut à cet égard un cas d’école.
Ce flou, avec un voisin qui n’en est pas vraiment un, permet au continent d’entretenir un rêve : si l’intégration économique ne suffit pas à rapatrier Taïwan en douceur, la Chine se garde le droit de reprendre la main militairement sur « sa » province, au matériel certes vieillissant, mais qui permet pour l’heure, avec l’appui américain, de restreindre les mouvements chinois dans le Pacifique, où la septième flotte de la marine des États-Unis règne en maître, aux côtés du Japon. Sauf que les Taïwanais se sentent de moins en moins « uniquement chinois » et qu’une bonne partie d’entre eux craignent le modèle hong-kongais.
Washington évalue donc régulièrement les scénarios d’un possible conflit entre les deux Chine dans ce détroit bardé de missiles : blocus ou quarantaine maritime, moyens coercitifs et usage limité de la force, attaque aérienne type « décapitation », invasion amphibie et aéroportée. « L’effort de modernisation militaire poursuivi par la Chine depuis plusieurs décennies a érodé ou annulé bon nombre des avantages dont jouissait historiquement Taïwan pour dissuader une agression », pouvait-on lire dans un rapport il y a quelques années. Tous les livres blancs de la défense taïwanaise font la part belle à ce risque asymétrique.
D’une « crise » à l’autre, malgré des échanges florissants, la guerre civile ayant débouché sur la révolution maoïste ne s’est donc, techniquement, jamais vraiment achevée. Situation d’autant plus spécifique que les revendications de la Chine populaire actuelle, ailleurs en haute mer, sont celles développées auparavant par la République de Chine lorsqu’elle contrôlait le continent. Si bien que les deux frères ennemis ont gardé les mêmes visées régionales, par exemple en mer de Chine méridionale, au nom d’une seule Chine, qu’ils prétendent tous deux incarner. Avec Itu Aba, Taïwan est implantée jusque dans les Spratleys.
• Le Japon, ce grand rival des mers
L’archipel des îles « Senkaku », comme disent les Japonais, comprend huit îlots et rochers plus ou moins émergés, situés à mi-chemin entre la côte chinoise et l’île japonaise d’Okinawa, non loin de Taïwan. Pour chacun de ces lopins de terre, Japonais et Chinois ont leurs propres noms de longue date. Pékin appelle l’archipel « Diaoyutai », les îles Diaoyu. En 1969, la Commission économique de l’Asie et de l’Extrême-Orient pour les Nations unies (ECAFE, devenue CESAP par la suite) a publié un rapport sur les réserves en gaz et en pétrole que pourrait abriter la zone. Dans la foulée, un conflit territorial non armé éclatait.
De nos jours, le Japon et la Chine ne parviennent plus à se mettre d’accord sur leur frontière. En 2008, ils se sont arrangés pour développer conjointement les réserves sous-marines dans la zone, avec interdiction d’effectuer des forages individuels. Mais dès 2015, Tokyo a accusé Pékin d’avoir lancé sept plates-formes de forage sur place. Les eaux environnantes étant par ailleurs riches en ressources halieutiques, et notamment en guano – que le Japon a longtemps exploité dans les îles Senkaku –, plus le conflit s’envenime, plus les pêcheurs testent la limite eux-mêmes, quand ils ne sont pas soutenus par l’État.
Un gros incident a eu lieu en 2010, lorsqu’un bateau de pêche chinois est entré en collision avec des garde-côtes japonais venus lui intimer l’ordre de s’en aller. Une crise diplomatique sérieuse s’en est suivie, avec des menaces explicites, une recrudescence d’actes nationalistes sur place – y compris venant de Taïwanais hostiles à Tokyo –, et l’annulation de rendez-vous de haut niveau et d’échanges entre le Japon et la Chine. En novembre 2013, Pékin a finalement annoncé la mise en place unilatérale d’une Zone d’identification de défense aérienne (Zida) englobant l’archipel contesté, créant des nouvelles tensions.
