Les Français ont refusé de lui faire une place dans leur porte-monnaie. Frappée en 1986, la pièce de 10 francs Jimenez a été retirée de la circulation en 1987, victime de désamour. Trop petite, trop légère, trop moderne, ses défauts ont contribué à forger son destin unique.
« La pièce de 10 francs, c’est celle que les grands-mères offraient à leurs petits-enfants à chaque Noël », se souvient Jérôme Jambu, conservateur à la Bibliothèque nationale de France (BNF). C’était la plus grande (26 mm de diamètre) et la plus lourde (10 g). Mais en 1985, le gouvernement de François Mitterrand décide de frapper une nouvelle pièce de 10 francs, notamment pour mettre fin à la fraude. À l’époque, quatre pièces sur mille étaient fausses.
Pierre Bérégovoy, alors Ministre de l’Économie et des Finances, nourrissait le projet de lancer toute une gamme de nouvelles pièces de monnaie. « La pièce de 10 francs Jimenez devait être la première. Des pièces de 20, 30, 40 et 50 francs devaient être frappées par la suite. Mais le projet n’a jamais abouti » explique Dominique Antérion, chargé de conservation des collections à la Monnaie de Paris.
Un concours public est ouvert auprès de dessinateurs. Plus de 240 projets sont déposés en 1985. Joaquin Jimenez est alors un jeune artiste diplômé des Beaux-Arts. Il participe pour la première fois à un concours de gravure organisé par la Monnaie de Paris. « J’ai décidé de rompre avec l’iconographie républicaine classique. J’ai dessiné une Marianne de profil et portant les cheveux courts » raconte, 35 ans plus tard, le graveur Joaquin Jimenez.
Le jury ne le donne pas favori. Mais le choix du lauréat revient au Président de la République. « De nombreux iconographes ont trouvé l’attitude de la Marianne de Jimenez trop agressive. Mais elle a beaucoup plu à François Mitterrand » se rappelle Jérôme Jambu. Contre toute attente, Joaquin Jimenez remporte le concours et la somme de 100 000 francs. « Malheureusement, je suis très vite passé de l’euphorie à l’abattement », reconnaît Joaquin Jimenez.
Environ 87 millions de pièces de 10 francs sont mises en circulation en mai 1986. Immédiatement, « les Français n’en veulent pas et refusent d’échanger leurs anciennes pièces contre les nouvelles », avance Jérôme Jambu. Contrairement à l’ancienne pièce de 10 francs, la Jimenez est une petite pièce en nickel de 21 mm de diamètre et pesant à peine 6,5 g.
La Jimenez rappelle aux anciens les temps de guerre, « quand les pièces étaient en aluminium et ne valaient rien, ajoute Jérôme Jambu. En plus, elle a été frappée dans un contexte de crise économique et a symbolisé la chute de la valeur du franc. » Rapidement, les commerçants se liguent pour refuser en bloc d’être approvisionné avec cette piécette.
LIRE AUSSI > Une nouvelle collection de 12 pièces sur l’histoire de France
« Elle rendait les échanges compliqués parce que les personnes âgées la confondaient avec la pièce de cinquante centimes », explique Eric Martin, gérant de la Maison du collectionneurà Paris. Fin 1986, quelques mois après sa mise en circulation, le nouveau gouvernement de cohabitation mené par Jacques Chirac songe déjà à la remplacer.
L’argument officiel, c’est le risque de confusion. « Il fallait éviter l’erreur d’appréciation, explique Michel Sapin, ancien ministre de l’Économie et numismate. Tout le monde, même les personnes malvoyantes, doit pouvoir faire la distinction entre deux pièces de monnaie. »
Mais officieusement, un combat politique se joue au sommet de l’Etat. La pièce Jimenez, c’était la marque laissée par François Mitterrand et le gouvernement socialiste sur la monnaie. « Édouard Balladur venait d’être nommé Ministre de l’Économie. La Marianne de Jimenez incarnait la modernité contre laquelle le conservatisme de droite se battait », suppose Michel Sapin.
En 1986, les médias se rangent derrière l’avis général. Les journaux publient de multiples tribunes en faveur du retrait de la pièce Jimenez et des caricatures moquant sa petite taille. « J’ai été accusé personnellement par les médias de l’époque alors que j’ai scrupuleusement suivi le cahier des charges qui m’avait été donné », rétablit le graveur.
Finalement, la pièce Jimenez est retirée de la circulation et refondue en février 1987. L’opération coûte plus de 100 millions de francs. Aujourd’hui, les collectionneurs ne lui portent pas d’intérêt particulier. D’après Éric Martin de la Maison du collectionneur, « il n’est pas rare d’en trouver puisque des dizaines de millions ont été fabriquées. C’est une pièce qui ne cote pas. »
L’Arbre étoilé gravé à l’avers des pièces de 1 et 2 euros, c’est aussi Jimenez. « Comme pour la pièce de 10 francs, j’ai cherché à être moderniste pour toutes mes œuvres », déclare-t-il. Cet arbre stylisé symbolise une France dont les racines et les branches sont tournées vers les étoiles de l’Europe.
Depuis la Révolution, l’arbre représente la liberté, la force et la puissance. Au XIXe siècle, il est devenu l’un des symboles de la République française avec la Marianne et la Semeuse. Pour le graveur, cet arbre était idéal pour illustrer la devise française « Liberté, égalité, fraternité ».
Cette pièce est la préférée de Joaquin Jimenez. Mais il a tenté, et remporté, de nombreux autres concours de gravure en France et dans le monde. Son nom est inscrit dans les collections numismatiques norvégiennes, danoises, autrichiennes et même nord-américaines.
Malgré le tragique destin de sa pièce de 10 francs, Joaquin Jimenez a toujours cherché à représenter la France de manière surprenante. « Le graveur de pièces de monnaie est avant tout un artiste », souligne-t-il. Sa dernière pièce de collection date de 2012. Depuis, il a rejoint la Monnaie de Paris comme responsable de la section « Création ».
Guide Shopping Le Parisien
Jeux Gratuits
Mots fléchés
Mots coupés
Mots croisés
Mots mêlés
Kakuro
Sudoku
Codes promo
Services
Profitez des avantages de l’offre numérique
© Le Parisien