Foule de visiteurs devant “Le Bassin aux nymphéas, harmonie verte” de Claude Monet au Musée d’Orsay à Paris.
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Enquêtes
Par Charlotte Meyer
Publié le 17/01 à 10h00 l Modifié le 17/01 à 10h16
De la réduction de la consommation énergétique à la sensibilisation des visiteurs, la transition écologique se met en marche dans les institutions culturelles.
C’était en mars 2020. Bien loin de leur effervescence quotidienne, les musées, contraints à la fermeture, faisaient grise mise. Mais si elle les a pendant plusieurs mois privés de leurs visiteurs, la pandémie de Covid aura eu pour effet de susciter un sursaut écologique dans le milieu muséal. Depuis la crise sanitaire, les institutions culturelles ont en effet décidé de se retrousser les manches pour réduire leur empreinte carbone. Du Centre Pompidou au Louvre, ils sont nombreux à avoir sauté le pas pour prendre un virage écologique.
Selon le collectif Les Augures, qui accompagne les acteurs du monde de l’art dans leur transition depuis 2020, « un grand musée français émet, en moyenne, environ 9.000 tonnes de CO2 par an, soit l’empreinte annuelle de 800 Français ». Ces institutions ont donc bien un rôle à jouer dans la lutte contre le dérèglement climatique. Et entre économies d’énergie, mutualisation des ressources ou encore réduction des déchets, la tâche est loin d’être simple.
A l’heure qu’il est, la plupart des musées possèdent un responsable RSE (responsabilité sociétale des entreprises) chargé de faire transiter les établissements sur une voie durable. En 2011, le Louvre est le premier à créer le poste de chargé de développement durable dans son institution. L’année précédente, il réalisait son premier bilan carbone et s’affichait parmi les premiers musées signataires de la Charte développement durable des établissements et entreprises publics.
De manière générale, la prise de conscience environnementale de ces institutions culturelles remonte donc à plus de dix ans mais la crise sanitaire a accéléré le mouvement. Julie Narbey, la directrice générale du Centre Pompidou depuis 2017, se souvient : « Lors du premier confinement est apparue une envie partagée de chacun des métiers de s’engager dans cette voie. Nous avons donc mis en place une démarche très participative, portée par l’ensemble des départements du Centre. Les objectifs ne sont pas fixés uniquement par une direction générale, mais bien par la motivation de toutes les équipes sur ce projet. »
En 2020, le Palais de Tokyo engage son premier directeur de la communication et de la RSE, témoignant de sa volonté d’intégrer pleinement la transition écologique dans son organigramme. « Il y a l’idée que cela concerne l’ensemble de nos activités », affirme Marianne Berger-Laleix, directrice générale déléguée du Palais.
C’est animé par une volonté semblable que le musée d’Orsay a mis en place un collectif RSO (responsabilité sociétale des organisations). Celui-ci regroupe une vingtaine d’agents représentant l’ensemble des métiers de l’établissement, et travaille à la mise en place de projets pour l’amélioration du cadre de travail avec des dimensions sociales et environnementales.
La mission est donc à la sensibilisation des équipes afin de toucher l’ensemble des corps de métier. Pendant que le personnel du Quai Branly se forme autour de la Fresque du Climat (1), les agents du Louvre sont ainsi incités à « mieux se déplacer » et à « mieux manger ». Un forfait mobilité durable d’un montant de 200 euros a par exemple été versé aux agents qui font le choix d’un mode de transport alternatif et durable.
Sobriété oblige, les institutions doivent redoubler d’effort pour réduire la consommation énergétique de leur bâtiment. A l’exception du Quai Branly, qui tire parti de sa création récente, en 2006, la plupart doivent composer avec des structures aux normes dépassées.
C’est par exemple le cas du Centre Pompidou, construit dans les années 1970. S’il s’agit de la première institution culturelle publique à avoir reçu la certification HQE (haute qualité environnementale) « utilisation durable » en 2021 suite à l’optimisation de l’impact environnemental de son bâtiment, le musée s’apprête à franchir de nouvelles étapes. « C’est une véritable passoire énergétique, affirme Julie Narbey. Même si nous essayons de l’habiter de la manière la plus écologique possible, il n’a pas été conçu pour correspondre à des critères de sobriété. » A partir de l’automne 2024, le Centre va progressivement entrer dans une période de trois ans de travaux qui auront pour objet de réduire de plus de 40 % la facture énergétique du bâtiment.
