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Alors que la Coupe du monde commence au Qatar ce dimanche 20 novembre, L’Hebdo s’est attardé à Inzinzac-Lochrist, une bourgade du Morbihan, pour tenter de comprendre l’attachement des gens du coin à leur mythique équipe de football amateur, l’US Montagnarde. Avec, au-delà des spécificités régionales, cette interrogation : pourquoi, malgré tout, on aime le foot ?
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Le foot comme on l’aime : au plus près du terrain, avec les amateurs de l’US Montagnarde
À l’entrée du village d’Inzinzac-Lochrist (Morbihan), une maison bleue accueille le siège de l’US Montagnarde, grand nom du football amateur français.
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Très présents au bord du terrain, les supporteurs de l’USM s’impliquent aussi bénévolement dans la vie du club, en comptant la caisse ou en tenant la friterie pendant les matchs.
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Malgré la défaite à Pontivy, à une quarantaine kilomètres de leurs terres, Tatiana (17 ans) et sa mère Annouchka (45 ans) soutiennent avec ferveur les Bleus de la Montagnarde.
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Match de football du 3e tour de la Coupe de France opposant l’US Montagnarde, au stade de Pontivy, le 10 septembre 2022.
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Dans le vestiaire de l’USM à la mi-temps du match contre Fougères, l’entraîneur Pierrick Le Bert motive ses troupes, alors menées 1 à 0. La Montagnarde égalisera à la 82e minute, par Erwan Maintenant.
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Dominique, Marie-Madeleine, Anouchka et Tatiana s’occupent de compter la caisse et récupérer les gobelets à la fin du match, lors d’un match de foot de l’US Montagnarde contre Fougères en N3 au stade Mané Braz à Inzinzac-Lochrist, le 1er octobre 2022.
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Match entre l’Union sportive Montagnarde (USM) et Fougères (1-1), le 1er octobre dernier.
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Christophe Tison, ancien joueur puis entraineur de l’US Montagnarde, à Inzinzac-Lochrist, le 22 septembre 2022.
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Ecusson de l’US Montagnarde.
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Poste de l’US Montagnarde sur Facebook à la suite de leur défaite 2-0 face à la GSI Pontivy pour le premier match de coupe de France. Inzinzac-Lochrist le 10 septembre 2022.
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Des bénévoles tiennent la friterie pendant toute la durée du match. Match de foot de l’US Montagnarde contre Fougères en N3 au stade Mané Braz à Inzinzac-Lochrist le 1er octobre 2022.
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Au stade Mané Braz,
le 1er octobre,
à l’occasion
d’un match opposant l’USM à Fougères
pour le compte de
la deuxième journée
de National 3,
la cinquième division nationale (1-1).
Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Coup d’envoi. Le match commence à Pontivy, ce samedi 10 septembre. Une poignée de supporteurs de l’US Montagnarde (USM), les visiteurs, sont installés sur le banc le plus élevé de l’unique tribune au toit de tôle. L’un d’eux compare : « Ici, ce n’est pas l’équipe de France ou la Ligue 1. Les joueurs que tu vois sur le terrain, on les connaît. C’est que des gars qui te saluent quand ils passent au bistrot. »
Jean-Guy Le Boulaire, 64 ans, a une bière à la main et une moustache en forme de fer à cheval. Adolescent, ce boucher-charcutier, aujourd’hui à la retraite, parcourait en mobylette la vingtaine de kilomètres de petites routes qui séparent son patelin du Morbihan, Locoal-Mendon (3 000 habitants), et Inzinzac-Lochrist (6 000 habitants) où est basée l’USM, l’une des meilleures équipes de la région. « La première fois que je les ai vus jouer, c’était dans les années 1970 en Coupe de l’Ouest. Et je peux te dire que ça jouait au ballon. Les mecs, dès qu’ils faisaient une passe, j’aurais cru un tir. »
À l’entrée du village d’Inzinzac-Lochrist (Morbihan), une maison bleue accueille le siège de l’US Montagnarde, grand nom du football amateur français. / Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
En cinquante ans de vie de supporteur, ce « fidèle de chez fidèle » a vu son club, aujourd’hui en National 3 (l’équivalent de la cinquième division), jouer à peu près partout en Bretagne et en France. Il a connu les épopées et les saisons ratées. Les points glanés sur le fil, dans les dernières minutes ou aux tirs au but, et quelques défaites superbes en Coupe de France contre Montpellier ou Monaco. Il est pourtant arrivé à Jean-Guy d’être infidèle. Mais seulement quand les joueurs de l’USM affrontaient l’équipe de son village. Quand c’était eux « les gros » et que le Petit Poucet s’appelait Hermine de Locoal-Mendon. « Je me souviens en décembre 1994, La Montagne avait joué l’Hermine en Coupe de Bretagne. J’étais responsable de la buvette et on les avait envoyés en prolongations ! » Le football, pense Jean-Guy, c’est d’abord une histoire de géographie.