Incidents de pêche, débarquements de nationalistes ou d’officiels souhaitant réaffirmer la primauté de leur pays, survols aériens, incursions de flottes, manifestations violentes ; tel est le quotidien des îles Senkaku/Diaoyu, qui réveillent nombre de passions entre le Japon d’un côté, Taïwan et la Chine continentale de l’autre. En 2012, le gouverneur de la préfecture de Tokyo, Shintaro Ishihara, a créé un tollé en émettant le souhait de voir rachetés trois rochers, qui étaient alors des propriétés privées. Le gouvernement central a fini par proposer de les racheter lui-même…
Selon la diplomatie nippone, les incursions chinoises dans la zone contiguë des îles Senkaku/Diaoyu ont atteint un record en 2019. Les Chinois ne lâchent pas, eux qui considèrent d’ailleurs que la configuration du plateau continental leur donne potentiellement des droits s’étendant jusqu’à une zone bien plus proche encore d’Okinawa, l’un des points clés du dispositif militaire américain dans la région. Pékin appréciera les dernières déclarations du secrétaire américain à l’Armée, Ryan McCarthy, qui dit étudier des plans pour déployer des armes et des soldats sur les îles Senkaku/Diaoyu dès l’an prochain.
La colère de la Chine au sujet de ces îles cache un ressentiment plus profond doublé d’un impératif stratégique pour le contrôle de la mer de Chine orientale. Tout remonte à la « mère des humiliation », en 1895, à l’issue d’une guerre entre l’empire du Japon et la dynastie mandchoue des Qing, lorsque le traité de Shimonoseki a vu les Japonais mettre la main sur des positions qu’ils perdront ensuite en 1945, à savoir l’île de Taïwan et les Penghu. Les Chinois considèrent qu’à ce moment, les Japonais en ont profité pour dérober les îles Senkaku, qui n’étaient pas explicitement mentionnées. Le Japon rétorque qu’il les occupait déjà.
Les Chinois estiment en fait que ces îles faisaient partie du système de défense côtière de l’empire Qing, et font valoir qu’elles sont mentionnées sur des cartes historiques et que trois de ces îles ont été offertes formellement par l’impératrice Cixi à l’un de ses herboristes, Sheng Xuanhuai, en 1893. Soit deux ans avant l’arrivée des Japonais. Sauf qu’ils n’ont jamais occupé les lieux physiquement, si bien qu’au regard du droit international, les Senkaku/Diaoyu constituaient une terra nullius. Les Japonais, très à l’aise avec les normes occidentales à la fin de l’ère Meiji, les ont donc annexées et, surtout, se sont mis à les administrer.
• Vietnam : le plus belliqueux des voisins
À l’aune des célébrations du 70e anniversaire du régime communiste chinois, Pékin a annoncé en 2019 le déploiement d’une nouvelle plate-forme pétrolière en eaux profondes : le Haiyang Shiyou 982. De quoi rappeler des mauvais souvenirs au Vietnam, puisque cette plate-forme devait être envoyée en mer de Chine méridionale, une étendue d’eau que les Vietnamiens appellent « la mer de l’Est ». En 2012, quand la Chine avait mis en service le prédécesseur de cette plate-forme, le Haiyang Shiyou 981, Hanoï avait dénoncé avec véhémence le fait que le dispositif violait sa Zone économique exclusive (ZEE) revendiquée.
Par ailleurs, l’été dernier, le prospecteur océanographique Haiyang Dizhi 8 et deux vaisseaux armés des garde-côtes chinois sont venus perturber un projet vietnamien d’exploration pétrolière autour de Vanguard Bank, une nouvelle fois à l’intérieur de la ZEE revendiquée par Hanoï. Tout cela rappelle que le cycle d’incidents sino-vietnamiens commencé en 2014, autour de la question énergétique, continue. Pékin prospecte en mer et n’apprécie pas que son voisin communiste travaille sur les mêmes étendues d’eau avec d’autres nations, comme avec la firme espagnole Repsol et l’ONG indienne Videsh, par exemple.
Mais là encore, le problème est plus profond. Sans remonter le fil de la longue histoire des « Annamites », inextricablement liée à celle des Chinois, il est possible d’affirmer que le Vietnam peut se révéler le plus belliqueux des voisins de la Chine populaire, lorsque cette dernière fait preuve d’hégémonisme régional en faisant fi des convictions territoriales du Vietnam… Car les Vietnamiens sont eux-mêmes très, très ambitieux dans la région : ils sont en effet persuadés, ni plus ni moins comme les Chinois, que les archipels Spratleys et Paracels, loin au large de leurs côtes, leur appartiennent intégralement aussi. Et ils sont prêts à se battre.