L’heure est aussi à la réalisation des bilans carbone. Du côté du musée d’Orsay, l’objectif est de le présenter de la manière la plus complète possible, du Scope 1 jusqu’au Scope 3 (2). « Nous incluons aussi les prestataires, l’ensemble des activités directes et indirectes », explique Virginie Donzeaud, administratrice générale adjointe du musée.
Le 25 juin dernier, la Première ministre Elisabeth Borne présentait une circulaire intimant aux administrations de réaliser 10 % d’économie d’énergie d’ici 2024. En tant que bâtiment historique, le musée d’Orsay aurait droit à une dérogation. Il vise pourtant une réduction de 25 % d’ici à l’année prochaine et de 40 % en 2030.
Un chiffre qui semble atteignable puisque le musée a déjà diminué de 18 % ses consommations énergétiques par rapport à 2019. « Notre prochain grand chantier concerne la verrière du bâtiment, ajoute Pierre-Emmanuel Lecerf, administrateur général du musée. L’objectif est de la changer sans pour autant fermer au public. » L’institution travaille en partenariat avec les instances patrimoniales afin de trouver des solutions de rénovation qui puissent être exemplaires d’un point de vue environnemental.
De manière générale, les musées ont revu leur manière de fonctionner. Raccordement au chauffage urbain, renouvellement de l’éclairage ou du chauffage, ventilation naturelle… Tout est bon pour contrôler les émissions d’énergie. En 2010, les 4.500 luminaires qui éclairaient la pyramide et les façades du palais du Louvre ont été remplacés par une technologie LED moins énergivore, la consommation électrique passant de 392.000 watts à 105.000 watts. « Concernant la climatisation, nous utilisons l’eau de la Seine pour rafraîchir nos salles, ce qui permet un gain énergétique vertueux », indique l’institution. Le musée s’est fixé comme objectif de diminuer de 10 % ses consommations énergétiques en cinq ans.
Venue tout droit d’Amérique du Nord, l’écoconception progresse dans les institutions culturelles. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) la définit comme « une démarche préventive qui se caractérise par la prise en compte de l’environnement lors de la phase de conception ou d’amélioration d’un produit ». Autrement dit, il s’agit de minimiser l’impact écologique des expositions, en favorisant le recyclage et le réemploi.
Au Quai Branly, cette démarche a vu le jour dès le début des années 2010. « La spécificité de notre musée est qu’il a été créé par Jacques Chirac, le premier président de la République à avoir une conscience environnementale », rappelle Angélique Delorme, sa directrice générale déléguée adjointe. Sur plusieurs expositions, l’institution réutilise la plupart du matériel, réemployant le mobilier qui était auparavant jeté.
L’idée fait de plus en plus son chemin, grâce à des partenaires extérieurs spécialisés dans le domaine tels que Les Augures ou encore Solinnen, un cabinet expert en écoconception. L’an dernier, c’est l’Institut national du patrimoine (INP) qui a formé les équipes du Centre Pompidou à l’écoconception à l’occasion d’une exposition de l’artiste italien Giuseppe Penone.
Du côté du musée d’Orsay, l’ensemble de la scénographie de l’exposition en cours sur la peintre Rosa Bonheur sera réutilisé par la prochaine exposition. « Notre leitmotiv est que les scénographies ne peuvent plus partir à la benne », précise Pierre-Emmanuel Lecerf. Le dispositif permettant d’accueillir les enfants pendant les vacances scolaires, qui s’étend sur 350 mètres carrés, est lui aussi entièrement écoconçu.
« Il s’agit aussi de faire un usage plus raisonné des espaces », ajoute Marianne Berger-Laleix. Arrivé à la présidence du Palais de Tokyo en janvier 2022, Guillaume Désanges a forgé le concept de « permaculture institutionnelle. » Comme la permaculture adaptée à l’agriculture, il souhaite s’inspirer du fonctionnement résilient de la nature pour penser les changements de l’institution. C’est dans cet esprit que le Palais va prochainement ouvrir une friche, un espace de travail à disposition des artistes.
Dans la même dynamique de recyclage et de réemploi, la plupart des musées organisent désormais des séries de dons de mobiliers et de biens à des associations ou à d’autres institutions culturelles.
Au Quai Branly, où la conscience environnementale fait partie intégrante de l’ADN du musée, les cultures menacées dans leur existence à cause des désastres écologiques sont régulièrement mises en avant. « Je pense par exemple à toutes les cultures océaniennes, qui sont des cultures très insulaires et qui sont menacées par la montée des eaux », précise Angélique Delorme. En 2020, les jardins du musée mettaient à l’honneur le combat du peuple Paiter Surui d’Amazonie pour l’intégrité de son territoire à travers l’exposition du photographe Philippe Echaroux.