« Je dirais que c’est surtout des histoires de famille », prolonge Annouchka Tchérépoff, 45 ans, venue au stade de Pontivy avec sa fille Tatiana, 17 ans. Les deux supportrices de l’USM se sont, comme à leur habitude, placées derrière le but adverse avant le coup d’envoi, « pour bien voir chaque ballon rentrer ». D’ailleurs, un attaquant de l’US Montagnarde entre dans la surface de réparation. « Allez, passe, passe… Et merde. » Sortie de but.
Malgré la défaite à Pontivy, à une quarantaine kilomètres de leurs terres, Tatiana (17 ans) et sa mère Annouchka (45 ans) soutiennent avec ferveur les Bleus de la Montagnarde. / Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
La jeune fille, Tatiana, est plus calme que d’habitude. Lors des derniers déplacements en Coupe de France, « fallait la voir crier ! », rigole sa mère. Elle avait aussi beaucoup chanté dans le bus avec Jean-Guy, qui avait recruté pour l’occasion deux joueurs de biniou afin de « mettre un peu de lalala dans les Ardennes », comme il dit. « C’est vrai que je suis plus calme ce soir, mais c’est parce que je suis à l’école à Pontivy (en terminale dans un lycée agricole), se défend timidement Tatiana. J’ai des copains de classe qui sont là. »
« Pendant le confinement, on allait regarder les matchs, même si c’était interdit, cachées derrière les arbres. »
On l’a vu tout à l’heure saluer un camarade. Deux bises esquissées, vite. Visage figé. « Ça va – Ça va et toi. » Ce qui inhibe Tatiana, ce n’est pas de supporter l’équipe d’en face. C’est plutôt qu’un monde a fait irruption dans l’autre. Au stade, les gesticulations et les cris. À l’école, l’étude assise et le regard des autres, peu compatible avec la chaleur des retrouvailles dans cette tribu qui les a rapidement adoptés à leur arrivée à Inzinzac-Lochrist. « On a quitté la Mayenne en 1987, raconte Annouchka. Mes frères ont commencé à jouer au foot à La Montagnarde. Mon père, aujourd’hui décédé, s’est engagé dans le club (dont il a été secrétaire général, NDLR) et puis voilà, on est là. »
C’est toujours la mère d’Annouchka, grand-mère de Tatiana, qui tient la billetterie lors des matchs à domicile au Mané Braz, le stade d’Inzinzac-Lochrist, avec son foulard à motifs noué autour du cou et ses beaux cheveux blancs et raides. Annouchka, toujours en jean avec une cigarette à la main, est conductrice de ligne dans l’agroalimentaire, en horaires décalés. Elle a un peu joué au football, « avec les gars jusqu’à 12 ans », et puis, comme l’USM n’avait pas encore d’équipe féminine (elle existe depuis seulement six ans), elle a poursuivi durant trois ans à Lorient. Mais ce qu’Annouchka préfère aujourd’hui, c’est venir au stade avec Tatiana, « la seule de mes enfants que j’ai contaminée. Pendant le confinement, on allait regarder les matchs au Mané Braz, même si c’était interdit, cachées derrière les arbres (qui bordent le stade, NDLR). Je me souviens d’un jour, une victoire, on est sorties de la forêt en criant. Et on s’est rendu compte qu’en fait on n’était pas 5 mais 10, 20… On était plein de supporteurs planqués dans la forêt ! »
Dominique, Marie-Madeleine, Anouchka et Tatiana s’occupent de compter la caisse et récupérer les gobelets à la fin du match, lors d’un match de foot de l’US Montagnarde contre Fougères en N3 au stade Mané Braz à Inzinzac-Lochrist, le 1er octobre 2022. / Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Récemment, les deux femmes ont raté l’anniversaire d’un petit-cousin pour voir leur équipe disputer un match de Coupe de France. C’est leur compétition préférée. « Cette année, on n’a pas de chance sur le tirage. On est qu’au troisième tour et on tombe déjà sur une équipe comme Pontivy… »,dit Tatiana. Elle s’interrompt. Au milieu du terrain, un joueur de cette grosse écurie de National 3 vient de durement tacler un attaquant de l’USM, Youenn Tanguy, 19 ans, qui ne se relève pas (9e minute de jeu). « Franchement s’ils nous éliminent maintenant dans la saison, c’est juste horrible », tranche la jeune fille.
