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Par : Alice Taylor et Sarantis Michalopoulos | EURACTIV Grèce, EURACTIV.com et exit.al | translated by Arthur Riffaud
21-12-2022 (mis à jour: 21-12-2022 )
Tirana et Athènes ont convenu en 2009 de la délimitation de leurs zones maritimes et de leur plateau continental, malgré les difficultés rencontrées lors des négociations entre les deux parties. L’accord, négocié par le parti démocrate albanais de M. Berisha, prévoyait la remise à Athènes de près de 225 kilomètres carrés d’eaux territoriales albanaises. [EPA/ARMANDO BABANI]Langues : English | Deutsch | Italian
La Turquie n’a jamais été intéressée par l’accord sur les frontières maritimes entre l’Albanie et la Grèce, mais a opéré une « intervention vraiment forte » lors de sa signature. C’est ce qu’a déclaré Sali Berisha, ex-Premier ministre et ancien président de l’Albanie dans un entretien exclusif accordé à EURACTIV.
Tirana et Athènes ont convenu en 2009 de la délimitation de leurs zones maritimes et de leur plateau continental, malgré les difficultés rencontrées lors des négociations entre les deux parties. L’accord, négocié par le parti démocrate albanais de M. Berisha, prévoyait la remise à Athènes de près de 225 kilomètres carrés d’eaux territoriales albanaises.
Le Premier ministre grec Kostas Karamanlis a effectué une visite officielle à Tirana en avril 2009, accompagné de la ministre des Affaires étrangères Dora Bakoyannis. Celle-ci a alors signé l’accord de délimitation avec son homologue albanais Lulzim Basha, en présence du Premier ministre de l’époque, Sali Berisha.
Il s’agissait de l’accord le plus important signé entre les deux pays depuis la signature du pacte d’amitié en 1996. Alors que cet accord était tout juste signé, Tirana a déposé une demande officielle d’adhésion à l’UE avec le soutien de la Grèce.
« Notre partenaire, la Grèce, a été très utile à l’Albanie pendant 30 ans. Elle a soutenu l’Albanie sur la voie de l’OTAN et de l’Europe, et a réalisé de sérieux investissements dans le pays », a déclaré M. Berisha.
Il a ajouté que « la Grèce a signé en s’octroyant six miles marins d’eaux territoriales. C’est [l’actuel Premier ministre albanais] Edi Rama qui a contesté l’accord devant la Cour constitutionnelle. La Turquie n’a jamais été intéressée par cet accord et a fait une intervention forte. »
L’accord ne devait pas se concrétiser, et le parti socialiste albanais d’opposition, dirigé par Edi Rama, a fait appel à la Cour constitutionnelle avant que l’accord de délimitation ne soit ratifié par les parlements des pays.
La Cour a jugé à l’unanimité que l’accord n’était pas valable, invoquant des violations de procédure et de fond contraires à la Constitution et au droit de la mer.
« La Cour constitutionnelle a rejeté un très bon accord. Après l’objection de la Cour constitutionnelle, j’ai dit au gouvernement [grec] que [j’étais] obligé de respecter la décision. Mais j’ai dit que nous devrions saisir [la cour de] La Haye. Au début, ils étaient hésitants, mais ils ont ensuite accepté car ils ont vu que j’étais très transparent », a-t-il déclaré.
L’annulation de l’accord et les tensions croissantes concernant les minorités ethniques et les questions territoriales dans les deux pays, ont continué à envenimer les relations qui planaient depuis 1940 dans une situation de conflit.
M. Rama a été élu Premier ministre de l’Albanie en 2013, tandis qu’Alexis Tsipras a été élu en Grèce en 2015. Les ministres des Affaires étrangères Ditmir Bushati et Nikos Kotzias ont déjà entamé des prises de contact à l’été 2015 afin de résoudre les différends bilatéraux, notamment en matière de délimitation maritime.
« Edi Rama est entré au gouvernement et a négocié avec le gouvernement grec en pleine violation de la décision de la Cour constitutionnelle, et ils ont finalisé l’accord. Ensuite, la Grèce a présenté la loi au parlement et l’a portée à 12 miles marins, comme c’est leur droit en vertu du traité de Montego Bay », a déclaré M. Berisha. Il a poursuivi en déclarant que « je ne sais pas ce que La Haye va dire. »
L’arrivée au pouvoir de Kyriakos Mitsotakis a permis de déployer de nouveaux efforts en faveur d’une délimitation avec l’Albanie, à l’instar de celle obtenue par la Grèce dans sa démarcation avec l’Italie.
