Challenges Économie
Par Gaëlle Macke le 25.09.2019 à 18h55 Lecture 6 min.
Conte cruel mais sans caricature sur le monde du big business, « Ceux qui travaillent », premier long métrage du cinéaste suisse Antoine Russbach, qui sort ce 25 septembre, fait écho au drame personnel que vivent certains cadres qui se font mettre sur la touche à 50 ans alors qu’ils ont construit toute leur vie autour de leur boulot.
Olivier Gourmet dans “Ceux qui travaillent”, en salles le 25 septembre
Frank (interprété par Olivier Gourmet, parfait) est un cadre sup’ dans une grosse compagnie de fret maritime genevoise, qui ne vit que par et pour son travail. Sautant dans son costume dès l’aurore, premier arrivé dernier parti de l’entreprise, dînant chez lui d’un sandwich dans son bureau plutôt qu’à la table familiale, il ne compte pas ses heures et ne se pose pas de questions. Elevé à la dure à la ferme, parti d’en bas, il a gravi en quinze ans tous les échelons. A la sueur de son front et sans états d’âme. Dévoué au point de commettre le pire au nom de l’intérêt de son entreprise… qui, quand elle l’apprend, préfère le lâcher (et aussi économiser son gros salaire).
Le film "Ceux qui travaillent", du jeune réalisateur suisse Antoine Russbach, interroge sur les pratiques d’un univers du big business cynique, où la morale peut faire mauvais ménage avec la course aux profits, mais évite subtilement le regard manichéen que le petit milieu du cinéma français porte trop souvent sur le monde de l’entreprise. D'ailleurs, malgré sa faute (impardonnable et qu’il ne regrette pas), on se prend d’une certaine compassion devant la descente aux enfers sans caricature de cet antihéros dont l'armure impassible se craquelle alors que, avec son poste, il perd son statut social de celui qui a réussi, son rôle familial de pourvoyeur d’un opulent train de vie, et même sa raison d'être, lui qui a fait du « travailler plus pour gagner plus » son credo de vie. Car, à suivre son parcours de travailleur déchu, qui garde son costard et part errer en voiture tôt le matin cachant pendant trois mois son sort à sa femme et ses enfants gâtés, ébranlé face à la novlangue de la conseillère qui fait son bilan de compétences, aux contacts professionnels qui se détournent, aux groupes de parole de chômeurs dépressifs, on constate comme le déclassement peut venir vite… Un écho au vécu de bien des managers seniors pour qui l’accident de parcours vire au drame personnel.
Certes, les cadres sont moins menacés que les autres, avec un taux de chômage à 3,8 %, mais les plus de 50 ans en forment les gros bataillons : 45 % des cadres sans emploi, et près de la moitié d’entre eux le sont depuis plus d’un an. Or, « longtemps, les cadres ont connu une carrière ascendante à l’ancienneté jusqu’à la retraite, explique la sociologue Anne-Marie Guillemard, spécialiste de l’emploi des seniors. Ils sont d’autant plus ébranlés qu’ils se pensaient immunisés ». Tel Jean-Louis Cianni, ex-directeur de la communication de feu
Air Littoral : « Je croyais être qualifié et expérimenté. Débarqué à 49 ans, j’ai découvert que j’étais vieux et cher. On devient inutile et invisible. C’est une blessure profonde à l’ego. »
Si perdre son emploi est une épreuve pour tout le monde, « la chute est d’autant plus douloureuse qu’on tombe de haut, analyse Michel Debout, psychiatre auteur du livre Le Traumatisme du chômage (Editions de l’Atelier). Les managers se classent en gagnants de cette société de la performance, ils adhèrent à ses valeurs du succès mesuré par une belle carrière, le pouvoir et l’argent. Ejectés du système, ils se sentent trahis, dévalorisés. Pour les autres, le chômage est un coup dur. Pour eux, c’est une honte. »
Et à haut salaire, grosse galère. « Mes revenus ont été amputés de plus de moitié quand j’ai été viré à 45 ans après le rachat de ma SSII, confie François Humbert, reconverti en indépendant, recruteur de cadres seniors. On a raclé les fonds de tiroir pour payer les études des enfants aux Etats-Unis tout en finissant de rembourser la maison. J’ai du mal à faire comprendre aux candidats qu’ils devront renoncer à leurs habitudes. D’autant que beaucoup ont noué un “pacte financier” implicite avec leur famille où ils donnent la priorité au boulot à condition d’assurer l’aisance matérielle. Pourtant, pour s’en sortir, je leur conseille de baisser leurs prétentions de 30 %. »
Enfin, le tabou pesant du chômage pollue toutes les relations sociales, auprès de l’entourage comme des contacts professionnels : « Il y a les suspicieux, qui ne comprennent pas pourquoi, avec un si beau CV, vous ne retrouvez pas ; les jaloux, qui se réjouissent en douce ; et les gênés qui ne savent pas de quoi parler alors que vos journées sont vides, confie Patrick Roger, ex-responsable d’un réseau de stations-service. C’est un exercice d’humiliation constante. » D’où la tendance dangereuse à l’isolement. C’est pour casser cette spirale de la déprime que l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) organise ses ateliers « Nouveaux horizons » de six jours, où il ne s’agit que de rebooster sa confiance en soi à coups de jeux de rôle, tests psy ludiques, voire sophrologie. « Les groupes de parole sont des moments forts où se révèlent souvent les détresses, relate Yolande André, animatrice de ces séminaires à Marseille. Ils doivent dépasser leur sentiment d’injustice et faire le deuil de leurs années glorieuses pour avancer. »
L’Apec se lance aussi dans le mentorat. Un accompagnement personnel que propose de longue date dans le réseau Oudinot, outre les évènements, ateliers, rencontres de networking qu’il multiplie, comme d’autres associations d’entraide entre cadres tels Daubigny et l’Avarap. « Les cadres seniors en transition ont particulièrement besoin d’être entourés, estime Xavier Meyer, ex-directeur de filiale dans la pharmacie, devenu coach et pilier d’Oudinot. Parce qu’il ne sert à rien, après 50 ans, de répondre à des annonces : tout passe par le réseau que nous les aidons à élargir et entretenir. » C'est le "networking or not working". Lui assure avoir trouvé un meilleur équilibre de vie malgré un divorce et des revenus très inférieurs. Il consomme moins, garde du temps pour son petit dernier, s’est mis à la méditation et a trouvé dans le soutien qu’il apporte via Oudinot un rôle « profondément gratifiant ». A l’opposé du choix de Frank, dans le film, qui s'est résiné à un pacte faustien, prêt à tout pour revenir dans le système…
Chômage APEC
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