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Le message est clair. Le scénario du pire doit être envisagé et il faut s’y préparer. Car, même si nos stocks de gaz sont remplis à 100% de leurs capacités, les risques de coupures ne sont pas nuls cet hiver, en particulier si toutes les hypothèses négatives se combinent : une rupture totale des livraisons de gaz russe, des températures particulièrement basses, et des difficultés d’approvisionnement sur le marché du gaz naturel liquéfié (GNL). Pour corser la tâche, les risques de coupure d’électricité ne sont pas écartés non plus, notamment en raison de l’indisponibilité historique du parc nucléaire tricolore, affecté, en autres, par un problème de corrosion.
Dans ce contexte extrêmement tendu, Elisabeth Borne a exhorté les entreprises à réduire rapidement leur consommation énergétique de manière à éviter des mesures de rationnement. Lors de son discours devant les patrons d’entreprise rassemblés par le Medef, lundi 29 août, la cheffe du gouvernement a ainsi expliqué vouloir privilégier la stratégie « des économies choisies, plutôt qu’un rationnement subi ». Hier, lors de l’émission Quotidien sur la chaîne TMC, la première Ministre a précisé ses propos : « On ne va pas couper le gaz chez les ménages français, mais c’est sur nos entreprises, les gros consommateurs, qu’il pourrait y avoir des coupures ».
Justement, une coupure de gaz ou d’électricité, chez les entreprises les plus consommatrices d’énergie (notamment celles du secteur de la chimie, de l’agro-alimentaire et de la métallurgie), qu’est-ce que cela signifie-t-il concrètement ? « S’il n’y a plus de gaz, on ne peut pas faire tourner nos usines et nos produits ne seront plus en rayons », résume Christophe Piednoël, directeur général de la communication et des relations extérieures du groupe Lactalis, leader mondial des produits laitiers (marques Président, Bridel, Lactel…), qui exploite 66 laiteries et fromageries dans l’Hexagone. « Il n’y a pas d’alternative possible car pour pasteuriser le lait nous devons le chauffer », poursuit-il.
Une coupure d’électricité rendrait, elle, toute collecte de lait impossible. « Ce serait un énorme gâchis pour les agriculteurs producteurs », pointe Christophe Piednoël. « Il ne suffit pas d’appuyer sur un simple bouton pour redémarrer un process. Une coupure d’électricité implique une rupture de la chaîne du froid », souligne-t-il. Lactalis espère ne pas subir ce type de coupures en raison du caractère stratégique de son activité. « Lors du premier confinement, nous avons continué la collecte de lait », rappelle Christophe Piednoël. Le groupe travaille néanmoins à mettre à jour son plan de continuité.
Chez Saint-Gobain, aussi, une coupure de gaz serait désastreuse, notamment pour ses lignes de production de verre plat, « les floats » dans le jargon, qui fournissent les acteurs de la construction et de l’automobile. « Le verre est chauffé à 1.600 degrés. Nos fours fonctionnent en permanence, 24h/24, 7j/7. Ils ne peuvent pas être arrêtés soudainement. Sinon, le verre en fusion se rigidifie et cela casse l’outil industriel », explique un porte-parole du géant des matériaux de construction.
Au total, Saint-Gobain compte 13 « floats »sur le Vieux Continent. Pour assurer la continuité de ses lignes de production, même en cas de coupure de gaz, l’industriel mise sur le diesel et le fioul. Quatre sites sont déjà équipés de fours pouvant fonctionner avec ces combustibles alternatifs tandis que quatre autres sites sont en cours d’équipements. Pour les cinq « floats » restants, Saint-Gobain estime que les risques de coupures de gaz sont minimes. Ils ne sont, et ne seront, donc pas équipés de tels dispositifs.
Le géant des matériaux n’est pas le seul à envisager recourir à ces combustibles dérivés du pétrole, bien plus émetteurs de CO2 que le gaz naturel. « On a converti nos chaudières, pour qu’elles soient capables de fonctionner au gaz ou au pétrole et même qu’on puisse passer au charbon si on en a besoin », avait déclaré à Reuters le président de Michelin, Florent Menegaux, en juillet dernier lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence : « L’objectif est de ne pas avoir à arrêter d’usine en cas de tension ».
Dans une usine de fabrication de pneus, où de la matière est transformée, il faut plusieurs jours pour arrêter et redémarrer la production, avait expliqué le dirigeant du géant du pneumatique. D’où la nécessité de maintenir, en permanence, une alimentation en énergie stable.
Plusieurs entreprises de transports s’attellent également à convertir leur flotte de véhicules roulant au gaz naturel, à l’essence ou au diesel, pour garantir, coûte que coûte, les livraisons en cas de pénurie de gaz, rapporte Frank Roubanovitch, président du CLEE, l’association regroupant de grands consommateurs d’énergie dans le tertiaire et l’industrie. Mais toutes les entreprises n’ont pas les moyens d’investir dans ce type de conversion, d’autant plus qu’une chaudière au fioul, par exemple, deviendra très vite un actif échoué dans une économie bas carbone.
« Il n’y a pas de souplesse dans l’utilisation du gaz dans les process industriels, c’est très binaire, abonde Frank Roubanovitch. Dans l’industrie agro-alimentaire, par exemple, le gaz est utilisé pour chauffer et sécher les produits. La seule façon de baisser la consommation de gaz, c’est de diminuer la production. Cela signifie moins de nourriture et moins de produits en magasins, ce qui peut provoquer une récession », pointe-t-il.
Selon lui, le gouvernement devrait donc orienter davantage sa communication en matière de sobriété sur la baisse de la consommation énergétique dans le tertiaire et chez les particuliers. « Dans le secteur industriel, nous pouvons le faire, mais il y aura de lourdes conséquences économiques », prévient-il.
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