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ENTRETIEN. Bloqué dans l’enclave arménienne, Ruben Vardanyan, ministre d’État de la République d’Artsakh, lance un appel à la communauté internationale.
Temps de lecture : 7 min
Bloqué comme 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh dans l’enclave depuis le blocage du corridor de Latchine, il y a un mois tout juste, le 12 décembre 2022, Ruben Vardanyan, ministre d’État de la République d’Artsakh [Haut-Karabakh en arménien, NDLR], appelle la communauté internationale à ouvrir d’urgence un couloir aérien entre Goris et Stepanakert.
Le Point : Tout d’abord, pouvez-vous nous dire précisément quelle est la situation humanitaire aujourd’hui à l’intérieur du Haut-Karabakh ?
Ruben Vardanyan : Comme vous le savez, depuis le 12 décembre, l’Azerbaïdjan a bloqué la seule route (connue sous le nom de corridor de Latchine) entre l’Artsakh et le monde extérieur. Nous avons fait plusieurs propositions pour négocier et essayer de trouver une solution sans garder 120 000 personnes en otage. Mais malheureusement, l’Azerbaïdjan cherche à créer une crise humanitaire en Artsakh, ce qui sera un outil supplémentaire pour forcer les Arméniens à quitter leur patrie. Actuellement, la situation est difficile, mais nous essayons de la contrôler, de rester forts et d’endurer aussi longtemps que possible jusqu’à ce que la pression internationale apporte des résultats tangibles forçant l’Azerbaïdjan à mettre en œuvre ses obligations, qui sont enregistrées à la fois dans des conventions internationales bien connues et dans la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020. L’Azerbaïdjan a le devoir de ne pas créer d’obstacles à la connexion entre l’Artsakh et l’Arménie, mais il pense probablement que les normes du droit international peuvent être ignorées. Ils n’ont jamais payé le prix fort pour avoir initié une guerre agressive contre l’Artsakh et des crimes de guerre en 2020, ils pensent donc que l’utilisation de la force ou de la menace de la force pour atteindre leurs objectifs peut être acceptable. Il faut faire davantage pression sur l’Azerbaïdjan, car nous ne pouvons pas mettre en danger la vie et les droits fondamentaux de 120 000 personnes. Nous avons 30 000 enfants qui vivent en Artsakh et qui, entre tous, ont le droit d’avoir une vie normale et paisible.
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Nous n’avons pas eu un seul approvisionnement vital depuis des jours. La situation ne cesse d’empirer, notamment parce que Bakou refuse de résoudre le problème par la négociation. En décembre, le gaz a été coupé pendant quelques jours, ce qui a constitué un autre outil de pression humanitaire et psychologique contre les Arméniens d’Artsakh. Si la route n’est pas débloquée dans les prochains jours, il faudra que la communauté internationale nous aide à organiser un corridor aérien humanitaire vers Stepanakert, pour éviter le drame humanitaire.
Quel est l’état d’esprit des Karabakhis ? Même si le corridor rouvre, les menaces sont grandes, pensez-vous qu’ils vont rester ?
Les gens ici sont étonnamment forts. Je ne peux m’empêcher d’admirer leur résilience et leur ferme volonté de surmonter toutes les difficultés et de protéger leur droit à une vie digne dans leur patrie. Les Arméniens d’Artsakh me donnent tellement d’énergie. Je suis sûr qu’ils resteront, car ils comprennent très bien quel est l’objectif de l’Azerbaïdjan. Le 25 décembre, plus de 60 000 personnes ont participé à un rassemblement sur la place de la Renaissance à Stepanakert, réaffirmant leur volonté de se battre pour leur droit de vivre dans leur patrie.
Ils connaissent la politique azerbaïdjanaise depuis des décennies. Pendant de nombreuses années, l’Azerbaïdjan a voulu modifier la démographie de l’Artsakh, comme il l’avait fait au Nakhitchevan à l’époque soviétique. Malheureusement, ils pensent que la solution du conflit est : « Plus d’Arméniens, plus de problème d’Artsakh ». Sauf que cela ne marchera pas, nous ne quitterons pas notre patrie. Mais nous devons trouver une issue. Seule la décision sur le statut de l’Artsakh prise par les personnes vivant ici peut garantir une paix durable et à long terme pour la région. Je suis sûr que les peuples arméniens et azerbaïdjanais méritent tous deux d’avoir un avenir pacifique fondé sur le respect et la compréhension mutuels. Ma profonde conviction est que la guerre n’est pas une solution.
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Sur le plan militaire, y a-t-il des mouvements ? Ressentez-vous la menace d’une attaque ?
Je ne peux rien exclure, surtout que pas plus tard qu’hier, ils ont tiré sur un agriculteur effectuant des travaux agricoles afin d’entraver les efforts des gens pour surmonter une éventuelle famine et dégager des revenus. Il y a des membres du Parlement en Azerbaïdjan qui menacent d’une nouvelle guerre. L’un d’eux a suggéré de frapper le complexe minier depuis les airs. Les déclarations de guerre et de haine viennent d’Aliyev lui-même. Aliyev pense que l’agression contre l’Artsakh en 2020 était justifiée, et qu’il restera donc impuni quoi qu’il fasse. Maintenant, il utilise de faux « éco-activistes » pour finir ce qu’il a commencé en 2020. Il ne peut pas se mettre en dehors de l’ordre international. C’est pourquoi nous attendons une réaction forte des acteurs internationaux pour empêcher toute nouvelle mesure agressive contre les Arméniens.
