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La cour d'appel de Versailles plaide pour « une refonte » de l'office … – Journal Spécial des Sociétés

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Lors de la rentrée de la juridiction, le premier président Jean-François Beynel et le procureur Marc Cimamonti ont fait part de leurs préoccupations, notamment au sujet de l’audiencement des affaires criminelles et des services pénaux en (sur)tension, mais aussi de leur volonté de réformer le métier de magistrat, ainsi que les façons de recruter et de travailler au sein des juridictions, pour rendre la profession plus attractive et plus diversifiée.

Et une de plus ! Mardi 17 janvier, la cour d’appel de Versailles a célébré sa traditionnelle audience de rentrée en présence de plus de 160 invités, parmi lesquels le procureur général près la Cour de cassation François Molins, l’inspecteur général de la justice Christophe Straudo, ou encore la secrétaire générale du ministère de la Justice Carine Chevrier. À cette occasion, six nouveaux magistrats et quatre fonctionnaires ont été installés.
Cette matinée solennelle a également constitué le moment idoine pour rendre hommage à Marie Truchet, vice-présidente du tribunal judiciaire de Nanterre décédée en octobre dernier, alors qu’elle présidait une audience correctionnelle de comparutions immédiates. Pour le premier président Jean-François Beynel, il s’agit aujourd’hui de « tirer des leçons de ce drame », lequel doit engendrer selon lui une « vaste remise en cause des organisations et des méthodes ». « Beaucoup reste à faire en suite de cet événement tragique. (…) Le temps des solutions pérennes est arrivé », a-t-il martelé.
Affaires criminelles : « il nous manque 120 jours d’audiences ! »
Jean-François Beynel a procédé à un bref récapitulatif de l’activité de la juridiction pour l’année 2022. Une activité « soutenue », a-t-il souligné, marquée par la réduction des délais de traitement des affaires et des stocks. Cette tendance « très positive », s’est-il réjoui, est particulièrement visible en matière civile, où « le nombre d’affaires évacuées dépasse le nombre d’affaires nouvelles », notamment du fait d’une meilleure organisation du service, d’une plus grande transversalité, et de nouvelles méthodes de travail.
Côté pénal toutefois, le procureur général Marc Cimamonti a déploré les difficultés de l’audiencement des affaires criminelles devant les cours d’assises et, désormais, les cours criminelles des départements du ressort. « En février 2022, il nous manquait 40 jours d’audiences de cour d’assises ou de cours criminelles pour faire face au stock. Aujourd’hui il nous en manque plus de 120 simplement pour faire face au stock actuel de 220 dossiers à juger », a-t-il souligné, précisant que pour faire face à ce flux, davantage d’audiences, de magistrats, de greffiers et de locaux doivent ainsi être monopolisés.
Rappelons qu’afin d’assurer un traitement plus rapide des procédures criminelles et de limiter la correctionnalisation, la loi de programmation et de réforme pour la justice de 2019 avait prévu l’expérimentation, durant trois ans, des cours criminelles départementales (CCD), composées de cinq magistrats, pour les jugements en premier ressort des personnes majeures accusées d’un crime puni de 15 ou 20 ans de réclusion. Au total, 15 départements pilotes avaient été désignés, dont les Yvelines. Finalement, la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire avait prolongé l’expérimentation durant l’année 2022, et consacré la généralisation des CCD à l’ensemble du territoire national à compter du 1er janvier 2023. Une généralisation qui a rencontré de vives critiques ces derniers mois, partagées par Marc Cimamonti : « La généralisation des cours criminelles appelle des réserves de notre part en ce qu’elles sont plus consommatrices de magistrats qu’une cour d’assises, sans compter que les délais d’audiencement plus courts – 6 mois contre un an – des dossiers avec accusés détenus sont impossibles à tenir et imposent une saisine systématique de la chambre de l’instruction. »
De gros problèmes de stocks dans les services de sécurité publique de la police 
Autre sujet au cœur des préoccupations de la cour d’appel de Versailles : celui de la police judiciaire, avec la question des stocks dans les services enquêteurs du ressort. Sur plus de 300 000 procédures en cours, 283 000 le sont dans les services de sécurité publique de la police nationale, dont 53 % depuis plus d’un an, et 31 % depuis plus de deux ans. Alors que l’on dénombre 20 à 37 procédures en moyenne par officier de police judiciaire (OPJ) pour les groupements de gendarmerie du ressort, les ratios sont « considérablement plus élevés » pour les services de sécurité publique de la police nationale (commissariats), a mis en exergue le procureur général, et atteignent même le nombre de 560 procédures par officier à la Direction territoriale de la sécurité de proximité des Hauts-de-Seine (DTSP 92). 
Si des facteurs secondaires peuvent être aggravants (complexité procédurale, allongement des délais de prescription, etc.), pour Marc Cimamonti, la première causalité est le manque d’enquêteurs, et plus spécialement d’OPJ : c’est donc au sein des services de sécurité publique de la police nationale que la problématique des stocks doit être traitée par le ministère de l’Intérieur. « Il n’y a aucune utilité à envisager leur fusion avec les services actuels de police judiciaire, sauf à prendre le risque de se désarmer judiciairement dans le traitement de la délinquance grave ou organisée », a-t-il ajouté, en écho à la réforme portée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. 
Des services en tension face à l’explosion des violences conjugales
Au niveau national, le procureur général a alerté sur l’état de tension des services pénaux généraux des tribunaux judiciaires dans le cadre de l’explosion du contentieux des violences intrafamiliales, et notamment conjugales. Les statistiques de novembre 2022 produites par la direction des affaires criminelles et l’Observatoire des violences par conjoint révèlent en effet une hausse de 70 % de mis en cause judiciaires en cinq ans, et un recours privilégié aux défèrements en vue de poursuites avec la mise en place de mesures privatives ou restrictives de liberté après la garde à vue, ainsi qu’une répression aggravée, notamment en durée d’emprisonnement ferme.
« La finalité de cette approche répressive évolue dans un sens préventif : il ne s’agit plus de rétribuer un acte passé mais de prévenir le renouvellement de l’infraction ou la commission d’une infraction nouvelle. Interfère la crainte de voir recherchée la responsabilité personnelle des magistrats, enquêteurs, conseillers d’insertion et de probation de manière rétrospective », s’est inquiété le procureur général. « Ce n’est pas sain car cela affecte pour des raisons purement subjectives de préoccupation de responsabilité personnelle le traitement judiciaire qui doit être parfaitement objectif et impartial. »
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Par ailleurs, Marc Cimamonti a dénoncé les effets « déstabilisants » de l’augmentation du contentieux des violences conjugales sur l’organisation et le fonctionnement des juridictions. « Créer des circuits prioritaires en termes de poursuites au sein de services déjà en tension conduit à compromettre le traitement des autres contentieux qui sont différés voire délaissés », a-t-il fustigé, avant d’évoquer l’insuffisance des audiences de jugement pour traiter les différents contentieux correctionnels « de manière adaptée ».

