Inclus dans l’abonnement
✓ Le magazine papier mensuel
✓ La version numérique
✓ La lettre aux abonnés
À partir de 2,50€/mois
© Adobe-Stock
Un séisme d’une amplitude inédite! La parution le 26 janvier 2022 du livre Les Fossoyeurs du journaliste Victor Castanet a révolté l’opinion, foudroyé le secteur du soin au grand âge et conduit l’État à lancer une inspection générale des 7500 maisons de retraite du pays. Les faits relatés dans cette enquête sur les pratiques troubles du groupe Orpea, l’un des géants européens des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont édifiants: restrictions de l’alimentation et des protections hygiéniques, turn-over excessif des personnels, emplois fictifs, suroccupation de certains établissements, détournement d’argent public… Des dérives documentées par les enquêtes officielles diligentées dès le 1er février 2022 et qui ont conduit l’État à porter plainte contre le groupe.
Lire aussi> Maltraitance institutionnalisée en Ehpad: le livre “Les Fossoyeurs” accable Orpéa
Un an après, chez Orpea, l’heure est à la refondation. “En prenant mes fonctions en juillet 2022, j’ai été frappé par la dualité de l’entreprise, détaille Laurent Guillot, le nouveau directeur général, d’un côté, le professionnalisme des équipes, leur engagement sans faille auprès de nos patients et de nos résidents. Et à l’inverse une structure de tête complètement dysfonctionnelle, dans des proportions que je n’ai jamais vues! Des malversations financières extrêmement importantes, un manque d’organisation et un endettement disproportionné lié au développement excessif de l’immobilier et de l’international mené par l’ancienne direction. Mais le passé, c’est le passé! Ce qui m’intéresse c’est de transformer les conditions de travail de nos collaborateurs et les conditions dans lesquelles nous apportons le soin et l’accompagnement à nos patients et à nos résidents.”
Lire aussi> “Une autorité administrative indépendante doit contrôler les ehpad!”
En novembre 2022, la nouvelle équipe a donc lancé le plan “Orpea change! avec vous et pour vous”. Son objectif: améliorer les relations sociales et les conditions de travail, fidéliser les soignants, donner plus d’autonomie aux directeurs des établissements, développer le dialogue avec les familles de résidents. Un programme de recrutements a été enclenché: 550 par mois au cours du dernier trimestre 2022 et 800 par mois en 2023. Le groupe a également annoncé fin novembre qu’il rembourserait à l’État 55,8 millions d’euros de subventions publiques indûment perçues.
Venu de l’industrie, cet ancien dirigeant de Saint-Gobain a aussi fait le ménage. Victor Castanet, qui suit toujours le dossier (l’édition de poche des Fossoyeurs, parue le 25 janvier 2023, a été augmentée de dix chapitres), le confirme: “Tous les services étaient gangrenés… Une trentaine de dirigeants ont été licenciés pour fautes graves. Des pratiques irrégulières ont eu lieu pendant 30 ans sans qu’on les empêche…, poursuit le journaliste dont le travail a été couronné en décembre par le prestigieux prix Albert Londres, il y a eu clairement défaillance des autorités de contrôles et un désintérêt pour le secteur des Ehpad au plus haut niveau…”
Lire aussi> Victor Castanet: “Il faut repenser la manière de traiter les aînés en France”
Des défaillances admises par Jean-Benoît Dujol, directeur général de la Cohésion sociale au ministère des Solidarités, invité le 8 décembre 2022 au colloque annuel du Synerpa, le syndicat des entreprises privées du grand âge. “Les services de l’État n’en sortent pas grandis…” a-t-il concédé, reconnaissant qu’ils ont été “pris en défaut”, par les manœuvres d’Orpea. “Ceux qui ont fraudé doivent payer, mais il n’est pas question de jeter l’opprobre sur tout un secteur qui fait un travail formidable!“, a rappelé pour sa part Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités et de l’autonomie, également convié à l’événement. “Nous avons le devoir de rétablir une confiance malmenée!”, a-t-il poursuivi. Pour y parvenir, les pouvoirs publics ont déclenché dès février 2022 une vaste campagne de contrôles des 7500 Ehpad du pays, qui doit s’étaler sur deux ans, en commençant par les établissements privés à but lucratif. Des recrutements ont été effectués à cet effet et les inspecteurs des Agences régionales de santé formés à la détection des situations de maltraitance. En octobre, 600 contrôles avaient été effectués, donnant lieu à trois saisines de la justice.
“Le secteur privé a été plus contrôlé, c’est normal et nous sommes prêts à y faire face!, réagit Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa, nous avons appelé à la relance des contrôles inopinés qui doivent se poursuivre au long cours. Cette onde de choc chez les Français, nous l’avons compris. Il faut que le grand public nous fasse confiance!” Ébranlé, lui aussi par le séisme, le syndicat professionnel a élaboré une charte d’engagement des acteurs privés du grand âge portant notamment sur la satisfaction des familles, la lutte contre la maltraitance. Une charte que tous les adhérents devront avoir adoptée dans les trois ans. La bataille de la confiance ne sera cependant pas facile à gagner. Selon un sondage IFOP, commandé justement par le Synerpa en mai 2022, l’impact du livre Les Fossoyeurs pousse près de 8 Français sur 10 “à éviter à tout prix de placer un proche en Ehpad” ou à envisager d’y passer leurs vieux jours!
