Jean Robelin, normalien, professeur émérite de philosophie à l’Université de Nice Sophia Antipolis, a récemment publié une tribune dans L’Humanité intitulée « La gauche et l’éducation » dans laquelle il revient sur la conception de l’École républicaine du Parti socialiste qu’il dénonce avec véhémence. Nous l’avons donc rencontré pour parler de cette grande institution.
Vous dénonciez dans L’Humanité la politique éducative de la gauche : « Non seulement la gauche n’a pas enrayé la perte de qualité de l’enseignement public, ni la dégradation de certaines des conditions de travail des enseignants, mais à bien des égards elle les a accélérées. » C’est un jugement très dur contre une gauche pourtant réputée proche des enseignants. Qu’a-t-elle accéléré ?
La gauche est coupable d’avoir promu et soutenu un modèle d’enseignant reposant sur l’ignorance : héritage des PEGC (Professeurs d’enseignement général de collège, NDLR) des années 60 et donc du SNI (Syndicat national de instituteurs, NDLR) de l’époque. J’ai passé ma vie à étudier une discipline, la philosophie, je suis loin d’en faire le tour, et on veut me faire croire que des gens seraient compétents pour en enseigner deux ou trois ! Aujourd’hui encore les Meirieu de service nous assènent qu’il faut des enseignants bi- ou trivalents, parce que les chers petits à 12 ans seraient perdus par le nombre d’intervenants. Voyons les faits. Dans l’école maternelle de ma petite fille, à Montreuil-sous-Bois (93), il y a des classes à deux maîtresses, les enfants vont dans d’autres classes que la leur, dans une organisation en modules, et il y a les animateurs du soir. Tout cela se passe bien, l’école est excellente. Donc le modèle simili famille, c’est de la poudre aux yeux, de la poudre officielle.
La gauche est coupable d’avoir retiré toute autorité aux enseignants, en les coinçant entre une administration dont on exige qu’elle ne punisse pas, et des associations consuméristes de parents d’élèves qui s’arrogent le pouvoir de juger les enseignants, de leur apprendre leur métier. Moins on entend parler d’un établissement, mieux son chef est considéré, c’est l’inverse de la prime au rendement : la prime au silence. Donc pas de vagues. La gauche est coupable d’avoir dessaisi les enseignants de leur métier en leur imposant les recettes de la cuisine pédago officielle. La gauche est coupable d’avoir, comme la droite, dévalorisé financièrement le métier d’enseignant, mais dans notre société, la dévalorisation financière est aussi symbolique. Alors bien sûr, le discours officiel se défausse sur la droite, qui a fait pire, et surtout plus anti-démocratique en s’engouffrant dans les brèches ouvertes par la gauche. Mais le résultat est là : aujourd’hui, tous les indicateurs sont au rouge. Le très officiel Antoine Prost est obligé d’admettre que le niveau baisse. La France régresse dans tous les tests internationaux… sauf dans ceux auxquels elle ne participe pas, comme certains tests scientifiques… Et c’est le moment choisi par Peillon et par tous les éducateurs officiels pour nous dire qu’il faut faire confiance aux gens qui nous ont conduits à ce désastre.
« Les individus formés n’ont pas la culture nécessaire à se recycler ; ils sont jetables. »
La gauche par sa démagogie, a favorisé le développement de l’enseignement privé. Les parents un peu au courant cherchent à tout faire pour éviter certains établissements, parce que les enseignants ne peuvent plus y faire cours. Contrairement aux discours officiels, la démagogie ne favorise pas la mixité sociale. La suppression d’options, comme les classes bilingues ou européennes dans les établissements difficiles, a contribué à la formation des ghettos, que la droite a institutionnalisés en démantelant la carte scolaire. On peut faire toutes les expérimentations possibles sur l’égalité des filles et des garçons devant les métiers, si l’enseignement est inégalitaire, cette égalité des sexes se fera par le bas. La République, cela veut dire, par exemple, que l’on tente de réduire l’inégalité des territoires. Or l’aménagement actuel des territoires, et l’inégalité d’accès à la culture dans l’école même, cela veut dire la formation de ghettos de riches. Une école républicaine, c’est une école qui privilégie la réflexion et non une morale sociale qui a tout d’un conformisme idéologique. Elle est d’ailleurs inefficace : on suppose que les élèves en difficulté ne savent pas ce qui est socialement bon ou mauvais. Bien sûr ils le savent, sauf des mômes très perturbés psychologiquement, et ceux-là ce n’est pas l’enseignement de la morale qui les atteindra. Peillon ferait mieux de développer des activités philosophiques dès le plus jeune âge : réfléchir sur l’éthique pour pouvoir la prendre au sérieux. Car comment voulez-vous que les enfants des quartiers défavorisés prennent la morale prétendument républicaine au sérieux, quand ils voient monsieur Cahuzac, ses mensonges et son talent de comédien, passer à la télé faire son numéro de repentance tout en laissant glisser qu’il n’est pas si coupable que cela, ou monsieur Copé organiser un vote mascarade à l’UMP ? Ne me dites pas que c’est impossible, que la philosophie est trop difficile pour les jeunes âmes.