La France a contribué, par sa politique coloniale, et notamment son utilisation des édits vietnamiens, au sein des archives impériales Nguyen, à forger les revendications actuelles du Vietnam communiste en mer de Chine méridionale. Comme les Chinois, les Vietnamiens regorgent d’arguties historiques à faire valoir, même si elles sont sans grand intérêt au regard de la Convention des Nations unies pour le droits de la mer. Elles renvoient pour beaucoup au règne de l’empereur Gia Long, au XIXe siècle. Les Vietnamiens ont leur propre nom pour les Paracels : Quan Dao Hoang Sa. C’est aussi le cas pour les Spratleys.
En janvier 1974, les communistes de Hanoï ne se préoccupent pas encore de toutes ces îles. Ce sont les nationalistes du Vietnam du Sud, soutenus par les Américains dans leur lutte contre le PC basé au Nord, qui les occupent. Le régime de Saïgon est alors affaibli par la guerre civile sur le continent ; il vit ses derniers instants. Et tandis qu’il maintient une présence sur l’île Pattle, dans les Paracels, un groupe de civils chinois débarque dans l’archipel, protégé par des navires de guerre. Les Sud-Vietnamiens contre-attaquent, les vaisseaux s’agglutinent, mais doivent rapidement céder. Bilan : plus de 70 morts, dont plus de 50 Vietnamiens.
À l’époque, le Vietnam du Sud perd les îles Paracels, qu’il revendique encore de nos jours malgré la mainmise chinoise. Mais il contrôle aussi, déjà, l’île Spratley, dans l’ouest de l’archipel du même nom. Il va alors consolider sa présence sur Southwest Cay et dans le banc de Tizard, jusqu’à l’île de Sand Cay, avant de laisser place aux communistes à la réunification. Lorsqu’ils débarquent à leur tour, à la fin des années 1980, dans l’archipel Spratleys à Fiery Cross, en s’appuyant sur une décision de la Commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco, les Chinois se frottent aussitôt à ces derniers, qui restent omniprésents de nos jours dans toute la sous-région.
Le 14 mars 1988, après des incidents de pêche, une nouvelle bataille meurtrière éclate autour du récif de Johnson South, entre Vietnamiens et Chinois. Bilan : plus de 60 morts vietnamiens. Plus jamais, dès lors, la présence chinoise ne sera remise en question par les armes. Les Chinois, à partir des années 2010, mettront à profit leurs différentes conquêtes en remblayant du sable sur les positions qu’ils occupent pour en faire des « polders ». Mais les Vietnamiens le feront également, notamment à Spratley, West London, Central Reef, Pearson, Cornwallis South, Grierson, Sin Cowe, Southwest Cay ou encore Sand Cay.
• Philippines : les pas de danse de Rodrigo Duterte
Lorsque Benigno Aquino était président des Philippines, les choses étaient simples. Ce pays archipel, allié aux États-Unis depuis les années 1950, comparait alors les politiques menées par Pékin en mer de Chine méridionale aux velléités territoriales nazies des années 1930 en Europe. Les Philippins n’ont attendu personne pour se mettre à « poldériser » leurs propres îles « Kalagan » (les Spratleys), il y a plusieurs décennies. Mais quand la Chine s’est emparée, en 1995, d’un récif corallien situé sous leur nez, à savoir Mischief, ils ont vu rouge. Idem en 2012, lorsqu’un autre récif corallien, Scarborough, a été ciblé par Pékin.
Aujourd’hui, le premier de ces deux atolls est poldérisé, et abrite notamment un aéroport. Quant au second, situé hors des Spratleys, il reste au centre de litiges récurrents avec les Chinois, qui s’en approchent régulièrement. En 2013, le président Aquino a franchi le Rubicon, poussant la justice internationale à se pencher sur tous ces différends au regard de la CNUDM. Et en 2016 à La Haye, un tribunal arbitral a donné pleinement raison à Manille, provoquant la fureur de la Chine, signataire de cette « Constitution internationale des océans » qu’est la CNUDM. Mais cela n’empêche pas l’histoire de bégayer depuis lors, comme à Reed Bank.
