Le musée du Louvre vient de lancer une nouvelle campagne d’appel aux dons pour acquérir un fabuleux chef-d’œuvre du XVIIIe siècle : la Tabatière Choiseul. Symbole des fastes du siècle des Lumières, elle constitue aussi un précieux témoignage sur la vie du duc de Choiseul et sa riche collection de peintures.
Si les collections du musée du Louvre comptent déjà plus de 600 tabatières, la Tabatière Choiseul choisie pour la 13e campagne « Tous Mécènes ! » se distingue par le montant que doit réunir le musée pour son acquisition : 3,9 millions d’euros. Dans la famille Rothschild depuis le début du XXe siècle, ce petit objet bénéficie d’une grande renommée en raison de ses miniatures incroyablement détaillées qui en font un rare témoignage historique sur le duc de Choiseul (1719-1785), puissant ministre et collectionneur. L’aura de cette tabatière est renforcée par son contexte de création, située au moment de la chute et l’exil du duc en 1771. La campagne d’appel aux dons espère réunir 1,2 million d’ici le 28 février 2023.
La Tabatière Choiseul témoigne tout d’abord d’une mode très diffusée parmi l’aristocratie française de la fin du XVIIIe siècle : celle de posséder une luxueuse tabatière, que l’on sort pour mâcher ou priser, mais surtout, pour la faire admirer. Depuis la fin du règne de Louis XIV, que l’usage du tabac révulsait et qui l‘interdisait en sa présence, la tabatière connaît en effet un véritable essor.
La Tabatière Choiseul, conçue en 1770-1771, est décorée sur toutes ses faces de miniatures de Louis-Nicolas Van Blarenberghe. © Musée-du-Louvre_/ Herve-Lewandowski.
Comme l’explique Michèle Bimbenet-Privat, conservatrice en chef au département des Objets d’art du Louvre en charge de cette acquisition, elle devient un accessoire doté d’un important signifiant social pour les classes nobles. L’inventaire après décès de la duchesse de Bourbon nous apprend ainsi qu’elle possédait trois cents tabatières… de quoi les assortir avec ses tenues presque chaque jour de l’année. Les tabatières des orfèvres parisiens, qui se sont spécialisés dans cette production, sont les plus recherchées. La monture de la tabatière de Choiseul est ainsi signée Louis Roucel, « orfèvre privilégié du roi », installé dans le quartier des orfèvres, place Dauphine. Particulièrement précieuse, il s’agit d’une monture à cage en ors de couleur, c’est-à-dire faite de deux alliages d’or.
Pierre Adrien Le Beau, Gallerie des Modes et Costumes Français, Jeune femme tenant une tabatière, 1784, vv 256. (c) Creative Commons CC0 1.0.
Mais le raffinement de cette tabatière est avant tout le fait des extraordinaires miniatures peintes à la gouache sur vélin, protégées par des plaques de verre, qui ornent chacune de ses faces. Elles sont l’œuvre de Louis-Nicolas Van Blarenberghe (1716-1794), artiste d’origine lilloise qui a forgé son sens de l’observation et l’extrême minutie de son pinceau en mettant en scène des campagnes militaires. Il se spécialise ensuite dans la représentation de paysages, châteaux et jardins, ou encore de scènes rustiques et fêtes galantes, réclamées par l’aristocratie pour orner leurs tabatières. « Si les miniatures par Van Balrenberghe ne sont ainsi pas d’une grande rareté, commente Michèle Bimbenet-Privat, ce qui est en revanche particulièrement unique, c’est le type de représentation figurée sur cette tabatière. Son sujet n’est pas du tout conventionnel. » Les six scènes de la tabatière donnent en effet à voir le duc de Choiseul portraituré dans ses occupations quotidiennes, dans différents lieux visant à mettre en exergue son prestige, de ses bureaux de Versailles à la Grande Galerie du Louvre.
La chambre bleue de l’hôtel du duc de Choiseul, représentée sur le couvercle de la Tabatière. © Musée-du-Louvre / Herve-Lewandowski.
Quatre faces sont dédiées à son hôtel particulier parisien, rue de Richelieu, édifié pour le collectionneur Pierre Crozat au début du XVIIIe siècle, dont il hérite en épousant son arrière-petite-nièce. Quatre pièces y sont figurées avec un niveau de détail à même de rendre honneur au luxe et au raffinement du mobilier et du décor de l’hôtel : mur lambrissé de blanc et or, tenture en damas de soie bleue, lit à la polonaise enrichie de galons d’or pour la chambre bleue, décor blanc et or, dessus-de-porte peints, pour la chambre blanche… Ces scènes le montrent recevant des visiteurs, relisant des documents, faisant la dictée à ses secrétaires, ou encore s’habillant. Ses occupations ministérielles alternent ainsi avec des scènes plus intimes. C’est toute la vie d’un gentilhomme du XVIIIe siècle qui prend vie sur cette petite boîte de 8 centimètres de long sur 6 centimètres de large. « C’est unique pour un objet décoratif, souligne Michèle Bimbenet-Privat, cette mise en abîme d’un personnage dans son cadre de vie. » Si les couvercles de tabatière peuvent être décorés de portraits de famille ou de couples de fiancés, « il n’en existe aucun de cette époque qui représente ainsi un personnage sous toutes ses coutures ».
