Publié le 13 décembre 2022 Mis à jour le 13 décembre 2022
Nous sentons tous bien que l’époque change et que les paradigmes des 30 ou 40 dernières années ne semblent plus correspondre à l’air du temps. Pourtant, les discours publics ne suivent pas souvent. Des élites parlent encore de croissance infinie dans un monde fini et qui commence à montrer ses limites. Des savoirs sont remis constamment en question au nom des “impressions”. Le repli sur soi est de plus en plus envisagé alors que les problématiques sanitaires, environnementales et économiques s’étendent au-delà des frontières.
Nul ne sait comment cette période sera appelée par les historiens dans 50 ans mais elle sera probablement très riche en enseignements. Déjà, certains réfléchissent à la suite des choses. Comment pourrions-nous sortir de cette morosité ambiante? Ce directeur d’établissement américain se penchait sur cette question avec son épouse quand, au détour d’une chanson, lui revinrent deux mots : “bien commun”. Il lui semblait que ce concept pourtant porteur au milieu du 20e siècle était disparu au profit d’un individualisme exacerbé par une économie favorisant de plus en plus les rentiers qui s’accaparent de tout le gâteau, ne laissant que les miettes au reste de la population.
Cette idée du bien commun n’a rien de farfelu. Nous rapportions que le rapport de la Commission internationale sur les futurs de l’éducation publié en décembre 2021 précisait exactement qu’une des directions était de la renforcer comme projet public et bien commun. Toutefois, il paraît encore loin de la coupe aux lèvres pour que cette réalité se produise. Déjà parce que cette vision du bien commun varie grandement entre instances publiques et corps enseignant.
Prenons pour exemple le système scolaire français. La Première ministre Élisabeth Borne a elle-même admis durant l’été 2022 que l’école française pouvait autant générer de l’excellence que reproduire des inégalités. Elle a réitéré l’importance des professeurs dans ce contrat et dans la réduction de ces inégalités. Toutefois, ce discours bien que rempli de bons sentiments ne s’accompagne pas de réels gestes tangibles selon ceux qui travaillent en éducation. Les syndicats parlent de crise de l’école qui a un effet direct sur le tissu social. Durant la campagne électorale présidentielle, plusieurs appelaient les candidats à proposer des solutions intéressantes qui redonneraient un sens du bien commun à l’école.
Certes, la position syndicale n’a rien de neutre et elle veut d’abord et avant tout le mieux pour ses membres (ici, les enseignants). Néanmoins, leur malaise se sent aussi dans la presse, même celle aux postures antisyndicales. Il semble que le dernier quinquennat, profondément marqué par la pandémie, ait été surtout pensé sous une approche autoritaire sans sonder ce qui se passait sur le terrain. Un éloignement qui n’a pas seulement lieu en France mais dans d’autres pays dans le monde. Pendant ce temps, la notion de bien commun disparaît.
Pourtant, l’occasion est plus belle que jamais de ramener le concept. Nous sommes dans un monde en transformation qui a besoin de nouveaux paradigmes. L’éducation est la porte pour arriver à des changements concrets. Par exemple, bien qu’encore un terreau pour la mafia, Palerme, par l’éducation populaire, essaie d’éviter que sa jeunesse paupérisée soit attirée par une vie de crime, en allant les toucher directement et en rappelant les victimes innocentes par des mémoriaux, la Cosa Nostra perd peu à peu de son lustre, même si son tourisme joue sur ces codes.
En 2021, Raymond Millot publie son livre “L’éducation, un bien commun”, un ouvrage qui dépoussière les idées reçues du système éducatif français et qui propose que l’école soit une plateforme émancipatrice pour les élèves. Cet ancien charpentier, électricien, agent technique, instituteur et conseiller pédagogique milite pour que le milieu scolaire cesse de reproduire les modèles aliénants afin qu’ils se construisent socialement, qu’ils découvrent leur potentiel d’intelligence, de résilience et de créativité et qu’ils développent des démarches solidaires. Une éducation qui correspondrait bien mieux aux besoins à venir d’un futur compromis par des décennies de méthodes qui n’ont plus rien à voir avec la réalité.
