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Texte et photos par Ariane Labrèche
L’artiste Miss Me transforme sa rage en combustion créative dans The Apology of Anger, sa prochaine exposition. Celle qui tapisse de collages les rues de Montréal depuis une décennie lève le masque sur son processus créatif, de l’émotion à la toile.
C’est juin, le soleil tape fort et Miss Me est partout. Des dizaines de copies cartonnées de son visage sont étendues sur le plancher de béton blanc et sur les murs de son atelier du Mile End. Au son d’une musique hip-hop jazzée, l’artiste de 41 ans coupe des parcelles d'œuvres préparées par son équipe avec un exacto, traverse l’espace pour coller çà et là un œil ou un nez, ou projette de la peinture en aérosol sur certains de ses doubles. Quelques gouttes blanches tombent au sol, huileuses.Ah-ha! Ça, c’est cool!
, s’exclame-t-elle, tenant l’un de ceux qu’elle appelle ses Selfies, ou égoportraits, au bout de ses doigts manucurés. À quelques semaines du vernissage de son exposition The Apology of Anger, présentée à Toronto, l’artiste met les bouchées doubles pour finaliser toutes les œuvres qui partiront bientôt dans la Ville Reine.
Un regard novice peine au premier abord à percevoir une quelconque ressemblance entre ces gueules rapiécées – souvent affublées d’un rictus et de phrases comme Smile, Bitch!
(souris, garce!) – et le visage aux traits fins de Miss Me. Je sortais de chez mon psy il y a quelques années et j’étais vraiment fâchée. Je me suis assise sur un banc et j’ai commencé à dessiner ces visages. C’est plus tard que j’ai compris qu’en fait, c’est moi que je représentais
, explique-t-elle, fouillant sous une pile de papiers pour en sortir un cahier rempli d’esquisses aux traits anguleux.
Ce qui suinte dans cet atelier dépouillé, autant sur ces gribouillis que sur l’un de ces Portraits of a Vandal – ses autoportraits iconiques qu’elle a collés dans des rues un peu partout sur la planète –, c’est une rage pure. Une émotion, selon elle, qu’on a souvent refusée aux femmes.
« C’est comme si on avait traditionnellement autorisé certaines émotions selon les genres. Les hommes peuvent être fâchés, mais les femmes, pas vraiment. Pourtant, la colère, il faut la chérir et se l’autoriser; sinon tu la gardes en dedans, ça te bouffe et ça te rend triste. L’enjeu, ensuite, c’est comment tu la diriges. »
Pour Miss Me, l’art a servi non seulement de soupape à une furie qui l’a toujours habitée, mais aussi de bouée de sauvetage. Cela fait 10 ans que celle qui occupait auparavant un poste important dans une boîte de pub a tout plaqué pour plonger tête première dans l’art urbain (street art en anglais), incapable de concilier son travail et ses valeurs féministes. Si je n’avais pas fait de l’art, je serais dans un hôpital psychiatrique. J’étais prête à tout perdre pour essayer de me sauver. Vraiment, j’étais au bord du précipice
, se rappelle-t-elle.
Des graffitis et des collages urbains, la pratique de celle qui se fait surnommer The Artful Vandal (la vandale astucieuse) s’est depuis enrichie d’autres techniques artistiques, comme le dessin, la performance et la peinture. Sur Instagram, dans les ruelles et dans les galeries, elle use de sa plateforme pour dénoncer haut et fort le patriarcat, la violence contre les femmes ou encore la sexualisation à outrance du corps des femmes.
Toujours, il y a cette colère puissante dont la force semble pouvoir faire bouger des montagnes. Néanmoins, si Miss Me a le courage de montrer du doigt les injustices qui l’entourent, sa fougue s’ancre davantage dans une vulnérabilité tout à fait assumée que dans une assurance feinte.
Les démons qu’elle dénonce, elle les connaît intimement. Comme la culpabilité qui l’a rongée pendant des années après avoir subi un viol : J’ai fait comme tout le monde, hein; j’ai cru que c’était de ma faute. Si moi, qui ai toutes mes capacités, je n’ai pas pu empêcher que ça m’arrive, ça devait être de ma faute. Ça m’a pris des années à comprendre que ce n’était pas le cas.
