03 nov. 2022
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Aux tréfonds des abysses, dans l’estomac des tortues, sur les plages : le plastique est partout en Méditerranée, la mer la plus polluée au monde. Mais si les opérations de nettoyage se multiplient, seule une réduction drastique des déchets à terre pourra freiner la catastrophe.
Dans le canyon sous-marin de Monaco, une équipe internationale de scientifiques a découvert une véritable décharge sous-marine, à plus de deux kilomètres de fond : bidons, gobelets, et même un pot de yaourt Chambourcy, plus de vingt ans après la disparition de la marque…
“95 % des déchets plastiques dans l’eau finissent dans les abysses. Quand ils tombent sur ces décharges, les pilotes de sous-marins savent qu’ils ont atteint le fond”, explique un des chercheurs de cette mission, François Galgani, spécialiste des plastiques à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).
Première destination touristique au monde, la Méditerranée est soumise à une intense pression humaine, avec en prime un quart du trafic maritime planétaire. Contenant 5 à 10 % du plastique mondial, cette mer semi-fermée a atteint un niveau de saturation, alerte le WWF.
Selon l’Unesco, le plastique provoque chaque année la mort d’un million d’oiseaux et de plus de 100 000 mammifères marins dans le monde. “On n’a pas le choix, il faut couper le robinet”, assure François-Michel Lambert, président de l’Institut de l’économie circulaire.
De Tel-Aviv à Barcelone, les opérations de ramassage des déchets en mer sont légion, certains les recyclant en baskets, bijoux ou autres objets de consommation.
Mais l’effort est largement insuffisant selon Lucie Courtial, de Beyond Plastic Med, association monégasque de protection de l’environnement : pire, les expéditions en bateau peuvent même, du fait de leur lourd bilan carbone, “déplacer le problème”.
Le ramassage sur les plages, lui, “peut avoir du sens, avant que le plastique se disperse en mer”, relève la scientifique : même si, là encore, ces opérations servent surtout à “alerter le grand public”. En mer, certaines solutions trouvent grâce auprès des scientifiques, comme le bateau-poubelle d’Ekkopol, entreprise française qui loue ses services aux collectivités. Sur des zones fortement polluées, le catamaran peut traiter 1 000 m3 d’eau par heure, retenant déchets et hydrocarbures via un filtre.
Dans la baie de Saint-Florent, en Corse, Éric Dupont, son cofondateur, brandit une bouteille en lambeau, échantillon de ces “déchets très dégradés qui en général terminent enfouis ou incinérés”. À “chaque macroplastique récupéré, ce sont des dizaines de milliers de microplastiques en moins”, assure-t-il, en exhibant un morceau de cette mousse expansive très utilisée dans le BTP notamment : “Elle se dégrade en poussières, c’est très toxique, en particulier pour les phytoplanctons”. Car “le plastique représente des menaces physiques, biologique et chimique pour la faune et la flore et persiste très longtemps dans l’environnement, ce qui le rend plus nocif et nuisible que les autres matériaux en mer”, insiste Lucie Courtial.
Polluant en tant que support de fixation de contaminants comme les hydrocarbures, le plastique l’est aussi par ses propres substances chimiques, surtout quand il se dégrade en micro, voire nanoplastiques, d’une taille inférieure au millième de millimètre, “suffisamment petits pour passer dans les tissus”. Mais à ce stade, “on n’a aucun recul, car une fois dans le milieu, on ne sait pas les récupérer et les doser”, alerte François Galgani.
D’après les premières études, certaines espèces sont particulièrement vulnérables : les tortues, dont 80 % ingèrent des sacs plastiques ; les gorgones (sorte de corail), dont les branches sont sectionnées par les filets de pêche à la dérive (10 % des déchets marins mondiaux) ; ou encore les myctophidés, ces petits poissons qui ingèrent les microplastiques à la surface.
Le plastique est tellement présent en Méditerranée que par endroits il s’est même intégré à l’écosystème : les espèces du “neuston”, ensemble d’organismes invisibles vivant à la surface de l’eau, l’utilisent notamment comme espaces de flottaison pour se reproduire. “Son impact est très compliqué à quantifier. Il est ingéré par la faune et les sols, mais il favorise aussi la multiplication d’une faune microbactérienne”, assure Lucie Courtial.
“Environ 24 trillions (milliards de milliards, NDLR) de microplastiques flottent à la surface des océans, d’un continent à l’autre”, souligne François Galgani. Et ces “radeaux plastiques”, transportant des virus au gré des courants, représentent “un risque assez conséquent de déstabiliser les écosystèmes” : “C’est assez dangereux, y compris pour la santé humaine”.
289 espèces marines, dont les deux tiers n’avaient jamais été identifiés auparavant sur la côte ouest des États-Unis, ont ainsi traversé le Pacifique du Japon vers l’Amérique après le tsunami de 2011, agrippées aux radeaux de fortune que constituaient les débris de navires et les déchets.
Puisqu’on estime que 80 % des plastiques en mer viennent des continents, écologistes et scientifiques militent pour une gestion de ces déchets à terre, plus efficace et moins coûteuse que le ramassage en mer. Problème : au bord de la Méditerranée, la gestion des déchets n’est pas homogène.
Dans les pays les plus pauvres, “les décharges à ciel ouvert sont encore la norme”, regrette Lucie Courtial.
En France, “on a plutôt une bonne réglementation, mais on ne l’applique pas strictement”, relève Jean-Yves Daclin, directeur général France de l’association d’industriels Plastics Europe : avec 25 % de plastiques recyclés contre 45 % aux Pays-Bas, “on est très mauvais”.
SystemIQ, cabinet britannique indépendant spécialisé sur l’environnement, estime que pour inverser la tendance il faudrait atteindre 85 à 90 % de plastique recyclé en 2050, contre actuellement 35 % en moyenne en Europe.
Et même s’ils finissent dans la benne appropriée, Lucie Courtial rappelle qu’en fait, “avec les déchets plastiques, il n’y a pas de recyclage mais du ”décyclage” : une bouteille de lait devient un tuyau par exemple, (mais) on est obligé de réinjecter de la matière première”. Optimiste, Jean-Yves Daclin met en avant “de nouvelles technologies de recyclage chimique, qui vont permettre de recycler des produits qu’aujourd’hui on ne sait pas recycler”, ou encore “la fabrication de plastique à partir de carbone capturé sur des échappements de production industrielle”.
Attention toutefois au “message de la technologie salvatrice”, pointe Maïté Abos, directrice de l’association Plastic Odyssey, qui fait le tour du monde des solutions pour réduire cette pollution : “On ne peut pas se passer d’une réflexion autour de ”Comment faire sans plastique ?” C’est un “matériau fantastique, très solide et durable, mais qu’on utilise pour de l’usage unique, très polluant”, déplore-t-elle.
Or, en Méditerranée, ce sont les plastiques à usage unique, emballages alimentaires en tête, qui constituent la plus grande part des déchets, comme dans le canyon de Monaco.
Pour François-Michel Lambert, qui a poussé comme député pour faire interdire les sacs plastiques et la vaisselle jetable, “imaginer un monde sans plastique, c’est aussi difficile qu’imaginer la fin du monde”.
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