La première mi-temps se poursuit et ce sont les Pontivyens qui se créent le plus d’occasions. Un poteau de Hequet (11e), une reprise mal cadrée de Beaugendre (20e), une tête de Quemard (24e) et ce tir de Morhan, obligeant à une très belle parade de Guillemin (33e). Côté Montagnards, rien. « Qu’est-ce qu’on joue mal, mais qu’est-ce qu’on joue mal », grommelle un homme assis en haut de la tribune. Il ajoute, en jetant un coup d’œil à mon carnet : « N’oubliez pas d’écrire que le club, ici, il a une histoire. Qu’on est les gars des Forges. »
Quelques heures avant le match, Jean-Claude Le Pen, 76 ans, était assis avec Jean-Guy sur la banquette ovale du Galion. C’est la tradition : avant chaque rencontre de Coupe de France, ils déjeunent entre copains dans cette cafétéria du Leclerc d’Hennebont, pas très loin de la zone industrielle créée en 1966 pour reclasser « les gars des Forges », justement, quand elles ont fermé. Leur usine produisait depuis 1860 le fer-blanc employé dans toute la conserverie bretonne.
« On n’est pas l’équipe des Forges. La direction a jamais mis d’argent. La Montagnarde, c’est l’équipe des forgerons. »
L’US Montagnarde, dont Le Galion est l’un des sponsors depuis six ans, est née en 1936. Les ouvriers métallurgistes d’Hennebont et leurs syndicats réconciliés venaient alors d’obtenir une augmentation des salaires et deux semaines de congés payés. En représailles, la direction leur avait supprimé le patronage laïc qu’elle-même avait mis sur pied. Terminée la fanfare, terminé le club de football des Enfants de Lochrist-Hennebont, fondé entre les deux guerres par le directeur des Forges, Camille Herwegh, à l’époque également maire d’Hennebont et conseiller général.
Très présents au bord du terrain, les supporteurs de l’USM s’impliquent aussi bénévolement dans la vie du club, en comptant la caisse ou en tenant la friterie pendant les matchs. / Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Alors dans l’élan de leur combat social, les gars des Forges ont racheté leurs instruments de musique, et ajouté L’Internationale au répertoire. Ils se sont réunis à quelques-uns dans le café de Jeannette et Francis Nignol, dont le bâtiment rouille est encore visible sur la Montagne. Ce quartier de cités ouvrières du village d’Inzinzac- Lochrist est situé à 60 mètres au-dessus du niveau de la mer, en surplomb des longs bâtiments des Forges. C’est là que les ouvriers ont monté leur équipe au nom trompeur : l’Union sportive montagnarde (USM). C’est vraiment la leur, insistent les supporteurs qui déjeunent au Leclerc. À la différence d’autres clubs « dits ouvriers » comme Lens (fondé par la direction des Mines), Sochaux (Peugeot) ou encore Saint-Étienne (Manufrance), l’USM n’a jamais été l’extension sportive d’une utopie patronale. Ici, pas de paternalisme en ballons. « Écris bien qu’on n’est pas l’équipe des Forges. La direction a jamais mis d’argent. L’USM, c’est vraiment l’équipe des forgerons. »
C’est la mi-temps à Pontivy. Et l’US Montagnarde est maintenant menée 1-0 après une belle reprise de la tête de Beaugendre sur un corner de Morhan (34e). Jean-Claude écoute ses copains qui dissertent maintenant sur « l’essence du club ». « Aller taper les gros, chez nous, c’est presque une raison d’être », aurait dit à l’un d’eux un ancien joueur de l’USM, dont le nom échappe.
