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Il y a un an, Laura a perdu l’un de ses jumeaux au premier trimestre de sa grossesse. Partagée entre l’immense peine et la joie d’accueillir un bébé, la jeune femme a traversé cette épreuve seule, délaissée par le corps médical et une partie de ses proches. Elle témoigne.
« Le terme universel pour décrire ce que j’ai vécu est “fausse couche” mais je ne le trouve pas approprié car il n’y a rien de faux et je ne suis pas la première à le dire. En même temps, il n’y a pas vraiment eu de couche parce que l’enfant était là sans être là.
Tout a commencé il y a plus d’un an. Je me plaignais de maux de ventre assez intenses, le médecin m’a donc proposé de faire une prise de sang. J’y suis allée en me disant “aucun risque, ce sera négatif”. Finalement le résultat est revenu positif. J’ai appris le 17 novembre 2021 que j’étais enceinte.
C’était une belle surprise parce que je suis avec mon conjoint depuis huit ans, mais on n’était pas préparés à devenir parents. J’ai attendu trois semaines avant de faire l’échographie de datation et, pendant ce temps-là, j’ai perdu et enterré l’un de mes oncles. Cet événement familial, qui m’a beaucoup affectée, s’est télescopé avec le fait que je venais d’apprendre que j’étais enceinte. Le 6 décembre je me suis rendue à la consultation et la gynécologue nous a annoncé : “Il y a une surprise”. Avec mon conjoint, on s’est regardés, étonnés. C’est là qu’elle nous a dit : “Il y en a un deuxième.” On est tombés des nues, on ne s’attendait pas à ça. Elle m’a expliqué que cela pouvait être dû à une ovulation décalée et que le deuxième était légèrement plus petit que l’autre.
Quinze jours plus tard, nous recalons une nouvelle échographie, j’étais à un mois et demi de grossesse. Pendant l’examen, la gynécologue me lance de but en blanc : “Bon bah, c’est bien ce que je pensais, le deuxième il n’y a plus”. Ses paroles m’ont tellement choquée que j’ai passé le reste de la consultation en étant silencieuse. Elle m’avait donné de l’espoir à la précédente échographie, je m’étais dit que si je restais positive, il grandirait. Même si je savais qu’il y avait des risques, j’avais en tête que c’était possible.
Puis elle a ajouté : “Vous savez, il y a trente ans, vous ne l’auriez pas su.” Interloquée, je me suis entendue penser “Oui je le sais bien”. Même si je le dis aujourd’hui avec un ton plus léger, à l’époque ce n’est pas ce que je voulais entendre. C’est seulement une fois passée la porte de son cabinet que j’ai pleuré. On venait de me lâcher cette bombe et le message était “débrouillez-vous”. Même si cette grossesse était une surprise, que le fait d’attendre deux bébés n’était pas prévu, j’étais quand même contente qu’il soit là.
Quand nous sommes sortis, mon compagnon n’a pas eu la même réaction que moi. Il est très cartésien, scientifique, pour lui c’était évidemment triste mais on venait de perdre “un embryon”, qui n’était, je le cite, qu’un “amas de cellule, pas plus gros qu’une crotte de nez”. Certes, quand je pleurais, il m’a pris dans ses bras et réconfortée mais j’ai vite compris que je vivais clairement seule cette épreuve.
Le soir-même, il a préféré sortir et voir des amis pour se changer les idées, moi, je suis restée seule à la maison, c’est ce dont j’avais besoin à ce moment. Sauf qu’en rentrant, il m’a ramené le Covid. Deux jours après avoir perdu mon petit bébé je me suis retrouvée avec ce virus et un risque de fausse couche supplémentaire. J’avais l’impression qu’à chaque fois que je toussais, j’allais perdre le bébé qu’il me restait, j’étais très stressée.
On a donc attendu les fêtes de fin d’année pour en parler à nos familles. Je peux dire merci à ma maman car, même si elle fait partie des personnes qui ont eu des mots maladroits, elle a compris que j’étais heureuse et peinée à la fois. Elle m’a prise dans ses bras et m’a laissée pleurer, ce qui m’a fait énormément de bien. Mais il y a une majorité de personnes qui n’ont pas compris ce double sentiment.