VOUS AIMEZ CET ARTICLE ?
Droit, santé, argent, culture, loisirs… Et si vous receviez le magazine Notre Temps chez vous chaque mois pour ne plus rien rater des informations qui vous concernent ?
Voir les offres d’abonnement
Conscient de ce sentiment de défiance, le gouvernement n’est pas resté l’arme au pied. Depuis le 1er janvier, les Ehpad sont tenus de transmettre à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) cinq indicateurs consultables sur le site www.pourlespersonnesagees.gouv.fr, parmi lesquels: le profil des chambres, le nombre de places habilitées à l’aide sociale à l’hébergement, la présence d’un infirmier de nuit et d’un médecin coordonnateur. Un décret renforce la place des familles des résidents dans les Conseils de la vie sociale que tous les établissements doivent réunir régulièrement.
Lire aussi> Ehpad: quelles seront les 5 informations obligatoires transmises aux familles dès 2023?
Conséquence directe de l’affaire, des mesures portant sur l’obligation de la transparence de l’usage des fonds publics et la récupération des sommes détournées de leurs fins doivent également entrer en application. Une plateforme de recueil des plaintes et des réclamations doit être mise en place au plus tard au 1er semestre 2023, selon le cabinet du ministre des Solidarités. La création de cette instance fait partie des mesures incluses dans une proposition de loi des députés de la majorité qui sera débattue au printemps à l’Assemblée. Enfin, conformément à l’engagement présidentiel de recruter 50 000 soignants d’ici à 2027, 3000 postes supplémentaires sont budgétés pour 2023.
“3000 postes pour 7500 Ehpad, c’est ridicule! Le grand âge n’est pas une priorité du gouvernement!”, s’indigne Marie, membre du Collectif Familles 42. “L’affaire Orpea n’a pas modifié grand-chose sur le terrain. La parole des familles n’est pas plus entendue qu’avant”, confie celle qui ne veut pas être identifiée par peur des représailles sur sa mère, hébergée dans un établissement de la Loire. “Il faut des moyens humains supplémentaires et que les ARS contrôlent sans concession les pratiques de certaines équipes: le non-respect de la dignité des personnes, le tutoiement, l’hygiène, le manque de transmission des informations entre soignants, l’absence de réunion du Conseil de la vie sociale, les limitations des heures de visites – qui n’ont pas disparu avec la fin de la crise sanitaire, les dîners à 16h30 et les couchers dans la foulée… Tout ce qui remonte des familles qui nous contactent.”
Annette Debéda, l’une des porte-parole du Cercle des proches aidants (CPAE), confirme. “S’il se passait dans une crèche ce que les familles constatent en Ehpad, le scandale serait énorme!”, remarque-t-elle. “Dans les Ehpad où les directions jouent la carte de la transparence et de l’éthique, les choses se passent correctement. Dans les autres rien n’a changé: du personnel en nombre insuffisant, mal formé, pas assez encadré et des personnes recrutées qui n’ont pas toujours envie de travailler auprès des personnes âgées!, l’Omerta, décrit-elle, Or, les mêmes causes provoquant les mêmes effets, cela débouche sur de la maltraitance!”
Jean-Pierre Riso, le président de la Fédération nationale des directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa), déplore l’insuffisance des moyens attribués aux Ehpad. “3000 postes cela ne créé pas une dynamique suffisante pour améliorer les conditions de travail et donc susciter des vocations dans le secteur, souligne-t-il. Pour un accompagnement ambitieux, il faut une loi programmatique, doté de moyens, une loi grand âge!” Analyse partagée par Pascal Champvert à la tête de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). “Sans moyens pour fonctionner correctement, et dans les établissements, cela veut dire 8 soignants pour 10 résidents – nous sommes à peine à 6 aujourd’hui-, les professionnels sont maltraités et les personnes âgées aussi!”
Lire aussi> Mon parent en Ehpad, quel bouleversement
A la veille de la parution, le 25 janvier 2023, de la version augmentée du livre-enquête Les Fossoyeurs, le ministre des Solidarités et de l’Autonomie, Jean-Christophe Combe, a fait le point sur l’action entreprise par le gouvernement à la suite de l’éclatement du scandale le 26 janvier 2022.
Cet article est paru dans le magazine Notre Temps , N°639 – Découvrez les offres d’abonnement
Participez-vous à la garde de vos petits-enfants?
Voter
Je m’inscris
La Défenseure des droits toujours en alerte sur les Ehpad
Maltraitance institutionnalisée en Ehpad: le livre "Les Fossoyeurs" accable Orpéa
Aide à l'autonomie des personnes âgées: le gouvernement privilégie le domicile
Le syndicat des ehpad privés réclame davantage de contrôles
Maltraitance en Ehpad: l’auteur du livre Les Fossoyeurs remporte le prix Albert-Londres du livre
Des malades d'Alzheimer accueillis dans une colocation "comme dans une grande famille"
Dépendance: "La société attend des réponses sur le grand âge"
LEA, la nouvelle application mobile de téléassistance
Une enquête de Mediapart dévoile des centaines de cas de viols et violences sexuelles en Ehpad
Alzheimer: quelles solutions quand un proche malade ne peut plus vivre à domicile?
S’abonner
aux magazines
Je m’inscris