Le récit des épopées commence. L’âge d’or, c’est d’avoir été la seule équipe de DH (6e division) à disputer un 8e de finale de Coupe de France. C’était en 2002 contre l’AS Monaco. L’équipe de la principauté était alors entraînée par un certain Didier Deschamps (défaite 0-1). « But de Gallardo ? – Non, non, but de Nyarko, qui avait pris un jaune. » En 2002 toujours, l’USM, dont tous les joueurs sont amateurs, c’est-à-dire étudiants, mécaniciens, commerciaux ou encore agents municipaux, et dont aucun n’a jamais tiré ses revenus du football, avait battu les professionnels du Stade Malherbe de Caen (Ligue 2). Les tribunes du stade local étaient bondées. « But de Gravelaine ? – Mais non, but de Bodmer. Vous le faites exprès ? »
Le jour décline à Pontivy tandis qu’on se moque des joueurs du Paris FC qui avaient pris tout le monde de haut en débarquant sur la pelouse d’Inzinzac-Lochrist, le 13 mars 1999. « On les avait étrillés 4-0. » Quelques souvenirs tristes aussi. « Le pire déplacement de notre vie, ça a été Sedan en 2005 (16e de finale de Coupe de France). De la flotte toute la journée. On était partis à 5 heures du matin. Sur place, on a été reçus comme des chiens. Ils nous avaient même fermé la buvette à la fin du match. » 4-0, là aussi. Le temps de commémoration se termine par l’évocation d’un des derniers moments de bonheur. « Le match de la montée de Régional 1 à National 3, à la fin de la saison dernière. C’est là qu’il aurait fallu venir ! Jean-Guy avait dit qu’il se couperait la moitié de la moustache si on gagnait. » Le coup de rasoir a été administré par Jean-Claude à Ergué-Gabéric (Finistère) après la victoire contre les Paotred Dispount, l’équipe de Vincent Bolloré.
Les joueurs pontivyens commencent à regagner le terrain. Dans les tribunes, on évoque encore les débuts du milieu de l’équipe de France Paul Pogba (forfait pour la Coupe du monde, NDLR) qui a, un jour, foulé l’herbe du Mané Braz avec son club formateur du Havre. « Vous croyez qu’il s’en souvient ? » Personne ne se rappelle du score, mais on s’en fiche. L’essentiel est ailleurs. Il s’agit de rappeler que des gens importants sont venus à Inzinzac-Lochrist. Et aussi qu’on est allés chez eux, même si on a perdu. « À une époque, on jouait la B du PSG. On allait jusqu’à Poissy, Malakoff, Creil. On affrontait le Red Star… », rappelle Jean-Claude.
Aujourd’hui, les Forges n’existent plus mais les valeurs des forgerons sont encore portées, presque partout. Il y a eu les désindustrialisations, les fusions de communes et l’aspiration de territoires entiers dans la zone d’influence de métropoles toujours plus grosses. Mais à chaque épopée, on se dit qu’on existe toujours un peu malgré la mondialisation. Un peu comme pour le Qatar, finalement, ce petit royaume des confins de l’Empire ottoman qui cherche sa place au milieu des grandes puissances de la région, l’Arabie saoudite et l’Iran… Le match s’apprête à reprendre. Jean-Claude souffle. « Quand même. Aujourd’hui le fric est en train de tout tuer… » Coup de sifflet.