En juin 2019, à Reed Bank, un navire philippin s’est fait percuter par un bateau chinois en pleine nuit. Le cuisinier a vu une lumière se rapprocher et a tenté d’alerter l’équipage, trop tard. Puis le bateau n’a pas porté secours aux naufragés passés par-dessus bord, et les esquifs des Philippins, qui se trouvaient autour, sont allés demander secours à un bateau vietnamien. Le président Duterte, en Chine à ce moment, s’est ensuite vu contraint de réagir sous la pression de son opinion publique, et de toutes les forces suspicieuses vis-à-vis de la Chine qu’abrite son pays, lui qui a été élu sur l’idée d’un rapprochement avec Pékin.
Pendant sa campagne électorale, contrairement à son prédécesseur, Rodrigo Duterte s’est en effet montré ambigu sur la manière dont il entendait défendre les intérêts de son pays dans les Spratleys. Il espérait plutôt développer les Philippines à l’aide d’investissements chinois. Et les faits démontrent que, malgré les pas de danse du président, l’idée d’un rapprochement fait son chemin, puisqu’en janvier 2020, les garde-côtes chinois ont mouillé dans le port de Manille, dans le sillage de visites similaires à Subic puis Davao. L’objectif affiché lors de ces rencontres est de trouver un terrain d’entente avec la grande Chine.
L’ancien dictateur Ferdinand Marcos y a beaucoup contribué, les Philippines sont elles aussi implantées dans les Spratleys, et ne se contentent pas d’occuper des positions situées à moins de 20 milles de leurs côtes. Soit dit en passant, à l’inverse de celle des Chinois ou des Vietnamiens, la ZEE de base des Philippines recouvre clairement une partie des Spratleys. Mais ce n’est pas nécessairement le cas de toutes leurs occupations, dont voici la liste : Thitu, West York, Parola, Nanshan, Loaita, Commodore, Flat, Northeast Cay, Second Thomas Shoal et Lankiam Cay. Même si les Philippines n’ont pas toujours les moyens de suivre le rythme des investissements consentis par leurs adversaires, Manille est bien là.
Les Philippins ne revendiquent aucun territoire dans les îles Paracels. Mais les Spratleys, avec leur « jeu de go », leur servent d’horizon à l’Ouest. En 1951, le président Quirino assurait déjà que ces territoires devraient revenir intégralement à son pays. Et en 1956, l’aventurier Tomas Cloma tentera de prendre Itu Aba de force des mains de Taïwan. À la fin des années 1970, le président Marcos a passé un cap. Pour lui, comme aux yeux de son compatriote, Manille doit se montrer ferme. Le dictateur philippin s’empressera, après 1973, de faire occuper et fortifier de nouveaux endroits pour agrandir son territoire maritime au-delà de ces îles.
À cette époque, les Philippines et le Vietnam vont se lancer dans une course-poursuite dans l’archipel, chacun tentant de supplanter l’autre en termes d’infrastructures. Une course qui deviendra inamicale lorsque le Vietnam réunifié supplantera le Vietnam du Sud, allié comme Manille à Washington. Les représentants des deux pays n’ouvriront cependant jamais véritablement les hostilités. Rien à voir avec la croisade politique qui sera menée pendant son règne par Benigno Aquino III, inquiet de voir la Chine chercher tout près des côtes de son pays toutes ces ressources, voire des corridors pour ses sous-marins.
• Jusqu’où va la « ligne en neuf traits » ?
Dans les deux mers de Chine, par ses revendications plus qu’ambitieuses, Pékin est donc en conflit territorial avec le Japon, Taïwan, le Vietnam ou encore les Philippines. Occuper une île, reconnue comme telle par le droit international, c’est s’ouvrir potentiellement des droits sur les eaux qui l’entourent et sur ce qu’elles abritent. La Malaisie est également dans cette logique : dans les Spratleys, elle réclame une pléiade d’éléments maritimes contestés par ses voisins. Outre quelques hauts-fonds et ensembles submergés, Kuala Lumpur lorgne sept îles et cailloux de la région, tous situés à moins de 20 milles de ses côtes.
