Sur le modèle des Alfred Hitchcock présente, le cinéaste mexicain Guillermo del Toro introduit chacun des huit épisodes de sa nouvelle série d’anthologie diffusée sur Netflix. Menée avec un bonheur inégal, elle resplendit toutefois de visions chaos grâce à David Prior et Panos Cosmatos.Grandissant, on le devine bien, les yeux rivés devant la série La quatrième dimension, Alfred Hitchcock Présente, Les contes de la crypte ou encore Night Gallery, Guillermo del Toro est arrivé à un tel niveau de popularité et d’influence que lui donner les clefs d’une anthologie d’horreur tombait évidemment sous le sens. Comme autrefois sir Alfred, le voilà présentant chaque épisode auquel il a convié un réalisateur différent, formant une première saison de huit épisodes. Plutôt que de livrer le tout en one-shot, l’auteur du Labyrinthe de Pan a reparti les épisodes par paire, le tout étalé sur cinq jours, chaque duo étant lié par une thématique. Un art du double-programme qui fait du bien en ces temps de binge-watching…
Dès son somptueux générique façon musée des démons et merveilles, on retrouve indéniablement le sceau visuel de l’univers deltorien, qui semble s’être assuré que chaque épisode comporte au minimum une créature incroyable. Sans grand risque, la série s’ouvre sur un diptyque faisant du pied à ces inévitables E.C Comics: sous couvert d’humour macabre, on châtie le vilain par là où il a pêché. Dommage qu’ici, ce soit la cupidité qui soit doublement évoquée, avec deux margoulins se démenant comme des beaux diables pour ne pas se faire déglinguer par leur patron.
Dans Lot 36, réalisé par Guillermo Navarro, le chef op chéri de Del Toro, un ancien soldat rachète un local renfermant quelques horreurs zoccultes. Tim Blake Nelson, osseux et méchant, charge la barque en connard irrécupérable, à la fois égoïste, laid, mesquin, odieux et raciste. On se doute que, quoi qu’il arrive, la punition va frapper au bon moment. Prévisible donc, mais soigné dans son «lore» putride, entre sa warehouse humide et ses relents de nazis aux mains pleines de magie noire. On parie que son épais sous-texte politique (l’action se situe aux débuts de la guerre du golfe, et la haine raciale, la précarité sociale, le spectre du troisième Reich sont évoqués) fait office d’arbre cachant la forêt. Mais on marche, et on ne se plaint pas.
Graveyard Rats, réalisé par ce has never been de Vincenzo Natali (c’est loin Cube…), nous catapulte au début du siècle dernier dans les fondements d’un cimetière où va se paumer un pilleur de tombes un brin fouineur. David Hewlett s’agite beaucoup en loser traquant les quenottes dorées dans le gosier de ses amis les macchabées, et le tout brasse joyeusement Poe, Lovecraft et King (on pense très fort à Graveyard Shift). Voir ce pauvre bougre (cupide, rappelez-vous) crapahuter sans succès finit toutefois par vite lasser, même si on appréciera l’intervention de quelques forces surnaturelles.
Pour la seconde fournée, on part avec des histoires dites modernes et troublantes, et comprendre aussi très penchées sur le body horror. Il nous avait laissé comme des ronds de flancs avec son monstrueux, boiteux et zinzin The Empty Man et il revient: David Prior signe The Autopsy, temps fort de cette saison qui se réapproprie brillamment le thème du body snatcher. Là encore, Prior déconcerte par son tempo (la première partie entièrement racontée et parfois confuse peut faire l’effet d’une douche froide) avant d’enclencher la vitesse supérieure: on ne dira rien, si ce n’est que cette longue passation/abduction réussit l’exploit d’être folle, troublante, bizarrement érotique et réellement effrayante. Comme pour The Empty Man, on a les yeux ronds et on se demande vraiment ce qu’on est en train de regarder sur notre petit écran…
L’autre segment «moderne», c’est le rigolo The Outside, où une employée désespérée par son physique ingrat découvre une crème miracle grâce à ses pimbêches de collègues. Montée comme elle est redescendue en alternant A girl walks home alone at night (classe) et The Bad Biatch (pas classe du tout du tout), on n’attendait pas Ana Lily Amirpour sur le terrain de la comédie macabre façon La mort vous va si bien, s’appropriant certains thèmes du film de Bob Zemeckis pour en livrer une tout autre mixture. C’est hélas un peu trop long, mais les couleurs flashy, les visages grimaçants, les déroutes étranges et crémeuses, ainsi que la conclusion tordant le cou à toutes les attentes, en font clairement un des épisodes les plus réjouissants.
