Laurent Wauquiez en juillet 2022 à Paris. (Alain Jocard/AFP)
Les récentes révélations de Mediapart sur les banquets organisés par Laurent Wauquiez, en tant que président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, ont relancé les débats sur l’utilisation de l’argent public. Selon le média en ligne, l’élu Les Républicains (LR) réunit régulièrement, dans des lieux de prestige, le gotha régional à l’occasion de «dîners des sommets», dont le dernier a coûté pas moins de 100 000 euros aux frais de la Région, et donc indirectement du contribuable.
C’est dans ce contexte que l’antenne lyonnaise de Mediacités, média d’investigation à l’échelle locale, vient solliciter l’aide de ses lecteurs en vue d’obtenir les notes de frais enregistrées par la région Auvergne-Rhône-Alpes. Dans un article, Mediacités explique que ses démarches en ce sens durent depuis plus d’un an, le cabinet de Laurent Wauquiez ayant été contacté une première fois en septembre 2021. «Son cabinet nous réclame de préciser notre demande, pourtant très détaillée dès notre premier message. Nous nous exécutons et précisons, au passage, que d’autres collectivités comme la région Hauts-de-France présidée par Xavier Bertrand nous ont adressé leurs notes de frais et justificatifs. En vain. Nous réactivons notre demande en août 2022. Une relance suivra avant qu’on saisisse la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) le 6 octobre dernier», rapporte le média dédié aux enquêtes locales.
Dans leurs sollicitations successives, les journalistes demandent à accéder aux «reçus, justificatifs, factures et notes de frais des frais de séjour, frais de déplacement, frais de restauration (avec le cas échéant, les noms des personnes invitées), frais de représentation, frais de mission et frais d’exécution des mandats spéciaux de l’exécutif et des membres du cabinet, pour les années 2019, 2020 et 2021». A ce jour, «nous attendons toujours», déplorent-ils, soulignant que pourtant «ces documents doivent – devraient – faire l’objet d’une transparence totale» en vertu du droit français.
En effet, les notes de frais produites par une région, comme tous les documents relatifs aux budgets et comptes des collectivités territoriales, constituent des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration, puisqu’ils sont détenus ou élaborés par l’administration. Par conséquent, ces documents sont «communicables sur le fondement de ce code», rappelle sur son site la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada).
En complément, le code général des collectivités territoriales offre à toute personne physique ou morale le droit de demander communication des procès-verbaux, budgets, comptes et arrêtés des collectivités locales et leurs établissements. En ce qui concerne les régions, c’est l’article L. 4132-16 du code qui fixe ce principe. Lequel dispose que «toute personne a le droit de demander communication des délibérations et procès-verbaux des séances publiques du conseil régional, des délibérations de la commission permanente, des budgets et des comptes de la région ainsi que des arrêtés du président». La communication de ces documents «peut être obtenue aussi bien du président du conseil régional que des services déconcentrés de l’Etat». En outre, «chacun peut les publier sous sa responsabilité».
S’agissant des communes, départements, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), syndicats mixtes, établissements de coopération interdépartementale et ententes interrégionales, le même droit est prévu aux articles L. 2121-26, L. 3121-17, L. 5211-46, L. 5421-5, L. 5621-9 et L. 5721-6 du code général des collectivités territoriales. L’obligation de communication s’étend aux établissements publics administratifs, ainsi qu’aux «organismes privés chargés d’une mission de service public, en tant que les documents demandés se rattachent à cette mission», note la Cada.
Tous construits sous la même structure, ces textes de loi renvoient, quant aux conditions dans lesquels les documents demandés peuvent être communiqués, à l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration. Au choix, les demandeurs peuvent accéder à ces documents «par consultation gratuite sur place», «par la délivrance d’une copie», «par courrier électronique» ou «par publication des informations en ligne». Une règle issue de la loi du 7 octobre 2016, dite «pour une République numérique». Les articles R. 311-12 et R. 311-13 disposent, quant à eux, que «le silence gardé par l’administration […] vaut décision de refus», et ce au terme «d’un mois à compter de la réception de la demande par l’administration compétente».
S’il n’existe pas de contentieux portant spécifiquement sur l’accès au budget et aux comptes d’une région, cette question a été tranchée dans le cas des communes à l’occasion d’un arrêt du tribunal administratif de Paris du 11 mars 2021. D’abord, les magistrats se réfèrent au code général des collectivités territoriales pour juger que les notes de frais «sont bien au nombre [des documents administratifs] dont la communication constitue un droit». En l’espèce, la maire de Paris avait refusé de communiquer des notes de frais, reçus de déplacements, frais de restauration et reçus de frais de représentation pour l’année 2017, d’elle-même et des membres de son cabinet, à une personne qui en avait fait la demande. Malgré l’avis rendu par la Cada favorable à la communication des documents demandés, la maire avait maintenu sa décision d’occulter ces documents.
Mais le tribunal en profite aussi pour définir un périmètre au droit d’accès aux documents : un tel refus de transmission ne serait fondé que dans l’hypothèse où les documents en cause «porteraient atteinte à la protection de la vie privée, porteraient une appréciation ou un jugement de valeur sur une quelconque personne physique, ou feraient apparaître le comportement de personnes susceptibles de leur porter préjudice». Ce n’était pas le cas pour ceux demandés à la mairie de Paris, «qui se rattachent à l’usage de fonds publics par la maire de Paris et des membres de son cabinet».
De manière générale, quand il s’agit des comptes d’une collectivité territoriale, les seules mentions pouvant être occultés sont, en application d’une décision du Conseil d’Etat du 10 mars 2010, celles qui comportent des appréciations d’ordre individuel sur des agents ou susceptibles de porter atteinte à la vie privée de personnes physiques nommément désignées ou facilement identifiables. Dans le cas d’espèce, les conseillers d’Etat relevaient que des arrêtés demandés à la commune de Sète ne devaient donc être communiqués qu’après «occultation de la mention du nom des intéressés et le cas échéant des autres mentions permettant d’identifier la personne concernée».
Au vu à la fois de la loi et de la jurisprudence, il apparaît donc que le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes et ses équipes ne peuvent refuser la demande formulée par Mediacités Lyon en vue d’obtenir la communication des notes de frais «de l’exécutif et des membres du cabinet». Ni ne peuvent retarder indéfiniment leur réponse puisque leur silence valait, un mois déjà après l’envoi de la demande, donc en octobre 2021, décision de refus. Enfin, s’agissant de notes de frais, ils ne pourraient pas non plus se prévaloir du fait que de tels documents sont de nature à, par exemple, porter atteinte à la protection de leur vie privée.
© Libé 2022
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