À droite, l’appartement ministériel du duc à Versailles, à gauche, la chambre blanche de son hôtel parisien. © Musée-du-Louvre / Herve-Lewandowski.
Plus encore que pour sa représentation des intérieurs de l’hôtel de Choiseul, la fascination exercée par cette tabatière est due pour beaucoup au soin avec lequel un ensemble de peintures de l’incroyable collection du duc a été reproduit. Accrochés cadre à cadres, les tableaux envahissent les murs de la chambre bleue, du cabinet octogone, et bien sûr de la galerie des peintures. L’immense fortune acquise par le duc à son mariage lui permet de se livrer à sa passion pour la peinture en se lançant dans la constitution d’une collection réunissant les plus grands noms de la peinture française, flamande et hollandaise des XVIIe et XVIIIe siècle. La finesse de la représentation a permis l’identification de la plupart des tableaux représentés. Dans la galerie de peintures, un autoportrait de Rembrandt côtoie ainsi une scène animalière de Paulus Potter et des scènes de genre de Gerard Ter Borch et Gerrit Dou. De délicates représentations féminines de Jean Raoux et Jean-Baptiste Greuze, dont L’offrande à l’amour et Le baiser envoyé, sont reconnaissables dans la chambre bleue. Avec plus de soixante-dix tableaux sur les six faces et les pans coupés de la tabatière, celle-ci constitue un véritable hommage au collectionneur que fut Choiseul.
Le duc de Choiseul recevant des invités dans la galerie des peintures de son hôtel particulier. © Musée-du-Louvre / Herve-Lewandowski.
La tabatière éclaire ainsi les différentes facettes de la vie et de la personnalité du duc : homme d’état au travail à toute heure du jour et de la nuit (comme en témoignent les documents représentés dans sa chambre à coucher), amateur d’art aimable et mondain qui aime à faire découvrir sa collection à ses invités. Mais ce qui rend cette tabatière encore plus intimement liée à la vie de Choiseul est son contexte de création. Sa date d’exécution, située entre juillet 1770 et juillet 1771 d’après le poinçon de l’orfèvre, ne peut en effet que l’associer à la disgrâce du duc, survenue le 24 décembre 1770. Les causes exactes de ce revers de fortune n’ont pas encore été éclaircies, mais il marque le triomphe du parti anti-Choiseul – au sein duquel figure la comtesse du Barry, nouvelle maîtresse du roi – qui cherchait à le compromettre. Choiseul est contraint à l’exil et quitte Paris le jour même. Endetté, il doit vendre sa collection de tableaux, qui est alors dispersée. Son hôtel sera également vidé de ses meubles, avant d’être vendu. Plusieurs hypothèses entourent ainsi les origines de cette tabatière : a-t-elle été commandée par le duc peu avant sa chute, ou bien par un membre de son entourage en souvenir de sa gloire passée ?
Louis Michel Van Loo, Portrait du duc de Choiseul, 1763, huile sur toile, 93 x 121 cm, Paris, musée du Louvre. ©Bernard Montabo, Le Grand livre de l’histoire de la Guyane, 2004.
L’acquisition de la tabatière par le musée du Louvre a donné lieu à l’ouverture d’une véritable enquête sur l’histoire de l’objet. L’étude des archives, correspondances, inventaires, devrait permettre de lever une partie du voile, mais aussi l’analyse minutieuse des représentations de la tabatière. Car la multiplicité et la précision des détails ouvrent la porte à tout un travail d’identification, des objets d’art au mobilier, mais aussi des personnages, comme l’explique Michèle Bimbenet-Privat. Une équipe multidisciplinaire de chercheurs s’est ainsi formée autour de la conservatrice et de Thierry Sarmant, conservateur général aux Archives nationales, dont le but est de publier un ouvrage consacré à la tabatière avant la fin 2023.
La Grande Galerie du Louvre, où était exposée la collection de plans-reliefs. © Musée-du-Louvre / Herve-Lewandowski.
Ainsi, Frédéric Dassas, conservateur au département des Objets d’art, s’intéresse aux pièces de mobilier, notamment le célèbre bureau plat dit « de Choiseul », représenté dans le cabinet ministériel du duc. Guillaume Faroult, conservateur au département des Peintures, travaille à l’identification des tableaux. point Xavier Salmon, directeur du département des Arts graphiques, se penche sur l’œuvre des Van Blarenberghe, qui ont laissé plusieurs croquis préparatoires de l’intérieur de l’hôtel. Guillaume Fonkenell, historien de l’architecture, se consacre quant à lui à la représentation de Choiseul dans la Grande Galerie du Louvre.
Il s’agit en effet du seul témoignage de son décor dans son état originel. On distingue sur cette même vue la collection de plans-reliefs des places fortes françaises qui y était exposée, qu’Isabelle Warmoes, ingénieur d’étude au musée des Plans-reliefs, en est charge d’identifier. Enfin, Dominique Prévot, chargé documentaire au musée de l’Armée, étudie les costumes des différents personnages afin d’aider à leur identification. « C’est en tournant autour de la tabatière, chacun dans nos spécialités, que nous allons trouver la vérité de cet objet » conclut Michèle Bimbenet-Privat. L’infinité des détails de la tabatière peut être admirée dans la salle 609 (aile Sully, 1er étage) du musée du Louvre, où elle sera exposée jusqu’à la fin de la campagne.
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