Le lendemain, nous avons annoncé les nouvelles à ma belle-famille, ils ont tous pleuré d’émotion…de joie. Personne n’a eu de réaction quand on a expliqué qu’ils étaient deux à l’origine. Une personne de mon entourage, qui a traversé cette épreuve et vers qui je pensais trouver du soutien m’a juste dit : “ Deux, c’est trop, un c’est bien.” Il n’y avait pas de mauvaise intention de sa part, mais ce n’est clairement pas ce dont on a besoin d’entendre dans ces moments-là. Ma peine était tellement évidente pour moi que je me suis pris des claques en voyant que des gens n’avaient pas la même vision des choses que moi.
On me disait aussi “ça va, il t’en reste un”, donc je ne me sentais pas légitime à aller en parler dans des groupes de soutien, en affichant mon gros ventre devant des femmes qui n’avaient plus leur bébé en disant “j’ai fait une fausse couche mais j’en ai encore un”. Pendant toute ma grossesse j’ai donc essayé de me persuader que tout allait bien. Car oui tout allait bien : j’étais en bonne santé, je pouvais faire ce que je voulais et on me rappelait systématiquement que ma grossesse était “cool”.
Comme je ne voulais pas avoir à faire uniquement à la gynécologue qui me suivait depuis le début, j’ai aussi consulté une sage-femme, qui n’était pas très sensibilisée à ce sujet. En février je lui ai parlé de ce que j’avais vécu, que j’avais perdu mon oncle puis mon bébé et que tout s’était mélangé dans ma tête. Je ressentais de la culpabilité puisque je me disais que cet événement était peut-être dû à un choc émotionnel. Elle m’a simplement dit “vous devriez aller voir quelqu’un”. Bien sûr, j’en avais conscience, mais personne ne nous dit comment faire ni à qui s’adresser spécifiquement. Ça a été un coup d’arrêt pour moi : je n’ai plus cherché à en parler, je n’étais pas prête à en discuter et je n’avais pas les clefs pour le faire.
Il y a quelques semaines, je suis allée voir mon ostéopathe. J’avais le dos coincé et après m’avoir soulagée elle m’a glissé : “Votre blocage est émotionnel”. Il s’avère que la consultation a eu lieu pile un an après la semaine du deuil prénatal. C’était une période où je réfléchissais beaucoup à écrire dessus, à expliquer ce que j’avais pensé de ce moment mais je n’y arrivais pas. Donc quand elle m’a dit ça, je me suis dit “mince, ça se voit tant que ça ?” et je n’ai pas pu retenir mes larmes.
Elle a pris du temps pour m’écouter, elle m’a laissé parler. Elle m’a dit “faites votre deuil comme vous le voulez, si ça prend du temps, ce n’est pas grave. Il ne faut pas que les gens cherchent à comprendre, ils ne comprendront jamais”. Elle a ajouté : “Ce que vous ressentez est légitime et vous avez le droit de le ressentir”. Cette phrase a tout changé pour moi, c’est là que j’ai décidé d’écrire un mot sur mon profil Facebook pour relater mon histoire.
Chaque fausse couche est différente, j’ai porté la vie et la mort en même temps, ce n’est pas rien quand même. Pour la première fois, je me suis dit que oui, j’avais le droit de m’exprimer à ce sujet et de dire ma peine. J’ai vraiment été bloquée par le regard des autres, je n’en veux à personne mais c’était important de faire comprendre à mes proches que lorsque quelqu’un se retrouve dans cette situation, il faut l’aider. J’avais aussi envie d’en parler pour que d’autres personnes puissent se retrouver dans mon histoire. Une personne de l’entourage de mon conjoint m’a d’ailleurs confié qu’elle s’était reconnue dans ce que j’avais vécu. Alors même si cela ne touche pas beaucoup de monde, le peu que ça pourra aider, c’est toujours ça de pris.
Pendant longtemps j’ai cru que j’allais faire le deuil au moment de l’accouchement, en “évacuant” mes deux enfants. J’avais vraiment hâte de ce moment, j’ai demandé à plusieurs reprises “vérifiez que je n’ai pas de reste du jumeau”, car pour moi cela marquait la fin de mon deuil. Aujourd’hui, je me sens beaucoup mieux car mettre des mots sur ce qu’il s’est passé a été l’étape nécessaire pour finaliser mon deuil. Toute souffrance est légitime et il m’a fallu ce temps là pour le comprendre et l’accepter. »
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