Surpopulation carcérale : le législateur invité à intervenir
Enfin, Marc Cimamonti est revenu sur le serpent de mer de la surpopulation carcérale, qui atteint désormais « des niveaux historiques », avec un taux d’occupation moyen de 137 %. « Le ressort de la cour d’appel de Versailles est significativement concerné même si on ne déplore pas de matelas au sol », a indiqué le procureur général. La situation est particulièrement critique au centre pénitentiaire de Nanterre, avec un taux d’occupation de 164 % et pas moins de 43 cellules triplées.
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Pour le magistrat, la solution post-États généraux de la justice de construire des places de prison supplémentaires « n’offre pas de perspectives concrètes d’amélioration à court terme de ces situations inadmissibles ». En outre, d’après lui, le processus individualisé de décision judiciaire ne réglera pas de manière durable le problème du nombre de détenus. « La réponse urgente ne devrait-elle pas être prioritairement du ressort du politique ? », s’est – rhétoriquement – demandé Marc Cimamonti, qui propose de recourir « à des textes généraux législatifs de réduction de peines dont l’impact sur les courtes détentions restant à subir serait immédiat et significatif sans intervention du juge ».
Le plan d’action pour la justice, un « chantier » qui réussira sous conditions
Face à une justice plus que jamais en crise, le plan d’action annoncé le 5 janvier dernier par le garde des Sceaux promet toutefois une « réponse globale et solide au diagnostic évoqué », a considéré Jean-François Beynel. Ce plan prévoit notamment de créer 1 500 postes de magistrats et 1 500 postes de greffiers d’ici à 2027, de porter à terme le montant du budget du ministère de la Justice à 11 milliards d’euros, et de revoir l’organisation des structures de gestion et d’administration de la Justice et des juridictions.
De l’avis du premier président, ce « vaste chantier » ne pourra toutefois réellement aboutir que sous conditions, notamment la pérennisation des engagements de l’État, « qui doivent être consacrés » par une nouvelle loi de programmation, et dont l’exécution « doit être pérenne et continue », a-t-il appuyé. « Le mal est important : il faudra de la durée, de la persévérance et de la patience. Le sujet nécessite de se dégager des aléas des changements d’équipes, des aléas de l’actualité, des lois de circonstance, des déclarations fracassantes et des plans successifs et erratiques. Le sujet nécessite une stabilité législative, une évaluation régulière et progressive à périmètre constant, ajustement et surtout une grande humilité et une forte patience. »
Jean-François Beynel a aussi formé le vœu d’un « respect mutuel », clin d’œil à la défiance exacerbée entre institutions, considérant que si la justice doit respecter le politique et son action démocratique, elle doit aussi être respectée dans son rôle institutionnel de garante des libertés. « Trop souvent la justice est accusée de ne pas respecter le rôle du législateur ou de l’exécutif, notamment lorsque le juge fait prévaloir la norme européenne sur la norme nationale. Et pourtant, le juge ne fait que respecter la volonté du peuple souverain qui a souhaité qu’il en soit ainsi en ratifiant les conventions et les textes européens. Par ailleurs, le juge peut être en même temps rendu responsable de l’insécurité et du laxisme et aussi responsable de la surpopulation carcérale », a-t-il soutenu. 
Faire évoluer le métier du juge
Surtout, a signalé le premier président, le plan d’action pour la justice ne saurait parvenir à ses fins sans une forte mobilisation des magistrats. D’abord car la hausse des fonds publics octroyés impliquera de rendre compte de manière plus claire et plus directe de leur activité. À ce titre, le premier président propose de consacrer régulièrement des conseils de juridiction « publics, ouverts, regroupant tous les acteurs ». D’autre part, a-t-il affirmé, l’accroissement des effectifs devra les conduire à revoir la place de l’audience, le travail en équipe, les modes de rédaction des décisions, mais aussi à repenser leurs méthodes de travail, les processus de prise de décision et l’exercice de leur office. « L’arrivée prochaine de nouveaux collaborateurs, les juristes assistants, nécessite une évolution du métier du juge, moins artisan et plus animateur », a revendiqué Jean-François Beynel. 