Cette idée peut se percevoir aussi dans les discours de l’UNESCO qui proposent, entre autres, que les études supérieures soient revues comme faisant partie du bien commun sociétal. Ailleurs qu’en France, ce concept acquiert de la popularité. Depuis 2018, les États-Unis, pourtant bien moins portés sur les mouvements sociaux que l’Hexagone, voient ses professeurs lutter pour de meilleures conditions, des classes réduites, de l’aide pour les élèves, etc. Cela même dans des États contrôlés par des républicains, par ailleurs farouchement opposés à l’idée d’éducation publique renforcée. Cela s’explique par une mobilisation plus forte mettant au pied du mur les élus ne pouvant se permettre de licencier une masse aussi critique d’enseignants. Des organisations syndicales ont été bouleversées pour changer les méthodes et promouvoir davantage des concepts de bien commun, de justice sociale et d’équité. Ils ont travaillé à sensibiliser les parents comme les élèves à leurs revendications, donnant plus de poids et d’appuis à leur contestation. Certes, ces légers acquis sont loin d’être pérennes ou annonceurs d’une transformation totale mais ils ont réussi à faire valoir leur point pour améliorer l’éducation.
La réponse à un tel changement de paradigme réside-t-elle dans la “grève générale illimitée”? Difficile à dire. Néanmoins, il semble clair qu’un mouvement de fond massif de pair avec corps enseignant et social aurait plus de poids afin de demander une éducation du bien commun. Cela exige un travail de sensibilisation fort et beaucoup de persévérance puisque les choses ne changent pas d’un claquement de doigts. Selon certains observateurs comme Raymond Millot, cette transformation est essentielle à un futur plus radieux.
Crédit photo : fr.depositphotos.com
Références :
Bouquin, Stephen, et Wim Benda. “Comment Les Enseignants étatsuniens S’organisent Et Font Grève Pour Le Bien Commun.” CONTRETEMPS. Dernière mise à jour : 16 juin 2022. https://www.contretemps.eu/enseignants-etatsuniens-greve-bien-commun/.
Déléant, Julie. “À Palerme, L’éducation Comme Rempart Face à La Mafia.” Equal Times. Dernière mise à jour : 14 septembre 2022.
https://www.equaltimes.org/a-palerme-l-education-comme.
Lamontagne, Denys. “Repenser Nos Futurs Ensemble – Un Nouveau Contrat Social Pour L’éducation.” Thot Cursus. Dernière mise à jour : 6 janvier 2022.
https://cursus.edu/fr/23403/repenser-nos-futurs-ensemble-un-nouveau-contrat-social-pour-leducation.
Larney, Cécilia. “Opinion. « La Crise De L’école Est Aussi Sociale ».” KARIB’INFO. Dernière mise à jour : 1er septembre 2022.
https://www.karibinfo.com/index.php/2022/09/01/opinion-la-crise-de-lecole-est-aussi-sociale/.
“L’école Publique Restera-t-elle Un Bien Commun ?” AFEF. Dernière mise à jour : 1er mars 2022.
https://www.afef.org/lecole-publique-restera-t-elle-un-bien-commun.
“Pour Transformer Notre Société, Transformons L’école.” Conseil National De La Nouvelle Résistance. Dernière mise à jour : 27 avril 2022. https://www.cnnr.fr/pour-transformer-notre-societe-transformons-lecole/.
Rodrigues-Biague, Vanessa. “Pour Borne, Le Système éducatif Français Peut être Source D’inégalités.” 20minutes.fr. Dernière mise à jour : 9 juillet 2022.
https://www.20minutes.fr/societe/3323327-20220709-systeme-educatif-francais-ceux-reproduit-plus-inegalites-selon-elisabeth-borne.
Spinner, François. “L’éducation, Un Bien Commun – Raymond Millot.” Questions de Classe(s). Dernière mise à jour : 6 mars 2022.
https://www.questionsdeclasses.org/leducation-un-bien-commun-raymond-millot/.
Watkins, John. “Improving Public Education for the Common Good in America.” NGLC. Dernière mise à jour : 12 janvier 2022.
https://www.nextgenlearning.org/articles/revival-public-education-and-the-common-good.
Auteur Alexandre Roberge Contacter l’auteur
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