Le problème du PS n’est pas de concevoir une école du peuple, c’est de satisfaire les exigences de formation immédiate de la main-d’œuvre pour les entreprises, définies dans les documents de la Communauté européenne et dans ceux de l’OCDE. De ce point de vue, son programme n’est pas différent de celui de la droite. Apprendre à apprendre, c’est tout simplement remplacer la culture — c’est-à-dire la façon dont les individus se font eux-mêmes — par des procédures extérieures, des méthodes sans contenu qui correspondent à la transformation du travail intellectuel ou semi-intellectuel dans les entreprises, en application de procédures mécanisables, en particulier par l’informatisation des processus de travail… Ces procédures sont ce qui rend les individus substituables, avec comme conséquence qu’on peut plus facilement les virer parce qu’on peut les remplacer. Le problème c’est que des individus formés ainsi n’ont pas la culture nécessaire à se recycler ; ils sont jetables. Chacun sait que dans vingt ans la moitié des métiers actuels aura disparu. Le problème est : pour se préparer à ces changements, pouvoir se réinsérer dans de nouvelles professions, il faut une solide formation, pas celle du socle commun. Alors la République…
Pas tout à fait. L’école vit dans les résistances à l’idéologie officielle, dans les efforts que font de nombreux enseignants, mus par une sorte de stoïcisme du désespoir, pour continuer à diffuser la culture. Mais c’est à ceux-là que l’on reproche de ne pas appliquer des âneries auxquelles on renonce deux ans après leur mise en place, parce qu’elles ont montré leur sottise. J’en connais, de ces enseignants excellents, sacqués dans les inspections, parce qu’ils refusaient les travaux personnels encadrés, les livrets d’incompétence et autres sornettes. Mais reconnaissons à Finkielkraut que sa formule nous alarme. Songez à ce qu’on appelle aujourd’hui « faire une recherche » : c’est faire du copier-coller sur le Net.
« L’école actuelle, parce qu’elle ne fait plus son travail d’instruction, ne donne pas à tous les conditions nécessaires d’accès au savoir. »
Est-ce réactionnaire de dire que l’effort est nécessaire à l’école, qu’il est productif et valorisant pour les élèves, à commencer par les plus faibles ? Est-ce réactionnaire de vouloir diffuser la culture à ceux qui n’y ont pas accès ? Allons, encore un exemple : savez-vous quels sont les textes qui « cartonnent » comme on dit, auprès des élèves du collège de Bobigny (93), auxquels ma fille enseigne ? L’Odyssée et la Chanson de Roland ou certains textes de l’Encyclopédie ! Car – figurez-vous – ces chers petits du neuf trois ont aussi un imaginaire, eux aussi sont sensibles aux problèmes ! C’est dire combien les baratins officiels les tirent en arrière. Quant à la sélection, pourquoi est-elle injuste ? C’est que l’école actuelle, parce qu’elle ne fait plus son travail d’instruction, ne donne pas à tous les conditions nécessaires d’accès au savoir. Elle n’oriente pas les gens là où ils pourront faire des progrès. La sélection est sociale. Elle est injuste, parce qu’il n’y a pas de passerelles entre les filières, et parce que les filières manuelles et techniques sont en France des voies de garage, comme les BEP. Le bac pro a pu être une planche de salut pour certains. En le ramenant de 4 à 3 ans, on a diminué sa capacité à insérer les élèves dans les diverses filières de l’enseignement supérieur. La sélection, au sens rigoureux du terme, n’a de sens que fort tard. Avant, la question, c’est que chacun trouve une voie qui lui convienne, et qu’il y ait des passerelles.