Quant à Julie Narbey, elle rappelle la volonté du Centre Pompidou d’être « au cœur des débats de la société. » En décembre dernier, le musée présentait une programmation de trois jours en partenariat avec l’Ademe intitulée « Climat : quelle culture pour quel futur ? » Récemment, le musée lançait aussi un Mooc (3) « Art et écologie » afin de continuer à former à ces enjeux.
Le Centre Pompidou n’est pas le seul musée à poursuivre cette mission de sensibilisation hors-les-murs. L’an dernier, le musée d’Orsay a rejoint le projet de re-végétalisation des berges de Seine à Argenteuil, en lien avec des conservateurs, un écologue et un botaniste. « Nous partons d’une collection impressionniste du musée. En nous inspirant de cette nature du XIXe siècle, nous repensons la végétalisation de demain pour choisir les essences qui capturent le plus de CO2 », explique Virginie Donzeaud. Cette démarche fait l’objet d’un programme de médiation avec des jeunes adultes en réinsertion sociale et professionnelle.
Nul doute que les institutions culturelles se sont mises à la transition écologique. Il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de questionnements demeurent.
Le premier concerne la fréquentation des musées. Non sans surprise, c’est l’affluence touristique qui pèse le plus dans la balance. « Lorsque nous avons réalisé notre premier bilan carbone en 2010, nous nous sommes aperçus que 99 % de l’empreinte carbone globale des activités du musée étaient liés au déplacement des visiteurs », affirme le Louvre. Une donnée sur laquelle les institutions ont malheureusement peu de pouvoir. L’Ademe propose cependant quelques pistes, comme la réduction des jauges de certains événements ou encore la création de partenariats avec les organismes de transport.
Et les touristes ne sont pas les seuls à se déplacer. A l’avenir, les musées devront réfléchir à deux fois avant de faire circuler leurs œuvres d’un continent à un autre, et davantage privilégier le local et la mutualisation.
Autre point de débat : comment concilier conservation des œuvres et sobriété énergétique ? Selon le Groupe Bizot, qui réunit des conservateurs de musées à travers le monde, il faudrait pour la préservation des tableaux une humidité entre 40 % et 60 % et une température entre 16 et 25 degrés Celsius. Des recherches sont en cours à ce sujet du côté de la Direction générale des patrimoines et de l’architecture ainsi que par certains laboratoires comme le Centre de recherche et de restauration des musées de France. Plus récemment, le Conseil international des musées a également annoncé se pencher sur la question.
Pour certaines institutions se pose aussi la question du financement. En 2021, le Palais de Tokyo a par exemple mis en place un « mécénat responsable » à travers son programme « Cercle Art & Ecologie ». « Il ne s’agit pas uniquement d’un apport monétaire, mais aussi d’un partage de compétences », explique Marianne Berger-Laleix, qui rappelle que le Palais est autofinancé à 60 %.
A l’heure qu’il est, douze entreprises partenaires se sont engagées auprès de l’institution. En plus d’un mécénat de 50.000 euros par an, elles soutiennent le musée dans sa transition écologique. « Parmi elles, le cabinet de conseil Utopies, spécialisé sur les enjeux sociaux et environnementaux, nous a accompagnés dans la réalisation de notre bilan carbone et de notre stratégie climat. Nous sommes aussi soutenus par Guerlain, qui nous apporte des conseils sur la partie biodiversité dans les jardins du Palais », énonce la directrice générale déléguée.
Quoi qu’il en soit, la participation des musées à la lutte contre le dérèglement climatique semble être sur la bonne voie. Elle devrait être soutenue dans les semaines qui viennent par une feuille de route du ministère de la Culture. Au programme de celle-ci : comment créer, préserver et conserver pour un futur désirable.
(1) La Fresque du climat : association fondée en décembre 2018 dont l’objectif est de sensibiliser le public au réchauffement climatique sous la forme d’un jeu collaboratif.
(2) Les Scopes désignent le périmètre au sein duquel sont étudiées les émissions de gaz à effet de serre. Le Scope 1 regroupe les émissions directes de gaz à effet de serre, le Scope 2 les émissions indirectes liées à l’énergie et le Scope 3 toutes les autres émissions indirectes.
(3) Acronyme de « massive open online course », une formation en ligne ouverte à tous.