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Publié le 09.10.2022 • Édité le 10.10.2022 à 10:54
Lionel De Broux, chief investment officer, et Jade Marie Bajai, investment strategy communication manager à la BIL. (Photo: BIL)
Dans le monde entier, les banques centrales sont sur la corde raide, tentant de maîtriser l’inflation galopante tout en évitant une récession. Cela est d’autant plus vrai au Royaume-Uni, où la situation se complique avec les baisses d’impôt prévues et la chute libre de la livre sterling.
La livre avait déjà commencé à s’affaiblir face au dollar américain en 2021, mais c’est l’annonce du «mini-budget» du chancelier Kwasi Kwarteng, le 23 septembre, qui a apporté le dernier coup de massue et entraîné le taux de change vers un plancher inédit.
Le budget comportait de nombreuses baisses d’impôt, financées par emprunt, qui visaient à stimuler la croissance et à donner un coup de fouet à l’économie. Mais ces baisses de 45 milliards de livres ont été considérées comme potentiellement contraires à la politique monétaire, même par le FMI qui a exhorté le gouvernement à «réévaluer» son projet, l’avertissant que ce train de mesures «non ciblées» pourrait alimenter l’inflation.
Dans ces conditions, le programme économique a largement détérioré la confiance des investisseurs, certains craignant que le gouvernement ne puisse pas financer ces baisses d’impôt dans un contexte de hausse des couts d’emprunt et de croissance en berne. La perte de confiance s’est fait sentir non seulement dans la chute de la livre sterling, mais aussi dans la débâcle du marché obligataire britannique, tellement importante que la Banque d’Angleterre (Bank of England, BoE) a dû intervenir pour empêcher son effondrement, en promettant des achats illimités d’obligations à long terme et en retardant son resserrement quantitatif au 31 octobre (alors qu’il était initialement prévu pour le 3).
La BoE met tout en œuvre pour que l’atterrissage de l’économie se fasse en douceur, alors qu’elle tente de freiner l’inflation, à 9,9% en août. Il s’agit là d’une mission extrêmement complexe dans le meilleur des cas, qui se termine souvent par une récession (la BoE a d’ailleurs affirmé que le Royaume-Uni s’y trouvait peut-être déjà). Aujourd’hui, elle est d’autant plus compliquée dans un contexte de crise énergétique en Europe, de factures élevées des services aux collectivités et de problèmes résiduels au niveau des chaînes d’approvisionnement. Contrairement à d’autres banques centrales comme la BCE, qui comptent ajuster leur politique en fonction des données, la Banque d’Angleterre est désormais obligée de relever ses taux plus qu’elle ne l’aurait initialement fait, afin de maîtriser la situation. Or, cela augmente la probabilité d’un ralentissement économique plus marqué.
La principale raison découle de la chute libre de la livre sterling, qui est inflationniste en soi (d’autant plus que la Grande-Bretagne importe environ la moitié des biens qu’elle consomme). À la suite de cette annonce, Huw Pill, économiste en chef de la BoE, a déclaré que «cela nécessitera une réponse monétaire de grande envergure». Les investisseurs ont alors tablé sur un taux final de plus de 6% l’an prochain, sachant qu’il se situe actuellement à 2,25%.
En relevant ses taux, la BoE pourra maîtriser la demande et, en fin de compte, les prix. D’après ses propres estimations, une hausse de 2 points de pourcentage des taux d’intérêt pourrait réduire les dépenses globales de 1%. Une hausse des taux est également susceptible de pénaliser le secteur manufacturier britannique (en raison de la hausse des coûts des intrants) et d’exacerber la crise du coût de la vie (via des taux hypothécaires et des coûts du service de la dette plus élevés). Cette situation n’est bien évidemment pas idéale pour l’économie du Royaume-Uni, mais si l’inflation n’est pas maîtrisée dès à présent, cela pourrait avoir des conséquences encore plus graves par la suite. Le but ultime est bien sûr de maîtriser l’inflation en introduisant le moins de hausses de taux possible.
Ce que la BoE ne peut pas faire à elle seule, c’est attirer à nouveau les investisseurs étrangers vers la livre sterling et les emprunts d’État britanniques. À ce titre, la décision du gouvernement britannique de renoncer aux réductions d’impôt pour les hauts revenus est un pas dans la bonne direction. En l’absence de concessions de la part du ministère des Finances, la BoE devrait mener un combat difficile pour faire reculer l’inflation, alors que la faiblesse de la livre sterling viendrait contrecarrer ses efforts.
Les analystes tablent dorénavant sur un relèvement des taux de 100 points de base le 3 novembre. Pour les gouvernements du monde entier, la leçon est claire: il est essentiel de coordonner les politiques budgétaires et monétaires pour enrayer l’inflation.