Vous êtes récemment entré en politique, au service de votre pays, après avoir été un homme d’affaires en Russie. Vous avez également renoncé à votre citoyenneté russe. Pourquoi cet engagement ?
Récemment, dans l’une de mes déclarations publiques, j’ai mentionné que j’étais l’homme le plus chanceux du monde. Je le pense vraiment. Cela peut sembler étrange, surtout dans cette situation, mais en tant que personne qui a réussi à tout avoir, à être un homme d’affaires prospère, un mari heureux et un père de quatre enfants à l’âge de 54 ans, j’ai maintenant le sentiment de faire quelque chose d’utile pour mon peuple, pour l’Artsakh. Je suis porté par la puissante volonté de la nation, et je fais de mon mieux pour sortir cet État de l’impasse. Les gens qui vivent ici méritent un avenir paisible et sûr et, si je parviens à y contribuer, ce sera la plus grande réussite de ma vie.
Que pensez-vous de l’action – ou plutôt de l’inaction – des Russes dans le cadre du blocus ?
Le contingent russe de maintien de la paix a un mandat limité, ce qui le prive des possibilités d’être plus proactif dans le processus de règlement de cette crise. Il est évident qu’il faut trouver une solution politique, où la Russie a aussi son rôle important. Je souhaite que la partie russe comprenne qu’il est dans son intérêt que la question de l’Artsakh soit inscrite à l’ordre du jour international. Cela les aiderait à obtenir un mandat international et à être plus forts sur le terrain, car l’Azerbaïdjan a également porté atteinte à leur image publique.
Nous avons toujours souhaité maintenir un dialogue direct avec les officiels de Bakou, dans le cadre de certains mécanismes internationaux. Mais l’Azerbaïdjan rejette nos offres et crée une véritable catastrophe humanitaire pour 120 000 Arméniens.
Grâce aux efforts du ministère des Affaires étrangères arménien, le blocus du corridor de Latchine a été discuté au Conseil de sécurité de l’ONU. Malgré toutes les contradictions, les pays ont convenu que la route devait être ouverte sans condition. C’était le 21 décembre…, et le blocus perdure. Aliyev lui-même a avoué se moquer des appels internationaux, ce qui est inacceptable et devrait être traité de manière appropriée.
Je suis ici à Goris où des cargaisons de fruits et légumes bloquées pourrissent dans les camions alors que les Kharabakhtis manquent de tout. Pourriez-vous organiser le transport de ces marchandises ? Malheureusement, non. Seule la Croix-Rouge y a accès, ce qui permet de transférer à Erevan les personnes dont la situation sanitaire est critique. Grâce à la médiation de la Croix-Rouge, nous recevons également une petite aide humanitaire de produits de base.
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Comment débloquer la situation ?
Comme je l’ai déjà mentionné, la discussion à l’ONU a été importante, mais elle ne semble pas suffisante pour forcer l’Azerbaïdjan à ouvrir le corridor et à mettre fin au blocus. Nous sommes reconnaissants à tous les acteurs internationaux qui soutiennent les Arméniens dans cette période difficile. Nous apprécions le soutien que nous avons reçu jusqu’à présent. Il s’agit de cent vingt mille personnes, en plein hiver, qui n’ont pas de carburant, de moyens médicaux, de nourriture. De plus, nous avons des familles divisées, nous avons quelques centaines d’enfants qui sont restés en Arménie sans leurs parents, nous avons des enfants de l’Artsakh dont les parents sont bloqués en Arménie et ne peuvent pas les rejoindre, et nous avons de nombreux citoyens non arméniens qui ont visité l’Artsakh eux aussi bloqués ici. La situation est très difficile, mais les gens qui vivent ici savent qu’il s’agit d’un combat pour leur indépendance. C’est pour cela qu’ils restent forts.
En tant que ministre d’État, je dis toujours aux gens que nous devons être forts et que c’est seulement après que nous pourrons demander de l’aide à la communauté internationale. Je veux donc profiter de cette occasion pour dire à votre public qu’ici, en Artsakh, nous sommes déterminés à vivre dans notre patrie, mais que nous avons besoin d’un soutien plus important pour contrer la dictature azerbaïdjanaise et sa volonté de supprimer notre peuple et notre petite démocratie. Cette nouvelle agression est injustifiable.
Outre les efforts de déblocage de la route, nous avons urgemment besoin d’un couloir aérien, sous protection de la communauté internationale, permettant aux cargaisons humanitaires de voler directement vers Stepanakert. Bakou mettra des obstacles, mais malgré toutes les barrières, le couloir aérien humanitaire doit fonctionner. Sans cela, nous vivrons une véritable tragédie ici en Artsakh.
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