En 2020, Athènes et Tirana ont ensuite déclaré que la Cour internationale de justice serait saisie de la question afin de « relier les points en s’appuyant sur l’expertise de la cour et le droit maritime international », expliquait alors M. Rama.
Le sommet UE-Balkans occidentaux s’est tenu à Tirana mardi (6 décembre), parallèlement à une grande manifestation menée par l’opposition qui a dégénéré en bagarres.
La volonté de la Grèce de résoudre cette question est probablement motivée par les problèmes actuels avec la Turquie voisine. Interrogé sur la nature des relations entre l’Albanie et la Grèce et entre l’Albanie et la Turquie, M. Berisha a déclaré qu’Athènes était un partenaire proche.
« Nos partenaires, les Grecs, ont été très utiles à l’Albanie. Ils ont soutenu notre parcours vers l’OTAN et l’Europe et ont réalisé de sérieux investissements dans le pays. »
En ce qui concerne la Turquie, tout en considérant qu’elle est un partenaire, M. Berisha émet des réserves.
« La Turquie est sans aucun doute un ami, un partenaire, mais elle a une doctrine de néo-ottomanisme que je n’accepterai pas », a-t-il affirmé en référence aux quelque 600 ans de domination turque ottomane dans la région.
L’influence de la Turquie en Albanie n’a cessé de croître au fil des ans avec des investissements importants dans les soins de santé, l’éducation et même le logement à la suite du tremblement de terre dévastateur de 2019 qui a tué 51 personnes et laissé des milliers de personnes sans abri.
Puis, début décembre, M. Rama a qualifié la Turquie de « puissance déterminante » lors d’une conférence à Istanbul.
« Cela place l’Albanie complètement en dessous. La “puissance déterminante”, c’est l’UE, l’OTAN, les États-Unis en matière de sécurité. Je n’ai jamais entendu dire que la Turquie était une puissance déterminante — une puissance régionale, je n’en doute pas, mais déterminante — non », a-t-il déclaré.
À ce jour, aucun progrès n’a été réalisé concernant la signature du pacte, bien que les Premiers ministres des deux pays se soient rencontrés à Tirana le 7 décembre 2022 en marge du sommet entre l’UE et les Balkans occidentaux.
Un entretien d’Edi Rama accordé à EURACTIV, publié le jour du sommet, a provoqué une vive réaction entre Athènes et Tirana. Le Premier ministre albanais avait déclaré que l’adhésion à l’UE n’est « pas un test auquel on peut tricher » comme ont pu le faire certains pays voisins.
Invité à citer des noms, M. Rama a répondu « la Grèce ». Il s’est ensuite excusé pour ce commentaire le lendemain.
« Je suis désolé pour certaines choses que j’ai entendues, pour avoir tenu des propos étranges sur la Grèce, sur la façon dont elle a accompli certaines choses — nous remonterons peut-être à l’époque de Troie — mais ce n’est pas quelque chose qui concerne le présent, et cela ne concernait en aucun cas la Grèce d’aujourd’hui », a déclaré M. Rama à M. Mitsotakis.
Parallèlement, le gouvernement de M. Rama a signé lundi (20 décembre) un accord avec la Turquie portant sur l’achat de trois drones Bayraktar, qui sont largement utilisés dans la guerre en Ukraine.
« Nous avons signé un contrat d’exportation avec l’Albanie, un pays avec lequel nous cheminons depuis des siècles et partageons des liens historiques, culturels et humanitaires forts », a déclaré le PDG de la société turque de drones dans un communiqué.
Les médias albanais ont rapporté que M. Rama a remercié le président turc Recep Tayyip Erdoğan pour son aide à la réalisation de cet accord.
« Les trois drones qui arriveront en premier seront armés et prêts pour toute occasion, quand et où ils seront nécessaires, et j’espère que cela n’arrivera jamais, mais nous vivons une époque incertaine », a souligné M. Rama. Il a également ajouté qu’en cas de menace pour la sécurité nationale, les drones seraient prêts.
M. Mitsotakis devrait par ailleurs se rendre en Albanie jeudi (22 décembre) pour visiter la région de Himarë, où vit une minorité grecque. Il devrait être accompagné de M. Rama pour certaines des réunions qui étaient initialement prévues au lendemain du sommet entre l’UE et les Balkans occidentaux.
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