Jusqu’à l’évocation du Qatar, cet homme aux joues basses et aux beaux yeux bleus écoutait les anecdotes fuser presque sans parler. Question de personnalité. Ancien garagiste auto et monteur de machines, il avait juste souri quand Jean-Guy a parlé des « liens » qu’ils ont gardés après leur déplacement à Langon-Castets (défaite 3-0), près de Bordeaux. « C’était en 2000. Depuis, on leur commande du vin chaque année. » Autour de la table du Galion, avant le match, on avait demandé à Jean-Claude pourquoi il aime tant le football. On le lui avait demandé à lui, pas à la cantonade. Son geste s’était interrompu au-dessus de son assiette. Ses sourcils s’étaient un peu froncés. Il avait dit : « La première fois que je suis venu au Mané Braz, j’avais 9 ans. C’était avec mon père. Il était ouvrier aux forges d’Hennebont. Quelques années après, il a été tué. Un four a explosé avec le métal en fusion. Il avait 36 ans. Moi 11 ans et demi. »
Jean-Claude est devenu orphelin en 1958 et fut placé à une quarantaine de kilomètres d’Inzinzac-Lochrist, à l’institut Saint-Michel de Priziac. « Là, j’ai perdu le fil avec La Montagne. J’ai renoué après le service militaire, quand je suis revenu m’installer dans un petit bled à une vingtaine de kilomètres d’ici. Et puis je suis devenu coach adjoint de la A et porteur d’eau », c’est-à-dire chargé de l’équipement. Jean-Claude s’occupait des pharmacies à approvisionner et à distribuer aux responsables de la trentaine d’équipes de jeunes de l’USM. « Là, je viens de raccrocher. Ça a été dur d’arrêter. C’est plein de souvenirs. Mon père déjà, c’était un mordu… Le plus dur aujourd’hui, c’est arriver au Mané Braz sans entrer dans les vestiaires. Et aussi de ne plus voir les gamins grandir. »
« Les gens ne venaient pas voir du foot, ils venaient voir des gars qui se dépassent. Des gars comme eux. »
Les joueurs de La Montagne sortent à leur tour des vestiaires, dans lesquels le nouveau coach de l’USM, Pierrick Le Bert, n’a finalement pas voulu qu’on entre. « Cette année, on vient de monter (de Régional en National). On n’est pas là pour faire les fanfarons », expliquait la veille du match cet ancien joueur professionnel au regard d’opale passé par l’USM et Lorient. À 52 ans, ce fils d’un marin de commerce et d’une femme de ménage entraîne donc les amateurs d’Inzinzac-Lochrist tout en étant l’adjoint de Corentin Martins, le sélectionneur national de la Libye.
Dans le vestiaire de l’USM à la mi-temps du match contre Fougères, l’entraîneur Pierrick Le Bert motive ses troupes, alors menées 1 à 0. La Montagnarde égalisera à la 82e minute, par Erwan Maintenant. / Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
« L’identité de La Montagne, c’est les valeurs des ouvriers. Le travail et l’humilité, dit-il. Ici, on veut des gars qui mouillent le maillot, capables de ne rien lâcher et d’aller chercher la victoire dans les dernières minutes. Je me rappelle quand je jouais. Quand La Montagne passait du mode tranquille au bouillonnement à dix minutes de la fin. L’osmose avec le public qui te transcendait. À l’époque, les gens ne venaient pas voir du foot, ils venaient voir des gars qui se dépassent. Des gars comme eux. » C’est peut-être en substance ce que l’entraîneur a dit à ses joueurs dans les vestiaires. Son équipe montre un autre visage en ce début de seconde période, se procurant même quelques occasions. Tête non cadrée de Le Coupanec (51e). Lob manqué de Zambé (57e). Mais devant Annouchka et Tatiana, qui ont changé de côté, les filets ne tremblent pas. Alors que 90 mètres plus loin, Hequet frappe (60e). 2 à 0 pour la GSI Pontivy.
Match de football du 3e tour de la Coupe de France opposant l’US Montagnarde, au stade de Pontivy, le 10 septembre 2022. / Juliette Pavy pour La Croix L’Hebdo
Le match est fini. Dans les gradins, Jean-Guy critique l’arbitre de touche. « Ce n’est pas la première fois qu’on l’a, lui, il est nul. » Quelques étages plus bas, un autre supporteur de l’USM le sermonne. « Arrête de l’embêter, il s’est donné. C’est vrai qu’il ne court pas beaucoup cet arbitre, mais regarde-le. Il est aussi vieux que nous. » Albert Giovannelli, auteur en 2016 d’Union sportive Montagnarde, quelle histoire ! De l’aube ouvrière aux grands soirs (lire Pour aller plus loin, en bas de l’article), se lève en direction de la sortie. Près du piquet de corner, il croise Kévin Le Gall, l’actuel président du club, regard dans le vague. « Bon, c’est pas pour cette année – Eh non… »
Les deux hommes s’étaient présentés l’un contre l’autre aux élections de 2013 pour la présidence de l’USM. Aujourd’hui, ils s’opposent sur la construction d’une grande salle de handball que la mairie d’Inzinzac-Lochrist veut installer sur l’un des terrains en herbe du Mané Braz, en contrepartie du financement de deux synthétiques. Kévin Le Gall, jeune assureur, met en avant les besoins de développement d’un club au modèle économique fragile : « On tournait avec 240 000 euros par an, là on est montés à 300 000 euros. En fait, on renfloue vraiment les caisses à chaque épopée » (en Coupe de France, NDLR).
