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« Les malfaçons sur les réseaux de fibre sont intolérables » (Philippe Le Grand, InfraNum) – La Tribune.fr

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LA TRIBUNE – Le déploiement de la fibre fait aujourd’hui l’objet de sévères critiques. Beaucoup d’abonnés se plaignent de ne pouvoir être raccordés correctement, quand d’autres sont parfois sauvagement débranchés par des techniciens indélicats… Chez InfraNum, qui rassemble l’essentiel des industriels de la filière, que comptez-vous faire pour améliorer la situation ?
PHILIPPE LE GRAND – Nous avons pris le sujet à bras le corps. Laure de La Raudière, la présidente de l’Arcep, et Cédric O, l’ancien secrétaire d’Etat au Numérique, nous ont notamment demandé, il y a un peu plus d’un mois, de régler le problème. La pression est tellement forte que nous ne pouvions pas passer à côté. Nous présentons aujourd’hui un plan visant à améliorer la qualité des raccordements des abonnés à la fibre. Nous l’avons travaillé avec les opérateurs d’infrastructures, les opérateurs commerciaux et les intégrateurs [les sous-traitants, Ndlr]. Le principe général est de replacer l’opérateur d’infrastructures, le donneur d’ordre, comme garant de la qualité des réseaux. Ce qui n’est pas le cas avec le mode STOC (1), le processus qui encadre les raccordements des clients. Nous voulons remettre l’opérateur d’infrastructures au centre du jeu. Pour ce faire, notre plan repose sur trois axes. Nous allons d’abord créer une labellisation des intervenants sur les réseaux. Il faut être certain que ceux-ci soient correctement formés, bien équipés, et qu’il suivent les règles de l’art. Dans le cas contraire, ils seront déréférencés et sortis du jeu. Nous souhaitons également mettre un terme à certains actes inadmissibles et intolérables, comme les câbles coupés ou les écrasements volontaires de lignes… L’autre axe du plan concerne le contrôle des travaux. Les opérateurs d’infrastructures doivent pouvoir diligenter des enquêtes en temps réel sur les interventions. L’idée, c’est que les opérateurs commerciaux les préviennent en amont des opérations à venir. Nous commencerons, ici, dans les régions où il y a le plus d’incidents. Le simple fait que les sous-traitants sachent qu’ils peuvent être contrôlés devrait améliorer les choses. Le troisième axe du plan vise, lui, à mettre le compte-rendu d’intervention au centre de la relation contractuelle entre l’opérateur d’infrastructures et l’opérateur commercial, et de facto entre l’opérateur commercial et son sous-traitant. Ce compte-rendu doit être fourni, complet. Il contiendra des informations techniques qui n’existent pas encore, lesquelles attesteront de la bonne réalisation des raccordements. Les photos des interventions sont essentielles. Elles permettront de vérifier, avant et après, s’il y a eu des câbles coupés, débranchés. Ou encore si des points de mutualisation [à partir desquels les opérateurs commerciaux tirent les lignes pour raccorder les abonnés, Ndlr] ont été saccagés, si leurs portes ont été forcées… Notre plan ambitionne, en clair, de sanctionner tout travail mal fait.
Quand sera-t-il opérationnel ?
Nous le présentons ce mercredi après-midi devant l’Avicca, une association rassemblant les collectivités impliquées dans le numérique. J’espère qu’il va rassurer tout le monde. Pour que ce plan soit mis en œuvre, il doit se traduire par des engagements bilatéraux entre tous les opérateurs d’infrastructures et commerciaux. Nous voulons aller très vite. Nous souhaitons qu’il soit totalement opérationnel au mois de septembre.
Ces mesures seront-elles vraiment suffisantes pour en finir avec les malfaçons de certains sous-traitants ? Certains sont, en bout de chaîne, accusés de recourir à des autoentrepreneurs ou à des travailleurs immigrés, mal payés et peu formés, qui sèment la pagaille dans les réseaux…
Ce que vous évoquez, c’est l’ubérisation de la chaîne de sous-traitance. Il s’agit du fait qu’un intermédiaire prenne l’essentiel de la marge et sous-traite au moins-disant. Avec notre plan, nous comptons passer d’un système d’ubérisation à un système d’industrialisation. Cela ne signifie pas que les petites sociétés n’auront plus le droit d’intervenir sur les réseaux. Mais toutes devront avoir suivi un parcours de formation, et avoir démontré leur capacité à travailler correctement. Sinon, encore une fois, elles prendront la porte.
Beaucoup de sous-traitants se plaignent de ne pas être assez bien rémunérés. Certains sous-traitants de rang 2 qui travaillent sur les réseaux d’Orange pestent, notamment, contre les nouveaux prix pratiqués par l’opérateur historique, de loin le premier donneur d’ordre du secteur… Qu’en dites-vous ?