C’est grâce à l’art que la honte a fini par changer de camp; ces fameux Selfies en sont un autre exemple. C’était une volonté d’apprivoiser mon visage, de me montrer laide et d’être capable de dire : oui, c’est moi. C’est encore difficile pour moi de ne pas toujours être jolie, mais de simplement être
, souligne-t-elle.
Créées instinctivement, sans réfléchir, parfois sales ou déchirées, ces œuvres sont aussi une manière de célébrer l’imperfection. Regarde celui-là : c’est un de mes favoris, la poussière a pris dans la peinture. Les choses ratées, c’est ce qui est le plus près de la vraie vie. Les moments imprévus sont ceux qu’on se rappelle le plus, au fond. C’est ça, exister.
Soupape, bouée ou carrément psychothérapie, l’art qu’a utilisé Miss Me pour déconstruire des préjugés et se reconstruire elle-même a touché plusieurs femmes droit au cœur. Pour la première fois de sa carrière, l’artiste a choisi de représenter d’autres corps que le sien. Il y avait bien eu son Army of Vandals, un film réalisé en 2016 dans lequel un bataillon de femmes affublées de ses désormais emblématiques oreilles de Minnie Mouse revendiquaient le droit d’exprimer leur sexualité et de se réapproprier leur corps, mais Miss Me n’avait jamais dessiné une autre femme nue qu’elle-même.Je n’ai jamais eu la prétention de parler pour les autres, dit-elle. Mais, en fait, j’ai réalisé qu’il y avait des femmes qui s'identifient vraiment à ce que je dis, et j’ai fini par vraiment, réellement le croire. Ces œuvres-là, c’est tout à fait nouveau pour moi.
Ces modèles ont posé, avec force, vulnérabilité, et souvent un air effronté, en duos. Les clichés ont ensuite été transformés en dessins par Miss Me, qui ont été numérisés, puis imprimés en grands formats sur lesquels elle ajoute de la peinture, des mots ou encore d’autres dessins. Amorcé avant la pandémie, ce cycle créatif a pris plus de deux ans à se conclure.
Quelques jours après une première visite à l’atelier, cette série d’impressions grandeur nature intitulée Sisterhood était enfin arrivée. J’avais tellement hâte de les voir, depuis le temps!
lance Miss Me. Celle-ci y posera sa griffe avant de les envoyer à la galerie. Les Selfies avaient laissé la place à ces nouvelles vandales, qui prenaient tout l’espace de l’atelier.J’adore regarder le corps des autres; c’est beaucoup plus facile de les trouver beaux
, souligne-t-elle, ses longs cheveux bruns cascadant sur son tablier croûté par la peinture. Sur le mur du fond, une œuvre solitaire montre une figure masquée familière, dont les yeux de braise contrastent avec sa posture alanguie qui semble nous mettre au défi de la regarder.
Même avec de nouveaux sujets, l’envie de se peindre soi-même est restée chez l’artiste. Je veux lâcher le contrôle, le désir d’esthétique et le besoin de plaire. Je n’ai pas essayé de rentrer mon ventre, j’ai mis mes imperfections. On a tellement de mal à s’aimer; on dirait qu’il faut sortir de son corps pour s’apprécier. Je n’ai jamais eu aussi peu de muscles, je n’ai jamais été aussi grosse, et je ne me suis jamais trouvée aussi belle
, explique-t-elle en souriant.
S’aimer soi-même : voilà bien l’une des valeurs cardinales que prêche Miss Me, malgré les embûches. À ses amies, elle suggère souvent de prendre un crayon et de s’esquisser, pour reprendre le pouvoir sur leur corps, trait par trait. Oser se trouver belle, être belle pour soi-même, c’est encore tellement mal vu… C’est fou, parce que je n’ai pas tant l’impression de dire des choses qui sont si dérangeantes que ça. Si je considère que c’est moral, mais que ça dérange, c’est qu’il y a encore un tabou.
Et s’il reste des tabous, c’est bien Miss Me qui se fera un plaisir d’aller donner un coup de pied dedans, avec un grand sourire… et le majeur levé.
L’exposition The Apology of Anger est présentée à la galerie Taglialatella de Toronto jusqu’au 2 août.
– Avec la collaboration de Denis Wong
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