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De son côté, Marc Cimamonti a plaidé en particulier pour la refonte des fonctions de procureur général qui, en dépit d’une « grande variété potentielle », comportent avant tout « une dimension administrative marquée par un tropisme d’étroite dépendance à l’égard de l’administration centrale ». Cette dimension administrative « très accaparante » comme la gestion des boîtes mail expose à ses yeux les chefs de cour « à un risque d’éloignement de l’activité judiciaire opérationnelle ». Le procureur a également mis en cause la dyarchie premier président/procureur, qui doit faire l’objet de réflexions pour être pratiquée « de la meilleure manière ». « S’il y a un cadre commun et que le procureur général ne peut que concéder un leadership administratif au premier président qui embrasse des services plus nombreux et variés, l’office judiciaire du procureur général est plus intense que celui de son homologue du siège », a-t-il explicité. 
Vers des juridictions plus attractives 
Ces évolutions sont d’autant plus nécessaires que la profession ne fait plus vraiment rêver. Le premier président s’est d’ailleurs inquiété du « peu d’appétence » des jeunes pour la fonction publique, lié aux faibles rémunérations, à la disparition de la valeur attachée à la pérennité des emplois, au manque de diversité et d’attractivité dans l’organisation du travail. « À l’heure où sont fortement poussées les notions de co-développement, les services publics sont encore bien trop ancrés sur des notions d’organisations verticales et bien timorés », a condamné Jean-François Beynel. « Nous sommes face à des défis clairs : avoir une rémunération à la hauteur des enjeux, assurer des recrutements dans la diversité, laisser une place à l’initiative, au travail en équipe et à la solidarité », a-t-il résumé.
Sur la question des recrutements en particulier, le premier président souhaite qu’ils intègrent « une très large ouverture vers des compétences extérieures ». « Nous devons plus facilement et sans crainte accueillir dans le corps des magistrats des personnes issues de milieux divers. Les modalités de sélection et de recrutement doivent être accélérées, facilitées, et doivent prendre en compte la recherche de la diversité et l’égalité des chances. » La cour d’appel de Versailles a ainsi noué un partenariat avec l’université de Nanterre en offrant des stages longs avec tuteurs à des étudiants de l’Académie du droit, et va prochainement signer une convention de partenariat avec l’association La Courte Échelle qui œuvre pour l’égalité des chances. « Tutorat, suivi individualisé, attention aux conditions matérielles de logement, écoute des difficultés sont les devoirs des responsables vis-à-vis de nos jeunes collègues », a-t-il argué.
Et si Jean-François Beynel s’est attaché à voir le positif en plein cœur de la crise, la fin de l’audience a elle aussi été marquée par un événement réjouissant : la remise – et c’est une première ! – de la médaille d’honneur des services judiciaires, échelon or, à un agent de sécurité pour « acte de bravoure ». Dimitri Tchouani avait en effet empêché l’évasion d’un prévenu l’été dernier en faisant barrage avec son corps, « au risque de sa vie », a souligné le premier président. Une distinction suivie d’applaudissements nourris de la part de toute l’assistance. De quoi clore en légèreté une matinée bien dense !
 
Bérengère Margaritelli
 
Crédit photo : cour d’appel de Versailles
 
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