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La fille du Père Noël de Jacques Dutronc, sortie en 1966, est écrite par Jacques Lanzmann dans le contexte de la libération sexuelle. Et ce thème est totalement exploité par l’auteur. Une imagerie de la femme-objet… mais qui respecte, bien avant #MeToo, la notion de consentement. Analyse.
La fille du Père Noël reste une référence dans la ligne du temps de la pop française. Elle se classe comme une chanson rock dont les arrangements comptent. On pourrait même avancer que les guitares de ce morceau ont influencé celle de David Bowie dans un titre qui s’intitule The Jean Genie.
Chanson rock qui a inspiré plusieurs groupes rock, comme le groupe français Bijou qui, en 1977, rend hommage à La fille du Père Noël.
On recense aussi cette version électro-trash du groupe Bikini Machine en 2006, sans oublier Arno qui y est allé de sa version en duo avec BJ Scott.
Il a adapté le texte, tout comme Clara Luciani qui a permuté le genre des personnages en 2020.
Les paroles de La fille du Père Noël sont emblématiques de la période Lanzmann de Dutronc. Jacques Lanzmann, frère de Claude Lanzmann, le réalisateur de Shoah.
Jacques Lanzmann, qui a signé toutes les grandes chansons de Dutronc des sixties, est cet écrivain et journaliste qui a insufflé aux textes de Dutronc une dimension éditoriale et sociologique. Ici, il s’amuse à jouer avec les personnages et les décors de la fête de Noël pour mieux les pirater.
“Je l’ai trouvée au petit matin / Toute nue dans mes grands souliers placés devant la cheminée / Pas besoin de vous faire un dessin / De battre mon cœur s’est arrêté / Sur le lit, j’ai jeté mon fouet / Tout contre elle, je me suis penché / Et sa beauté m’a rendu muet”.
On notera l’effet Walt Disney de la scène, en mode Belle au bois dormant : “Tout contre elle, je me suis penché / Sa beauté m’a rendu muet”. On soulignera aussi comment une simple strophe dans un couplet de chanson peut vivre sa vie et devenir, par exemple, le titre d’un film. De battre mon cœur s’est arrêté, c’est le titre de ce film de Jacques Audiard en 2005. Il est baptisé ainsi d’après la chanson La fille du Père Noël.
Une chanson de Noël pour adultes car il y a, de la part du parolier, une volonté délibérée de sexualiser le tableau traditionnel de la cheminée… et de transformer la jeune héroïne, qui est donc la fille du Père Noël, en pin-up de calendrier. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle est “toute nue dans mes grands souliers”. Pourquoi sexualiser le tableau de la cheminée ? Parce qu’en 1966, nous sommes dans la queue de comète de la libération sexuelle, et qu’il est de bon ton d’exhiber des héroïnes ultra érotisées.
La fille du Père Noël est aussi la cousine de Brigitte Bardot et de Barbarella, personnage sexe de la bande dessinée de Forest. Et puis surtout, parce que Jacques Lanzmann s’y connaît en femmes nues puisqu’il est le rédacteur en chef du magazine Lui, magazine de charme qui mixe entretiens politiques et femmes à poils.
Toute nue dans mes souliers : ici, le corps de la femme est un cadeau, une récompense après l’effort puisque le type, on va tout de suite l’apprendre, rentre d’une dure nuit de boulot.
“Fatigué, j’ai la gueule de bois / Toute la nuit, j’avais aidé mon père / Dans le feu j’ai remis du bois / Dans la ch’minée y avait pas son père / C’était la fille du Père Noël / J’étais le fils du Père Fouettard / Elle s’appelait Marie Noël / Je m’appelais Jean Balthazar”.
On entend encore ici l’aspect ludique du texte de Lanzmann qui jongle avec les références au récit biblique de la Nativité. “Elle s’appelait Marie-Noël”, Marie en référence à la Vierge Marie qui donne naissance à Jésus. Il s’appelle Jean-Balthazar : Balthazar en référence à un des trois rois mages qui rendent visite au Divin enfant dans la fameuse étable de Bethléem. Balthazar dont l’iconographie sacrée nous rappelle qu’il avait la peau noire et venait de l’Afrique subsaharienne.
Alors, pourquoi le Père Fouettard, personnage qui tombe comme un cheveu dans la soupe puisqu’il n’a aucun lien avec le récit de la Nativité ? Tout le monde le sait, Père Fouettard, c’est l’acolyte de Saint-Nicolas. Ce qui intéresse Lanzmann dans le Père Fouettard, c’est le fouet. Dutronc chante : “Toute la nuit j’avais fouetté. A tour de bras les gens méchants”. Ce qui l’intéresse, c’est l’imagerie SM qui donne à la scène de la cheminée, disons, un peu de piment, voire un peu de chic.
Mais, s’il faut lire la chanson à la lumière d’aujourd’hui, il faut reconnaître à Dutronc et à Lanzmann, 56 ans avant #MeToo, leur respect de la notion de consentement.
Dans la chanson, la fille du Père Noël, toute nue, est en fait une erreur de cheminée.
Dutronc chante : “Je prends la fille dans mes bras / Elle me dit mais non Balthazar / Ne fais donc pas le fier à bras / Je suis tombée là par hasard”.
Et qu’est-ce qu’il fait le type ? Il aurait pu abuser de la fille mais il réplique : “Descendue chez moi par erreur / Elle était là dans mes souliers / Et comme je ne pouvais prendre son cœur / Je l’ai remise sur le palier”. Le geste qu’il fallait faire.
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