Mais pour Albert Giovannelli, ancien directeur des services de l’agglomération, c’est une aberration. « Le football n’est pas fait pour être joué sur du plastique produit par l’industrie chimique. » C’est aussi que ce terrain, il y tient. Il s’y rendait déjà, enfant, pour taper dans le ballon ou voir jouer les grands. Mais ce soir à Pontivy, on oublie un peu cette bataille des anciens contre les modernes, et chacun regagne sa voiture, les yeux embués. La tristesse est intime mais malgré tout partagée. Comme si chacun s’apprêtait à rentrer chez lui avec un morceau de la peine vécue par la tribu. Comme s’ils étaient encore, malgré tout, les notes de musique d’un vieil orchestre impossible à désaccorder. Avant de fermer sa portière, Tatiana s’écrie : « Bon mon Jean-Guy ! C’est pas cette année qu’on va rechanter dans le bus ! Mais l’année prochaine… »
La Croix L’Hebdo : Certains amoureux de football sont très pudiques quand on les interroge sur leur rapport à ce sport. Comment l’expliquer ?
Abdu Gnaba : Le football et la jouissance que procure son spectacle renvoient dans notre société à une forme d’immaturité émotionnelle, à quelque chose de gênant, de tabou. L’image du football, c’est celle du stade dans lequel les gens crient. Si vous assistez pour la première fois de votre vie à un match, qu’est-ce que vous voyez ? Vingt-deux sapiens qui courent dans un pré à vaches à peu près taillé, le tout orchestré par trois hommes en noir dont l’un a un sifflet. Et des foules en rouge ou bleu qui chantent, s’exclament, jouent de la musique… Mais il y a aussi les règles. Ce sont elles qui transforment le terrain de football en un espace de violence pacifiée, en ce creuset alchimique qui permet la cohabitation des contraires.
N’est-ce pas la même chose dans d’autres sports ?
A. G. : Le football, en particulier, est le support d’une cohésion très large. Peut-être, déjà, parce qu’il permet à chaque catégorie physique d’être représentée, des grands défenseurs centraux jusqu’aux petits milieux de terrains. Cela permet de s’identifier et de prendre conscience que l’on appartient à un même corps vivant.
Je crois que si le football perdure malgré les critiques qu’on lui adresse, c’est parce qu’il nous permet de continuer à nous inscrire dans un grand récit collectif, au-delà de l’individualisme. Nous sommes d’abord des êtres de fiction. Comme l’écrivait le philosophe Jean-François Lyotard, nous avons besoin de nous inscrire dans une histoire commune. Or le football a cette incroyable capacité de créer des générations. La génération Séville, la génération 1998, la génération 2018…
En quoi est-ce si important ?
A. G. : Sociologiquement, je dirais que ce sport est l’une des plus grandes métaphores
de notre société. C’est bien pour cela qu’il faut le sortir de l’image qu’en donnent des compétitions iniques comme cette Coupe du monde au Qatar. Les joueurs, les héros, ont d’autres vocations que d’être des objets de consommation. Empruntant à Clemenceau, je dirais que le football est une activité sociale trop importante pour la laisser aux seules mains des gens d’argent.
« Le football est aujourd’hui le sport le plus populaire. Comme l’a écrit l’historien Georges Vigarello, il a pu le devenir dès lors que l’ouvrier a commencé à moins travailler et que le travail est devenu physiquement moins dur, libérant du temps et de la force physique pour faire du sport. Jusque-là, sa pratique était surtout réservée aux élites et classes moyennes, diffusée dans les patronages et certains lycées. L’un des accélérateurs de la démocratisation du football au XXe siècle a été la Première Guerre mondiale. Les hommes ont commencé à partager cette passion dans les tranchées. À l’arrière, on y jouait, comme les troupes anglaises dans les campagnes picardes, qui diffusèrent sa pratique.
