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Parcelles à potentiel souvent limité, les jachères ne devraient pas être exploitées de façon massive malgré l’autorisation de Bruxelles. Certains producteurs pourraient toutefois en tirer parti, en utilisant le foin ou en cultivant du tournesol ou du maïs.
Avec la guerre en Ukraine et ses effets sur les prix et la prochaine récolte, l’Union européenne a décidé, le 23 mars 2022, d’augmenter sa capacité de production. Ainsi, pour la campagne 2022, il sera possible à « titre dérogatoire et temporaire » de cultiver les jachères (avec toute culture destinée à l’alimentation humaine ou animale) en ayant recours aux phytosanitaires, a annoncé la Commission européenne. L’exploitation desdites jachères ne remettra pas en cause le paiement vert.
Cette décision, diversement appréciée, sera déclinée en France dans les prochains jours. Juste à temps pour les semis de printemps (mais en aucun cas de blé, erreur malheureusement diffusée par certains médias !) et pour la déclaration Pac de 2022.
Car depuis 2014, pour toucher le paiement vert (80 €/ha en moyenne), il faut respecter trois critères de verdissement : le maintien des prairies permanentes, la diversification des cultures et au moins 5 % des terres arables en surfaces d’intérêt écologique (SIE). Lesquelles ne sont pas forcément des jachères. Selon une étude du ministère de l’Agriculture, les jachères ne représentaient qu’un quart des SIE en 2018. Un autre quart était cultivé avec des plantes fixatrices d’azote, un tiers avec des dérobées, et le reste comprenait des éléments de type haies, arbres isolés, mares, murs, etc.
Au-delà des SIE, la jachère volontaire reste possible. En se penchant sur les dernières déclarations Pac de 2021, il ressort que 446 000 ha ont été déclarés en jachères (de moins de 5 ans et de plus de 6 ans déclarées en SIE ou non). Soit 1,6 % de la SAU française (28,2 millions d’hectares), selon les données de FranceAgriMer d’après l’Agence de service et de paiement.
Combien de ces hectares seront mis en culture ? Avec quelle culture et pour quel volume ? Difficile pour les différents conseillers interrogés de se risquer à des projections. Tout dépendra de leur potentiel agronomique et de leur situation.
« En Nouvelle-Aquitaine, les jachères sont principalement des surfaces difficiles à mettre en culture, comme des angles, des pentes, des zones humides, peu adaptées à la largeur du matériel. Elles ne seront pas un gros levier pour augmenter la production », estime ainsi Bertrand Dumas, chargé d’études Économie Prospective à la chambre régionale d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine. Il y voit davantage un appoint de fourrage pour les éleveurs.
Mais la situation est variable selon les territoires et certains pourraient en tirer parti : « Il y a des agriculteurs qui ont des bonnes terres partout et qui vont certainement remettre en culture : ça vaut le coup économiquement, notamment avec les prix actuels », soutient un technicien dans la Somme. Mais dans l’ensemble, les conseillers estiment que cette mesure arrive trop tard pour être suffisamment réactif, et qu’ elle n’aura pas un fort impact.
D’autant qu’il peut être compliqué de retourner une jachère, surtout si c’est seulement pour une année. Des difficultés techniques de gestion des adventices (graminées, vivaces, etc.) et de ravageurs, tels que les taupins, sont à craindre.
À cela s’ajoute un marché tendu en termes d’approvisionnement en produits phytosanitaires, herbicides en tête, et en semences de tournesol, principale culture plébiscitée pour remplacer ces jachères. « Le tournesol est moins exigeant en intrants et rémunérateur en ce moment », insiste un opérateur du Poitou-Charentes. « C’est une culture robuste qui pourrait s’implanter relativement facilement dans ce type de terre », appuie encore la Fop.
Et l’AGPM d’ajouter que « même s’il existe des difficultés avec des hausses de prix de l’énergie, les fondamentaux sont aussi solides pour encourager à produire du maïs. »
Du côté des éleveurs, les surfaces en jachères sont souvent limitées. Pour Christophe Chabalier, conseiller en agronomie à la chambre d’agriculture du Cantal, l’autorisation d’exploiter les jachères n’aura « aucun impact » dans son département. Jérôme Pavie, chef du service fourrages et pastoralisme à l’Institut de l’élevage, estime de son côté que « compte tenu du prix des engrais azotés, on pourrait voir se développer des protéagineux ».
Certains exploitants sont toutefois prêts à prendre la balle au bond pour produire des fourrages. C’est le cas d’Alexandre Plateau, producteur de viande bovine à Villoiseaux-Arrou (Eure-et-Loir). Il ne détient pas de jachères mais compte démarcher ses voisins céréaliers pour valoriser les leurs. « L’idée serait de pouvoir réaliser un apport d’azote sur les parcelles dont la flore n’est pas trop dégradée, explique-t-il. Je pourrais alors faire pâturer ces surfaces, réaliser une fauche en juin, voire récolter des regains en début d’automne. Pour mes collègues, cela leur épargnerait un passage de broyeur cet été. »
L’éleveur dispose de 6 à 9 mois de stocks d’avance, mais il prévoit de développer son cheptel. « Exploiter ces surfaces me permettrait de sécuriser mes stocks avec du foin et de l’enrubannage. » Lors des années précédentes, les dérogations permettant d’exploiter les jachères en cas de sécheresse sont arrivées trop tard. « Souvent, le fourrage récolté n’avait même pas la valeur alimentaire de la paille », regrette Alexandre. Pour des raisons de logistique et de coûts, l’exploitation des jachères ne peut s’envisager qu’à proximité de l’élevage. « S’il faut faire 30 kilomètres, ce n’est pas la peine », tranche l’éleveur.
Quant à la campagne de 2023, les nouvelles règles de conditionnalité imposeront 3 à 4 % de surfaces non productives. Et pour l’instant, il n’y a aucune annonce de dérogation sur les jachères.
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