Poussez-vous, voilà la double feature Lovecraft: et là, l’enthousiasme retombe. Avec sa descente aux enfers victorienne à base de peintures ensorcelantes, Pickman’s Model se prend vite les pieds dans le tapis, bien qu’illuminé par la présence d’un Crispin Glover toujours aussi fou et de quelques créatures très impressionnantes. Hagard, le pauvre Ben Narnes (encore un de ses jeunes loups jamais sortis de son carcan de beau gosse aseptisé) nous agace entre deux jump-scares mollement éclairés. Une déception qu’on voyait venir de loin, puisque c’est Keith Thomas qui s’est acquitté de la tâche.
Ramenée par on ne sait par quel miracle, Catherine Hardwick (oui oui la réalisatrice de Twilight!) adapte, elle aussi, une nouvelle pas bien excitante de Lovecraft, d’ailleurs déjà illustrée par Stuart Gordon dans la saison 1 de Masters of Horror: pour sa version de Dreams in the witch house, Hardwick respecte le matériel de base, tartine ses décors gothiques de toutes les couleurs imaginables, et semble se condamner à la jouer Tim Burton avec une fausse moustache. De l’horror fantasy un peu toc, guidée par un Rupert Grint au charisme tout relatif. On souffle, mais certains pourront être probablement charmés par ce conte cruel…
Arrive alors la conclusion avec ce que Del Toro considère probablement comme ses chouchous, à savoir ce poseur de Panos Cosmatos et l’Australienne Jennifer Kent. Le réalisateur de Mandy signe The Viewing et emporte, avec le Prior, largement la palme du segment giga chaos, avec sa réunion en vase-clos tournant au bordel tromaesque. De son choix de casting (Eric André, Sofia Boutella, Charlyne Yi et un Peter Weller qu’on a un grand plaisir à retrouver en gourou chelou) en passant par la beauté formelle des images (les chaudes seventies en 35mm: on aime), plus rien ne sera pareil: Cosmatos fait ce qu’il a envie, quitte à se tenir loin de ses comparses. En résulte une longue séance hallucinogène où ça sent comme ça fume la moquette, où les substances illicites semblent à portée de main (et de nez), où l’on se laisse fondre dans une torpeur gluante jusqu’au plan final jouissif. Comme si enfin, le fiston du réalisateur de Cobra, avait réussi à marier les errances psyché du cinéma des années 70 et la décadence gore du cinéma des années 80. Nous voilà servis et repus.
Clôturant tristement une anthologie inégale mais finalement réjouissante dans son évidente générosité, Jennifer Kent fait un faux pas de plus avec The Murmuring: comment, en 2022, trouver la motivation pour tourner une histoire de couple endeuillé louant une maison hantée avec gamin ectoplasmique en option??! Malgré son cadre poétique (les deux personnages principaux ont consacré leur vie à étudier les nuées d’oiseaux), tout ressemble à un film projeté un dimanche matin de janvier à Gerardmer. Certains admireront la finesse du trait, nous, on sort le coussin et le plaid. Malgré toutes les déroutes, les longueurs, les hésitations, les choix discutables… avouons que nous sommes tout à fait in pour une seconde saison. En espérant y voir John Hyams, Valerie & Joseph Winter, David Bruckner, Roseanne Lang, Alex Garland, Julia Ducournau, Robert Jabbaz, Oz Perkins, Leigh Whannell, Karyn Kusama, Juan Carlos Medina, Romola Garai… Believe, comme chantait l’autre… J.M.