Entre les deux guerres, les footballeurs deviennent professionnels (1932), mais d’autres sports restent extrêmement populaires : le cyclisme, la boxe ou encore la pelote basque, avec Chiquito de Cambo. Dans les pages des journaux spécialisés, le football n’arrive souvent qu’en quatrième page. L’année 1958 va constituer un autre tournant. Le Ballon d’or est attribué à Raymond Kopa et la France perd contre le Brésil de Pelé en demi-finale de la Coupe du monde.
De plus en plus de Français commencent à s’y intéresser. Dans les clubs, la formation se professionnalise durant les années 1970. Footballeur devient réellement un métier auquel on se prépare dès le plus jeune âge et qui est régi par une convention collective. C’est ensuite l’apparition des matchs à la télé. Les Verts sont à leur haut niveau européen. L’équipe de France perd à nouveau en demi-finale de la Coupe du monde en 1982. Elle est championne d’Europe en 1984. Dans la tête des Français, l’idée s’installe que la victoire est possible. Un jour, la France sera championne du monde. »
Pour aller plus loin
♦ Le dictionnaire
Dictionnaire amoureux de la Coupe du monde
A comme Aimé J. (Jacquet, NDLR), qui n’a jamais pardonné à l’auteur et à son journal, L’Équipe, leur traitement de la Coupe du monde 1998. B comme Ballons, comme ces tangos légers venus remplacer ces briques de cuir alourdies par la pluie dans lesquelles Vincent Duluc eut l’occasion de taper à l’adolescence, dans l’Ain… C comme Clairefontaine, D comme Dugarry, E comme Envoyé spécial… Ce livre à picorer est à la fois la rétrospective de cinquante ans de football et une plongée, sensible, dans le regard sur ce sport par l’une des plus belles plumes du journalisme sportif en France. Un régal.
De Vincent Duluc, Plon, 544 p., 26 €
♦ L’antidote
Qatar 2022. L’autre pays du football
Le foot, nous rappelle cyniquement un dessin de Gab, c’est aussi des règles : « Ne pas taper dans la caisse tout seul, ne pas parler aux journalistes, tout en petite coupure et pas de pot-de-vin trop voyant. » Ce livre drôle et renseigné mêle habilement le récit précis d’un ancien journaliste spécialisé sur les dessous de l’obtention de la Coupe du monde au Qatar et la corruption de la Fifa avec des dessins drôles et grand public signés d’un « ignorant des choses du football ». À déposer sur la table du salon de ceux qui regardent, malgré tout, cette Coupe du monde.
D’Alain Leiblang et Gab, En exergue Éditions, 80 p., 15 €
♦ Tour du monde
Coups de sifflet. Une histoire du monde en onze matchs
L’historien Fabien Archambault détaille onze matchs comme autant de documents sur leur époque. Coup de cœur pour le chapitre consacré à un Lazio-Roma des années 1950 couvert par Pier Paolo Pasolini, qui raconte l’émergence, en tribunes, d’une conscience ouvrière.
De Fabien Archambault, Flammarion, 192 p., 18 €
♦ La Montagne
Union sportive montagnarde, quelle histoire! De l’aube ouvrière aux grands soirs
C’est une lecture indispensable pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’US Montagnarde. Le livre est comme son auteur, ancien joueur de l’USM, jamais avare d’anecdotes. C’est, à travers ce petit club breton, quatre-vingts ans d’histoire ouvrière qui sont racontés.
D’Albert Giovannelli, Tilenn, 156 p., 15 €
♦ L’histoire
Une histoire de France en crampons
Ne pas laisser le football aux seuls journalistes sportifs. C’est l’une des ambitions de l’auteur, historien de l’équipe de France, qui a choisi de revenir sur plusieurs moments marquants de notre histoire à travers 23 matchs internationaux. Ils lui permettent de raconter, dans un style à la fois rigoureux et très agréable, les guerres, les grèves, la colonisation et l’immigration…
De François da Rocha Carneiro, Le Détour, 224 p., 18,90 €
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(1) Tilenn éditions, 156 pages, 15 €.
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