Il y a une compression des prix. C’est vrai. Mais il faut faire attention à ce qu’on dit, parce que cette baisse n’est pas toujours si violente que ça. Ce que je déplore, c’est la brutalité de l’évolution des tarifs d’Orange telle qu’elle a été conduite ces derniers mois. Ce n’est pas acceptable. Ce qui nous préoccupe, c’est que le sous-traitant de rang 2 qui va intervenir sur le chantier puisse vivre décemment de son travail. Or ce n’est pas possible s’il est payé 70 euros pour une demi-journée d’intervention… C’est donc de là qu’il faut partir. Il faut déterminer quel est le prix minimum à payer pour une intervention en bout de chaîne, et faire remonter cette information aux sous-traitants de rang 1, jusqu’à Orange. C’est de cette manière qu’on déterminera au mieux les tarifs des prestations. Le travail à perte ne doit pas être autorisé. Cela dit, je me garde de critiquer Orange. Son modèle économique est sous forte pression, et il a, lui aussi, ses contraintes. Il reste l’opérateur commercial qui investit le plus dans la fibre en Europe.
Que comptez-vous faire, concrètement, au niveau d’InfraNum, pour aider les sous-traitants ?
Nous allons travailler sur la question du partage de la valeur au sein de la filière. C’est l’étape d’après, notre prochain chantier. En parallèle d’une analyse concernant la viabilité économique des acteurs en bout de chaîne, nous souhaitons mettre en place une indexation des contrats sur l’augmentation du coût de la vie. Cela se fait dans tous les autres secteurs d’infrastructures. Il s’agit d’une demande forte des intégrateurs et des sous-traitants. Ils souffrent aujourd’hui de l’inflation, et en particulier de la hausse du prix de l’essence pour se rendre sur leurs lieux d’intervention. Leurs contrats doivent en tenir compte. Cela me paraît tout à fait normal. Mais si les sous-traitants en bout de chaîne doivent pouvoir vivre correctement, il en va de même pour les opérateurs commerciaux. Ces derniers sont confrontés à la domination des GAFAM [Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, Ndlr], qui captent l’essentiel de la valeur. Il est essentiel que ces grandes plateformes contribuent à l’économie des réseaux, dont elles sont les principaux utilisateurs. Je suis favorable à ce que les opérateurs commerciaux puissent facturer l’utilisation des réseaux aux GAFAM. Cela doit être encadré par des règles de non-discrimination. Il faudra aussi, bien entendu, qu’on veille à la neutralité du Net.
L’Union européenne s’est récemment saisie de ce dossier. Bruxelles appelle à ce que les géants américains du Net, qui utilisent plus de la moitié de la bande passante, contribuent financièrement au déploiement des réseaux télécoms…
Je soutiens totalement cette initiative. Sinon qu’allons-nous faire ? Augmenter les prix des abonnements téléphoniques et Internet de 10 euros pour enrichir encore, au final, les GAFAM ? Parce ce sont eux qui, au final, profitent de tout cet argent… Nous sommes confrontés à un problème structurel. C’est une question de justice.
Considérez-vous que la forte concurrence en France, qui rogne les marges des opérateurs en les obligeant à pratiquer des prix parmi les plus bas d’Europe, a fini par plomber la filière et ses sous-traitants ?
Force est de constater que si la concurrence a permis de doper les investissements, elle a également paupérisé le secteur. Les prix bas ont profité au consommateur. Il a gagné du pouvoir d’achat, et on ne peut que s’en réjouir. Mais l’économie des réseaux en souffre. Aujourd’hui, les prix sont clairement trop bas. Soit on les relève, soit on trouve d’autres sources de revenus. C’est tout l’enjeu, justement, de notre combat contre les GAFAM…
La volonté du gouvernement d’accélérer le déploiement de la fibre n’a-t-elle pas, aussi, déstabilisé la filière, qui a eu du mal à se structurer et à trouver suffisamment de main-d’œuvre qualifiée ?
Il est vrai que nous sommes allés très vite. Nous avons encore raccordé 5,6 millions de lignes en 2021. En 2022, nous projetons au moins 4 millions. A la fin de l’année – c’est-à-dire un peu plus de dix ans après le début du chantier -, plus de 80% des Français bénéficieront de la fibre. C’est énorme. Tout le monde travaille à plein régime, tambour battant, pour tenir le rythme un peu fou du plan France Très haut débit. La qualité en a pâti. Nous n’imaginions pas, pour autant, que les malfaçons seraient si nombreuses, et que leur impact serait aussi important. Mais ce sont d’abord les élus locaux qui voulaient avoir la fibre rapidement. Et non les industriels, qui auraient, de loin, préféré que le déploiement s’étale davantage dans le temps, pour bénéficier de plus de stabilité et de visibilité… Le gouvernement a choisi de suivre les demandes des élus locaux et des collectivités. L’industrie, elle, s’est mise au diapason. Malgré les difficultés, ce chantier reste une belle réussite. La fibre constitue un atout formidable pour le pays et la vitalité de l’économie.
___
1. Le mode STOC (« sous-traitance opérateur commercial ») est le dispositif qui s’applique pour le raccordement final des abonnés à la fibre. Dans cette logique, l’opérateur d’infrastructures laisse ces interventions aux opérateurs commerciaux Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, lesquels font appel à différents sous-traitants pour les réaliser.
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