La Chine, le Vietnam et Taïwan les revendiquent aussi. Hanoï joint d’ailleurs l’acte à la parole, puisqu’il a pris le contrôle, par le passé, de deux de ces territoires situés dans le sud-ouest des Spratleys. Un troisième, dans le sud-est, se trouve dans le giron des Philippines. La Malaisie tient le reste. Depuis 1983, Kuala Lumpur occupe ainsi le récif Swallow notamment. Les Malaisiens appellent cet endroit « Pulau Layang-Layang » et s’efforcent d’y développer le tourisme. Côté infrastructures et matériel militaire, l’atoll a de quoi montrer aux voisins que le pays n’est pas totalement démuni en cas d’escarmouche.
Il y a toujours plus petit que soi. Mais dans les Spratleys, tout le monde est membre de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), et personne ne se laisse marcher sur les pieds, même si Pékin tente d’empêcher les coalitions contre elle. Ainsi, au nom de ses droits à une ZEE de 200 milles marins face à ses côtes, le richissime sultanat de Brunei, puissance pétrolière enclavée sur la côte nord de l’archipel malaisien, a lui aussi ses revendications : il réclame depuis 1992 le récif Louisa. Par le passé, la Malaisie le lorgnait, mais Kuala Lumpur a fini par abandonner cette revendication, contrairement à la Chine et au Vietnam.
En mer de Chine méridionale, le flou entourant les revendications non pas tant vietnamiennes, mais les revendications chinoises en tout premier lieu, inquiète particulièrement l’Indonésie, dont le président s’est rendu le 8 janvier dernier dans l’archipel de Natuna. Joko Widodo entendait souligner la souveraineté de son pays sur ces nombreuses îles, situées à l’ouest de Bornéo, et que Jakarta administre depuis son indépendance. Un héritage des Indes néerlandaises, conforté par le droit international, mais dans lequel des marins chinois se font régulièrement prendre en pleine pêche illégale, avec le soutien de garde-côtes.
Dans les Spratleys, dans les Paracels, dans le reste de la mer de Chine méridionale voire en mer de Chine orientale, l’Indonésie ne réclame aucun droit et se tient à bonne distance des tensions. Elle est pourtant l’héritière la plus évidente de l’histoire des Austronésiens, si l’on s’en tient au jeu régional de l’antériorité historique. Mais loin d’en jouer, Jakarta apprécierait plutôt que la Chine clarifie ses visées, Pékin refusant de publier les coordonnées exactes du parcours de sa « ligne en neuf traits », un tracé dessiné sur une carte officielle, qui délimite le territoire maritime revendiqué par la Chine et qui flirte avec les Natuna.
S’adressant à la presse depuis l’île de Natuna Besar, le président Widodo a donc ressenti la nécessité de réaffirmer début janvier 2020 que cet archipel faisait partie du territoire indonésien sans le moindre doute possible, et qu’il n’y avait donc aucune négociation à espérer au sujet de la souveraineté sur ces îles. Il s’agissait de la quatrième visite de Joko Widodo sur place ; elle visait à répondre aux dernières tensions en date, survenues fin d’année 2019 après une énième incursion de navires de pêche chinois – et pas seulement – dans la ZEE revendiquée par Jakarta, une nouvelle fois sous escorte des garde-côtes chinois.
Le discours du président n’aura pas fait cesser les incidents de ce type. L’Indonésie a récemment dû déployer des avions de combat, des navires de guerre et une multitude de pêcheurs basés à Java pour réaffirmer la primauté de ses droits dans les îles Natuna. Jakarta estime que les navires étrangers peuvent traverser sa ZEE, mais en aucun cas y pêcher. L’Indonésie entend lutter vigoureusement contre le phénomène, tout en émettant le souhait que ces actes « illégaux » n’affectent pas ses bonnes relations bilatérales avec Pékin.
► Dossier : La superpuissance maritime chinoise hier, aujourd’hui et demain
► Notre série sur les Territoires disputés
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