Non. Le problème central de l’école, c’est un problème de socialisation. Dans les quartiers difficiles, il ne faut pas oublier que le chômage et la précarité conduisent à une désocialisation massive, à l’échec de l’éducation familiale, à une socialisation fermée, opérée au sein des bandes, de la cité, sans horizon. À cela s’ajoutent pour les enfants venus d’ailleurs des problèmes de double allégeance et souvent de double rejet. L’absence d’horizon social signifie dépendance devant des communautés fermées qui s’érigent en véritables possesseurs du corps des individus. À cela s’ajoute qu’ils n’ont pas de rapport avec leur culture d’origine, sinon fantasmatique, et qu’ils ne connaissent de la culture occidentale que les sous-produits de l’industrie culturelle. Or souvent, l’école française est le seul véritable accès à leur culture d’origine même. Et ces difficultés ne se résolvent pas par des recettes de cuisine pédago.
« Le savoir n’est pas une offre répondant une demande, il crée son désir quand on est plongé dedans. »
Des faits : les élèves de ma fille lui ont tranquillement expliqué que, dans les incidents de vie de classe, ce sont eux que les parents croient, pas les profs. Un juge pour enfants, qui reçoit des mômes en grande difficulté, me disait qu’ils se projettent dans des futurs aussi grandioses que généralement inaccessibles : ils veulent être avocats, médecins, pilotes. Jamais un seul n’a dit vouloir être prof. Socialement, un enseignant, ce n’est plus rien, pas même dans son travail. Quand le ministre vient nous dire qu’il y a eu une crise de recrutement, heureusement surmontée, mais pas de crise de vocations, il se moque du monde : il n’y a pas eu cette année de crise de recrutement, sauf dans certaines disciplines, parce que la crise économique et le chômage touchent même les professions des classes moyennes. Et donc on se case où on peut, même dans l’enseignement. Mais quel est le niveau, quelles sont les motivations de gens pour qui le métier n’est qu’un pis-aller ? Lisez les discussions d’enseignants sur le Net, vous y verrez le poids du désespoir qui atteint la profession. Croyez-vous que des gens qui ont la possibilité d’échapper à l’enseignement, en particulier dans les matières scientifiques, feront cinq ans d’études ou plus, pour aller se faire cracher dessus dans une ZEP, le tout pour un salaire de début équivalent à 1,3 SMIC ? Pourquoi certaines matières sont-elles chroniquement déficitaires ?
Il ne peut-être fondé que sur l’autonomie de l’enseignant. C’est d’ailleurs à cette condition qu’on peut lui demander de rendre des comptes et qu’on peut, non pas l’évaluer, donc le quantifier, mais confronter la situation initiale de ses élèves, les attentes du maître et ses résultats. On parle sans cesse de « prévention des conflits » à l’école, mais sans une autorité qui doit d’abord être celle du prof, il n’y a pas moyen de prévenir les conflits.
C’est tout simplement un avatar des IUFM, dont il est clair qu’ils sont des catastrophes. La pédagogie officielle ignore au fond les problèmes de socialisation que j’évoquais à l’instant. Elle les traite à coup de relations humaines interpersonnelles. À l’IUFM du Havre, une des mes anciennes étudiantes devenue agrégée s’est entendu dire qu’il fallait apporter des gâteaux aux élèves le jour de la rentrée. Faites cela à Drancy en terminale et vous verrez le résultat. La psycho de bazar des IUFM, c’est une sorte de bréviaire de trucs issus de la psycho comportementale, en fait de coaching du pauvre. « Libérez-vous en poussant le cri primal » se sont entendu dire d’autres de mes étudiants. Et surtout, il y règne une immense démagogie. Souvenez-vous, dans les années 90-2000, les gourous de la pédagogie exigeaient que les profs négocient les normes du « vivre en commun » dans les classes avec les élèves et les parents. On en voit le résultat aujourd’hui. Les élèves tentent de tout négocier, les punitions, les notes. La discipline n’a de valeur que comme condition de travail. Dans nombre d’établissements, comme par hasard des quartiers défavorisés, on ne travaille plus du tout. Une personne de ma famille a claqué la porte de l’IUFM où elle enseignait entre autres parce que ses collègues ont prétendu truquer ses notes pour donner un master déjà fantôme à des étudiants qui l’étaient tout autant. Il est vrai que les mêmes lui disaient que le contenu des cours n’avait pas d’importance. Bravo pour l’éthique professionnelle. Le sommet de l’hypocrisie, c’est que tous ces gens qui s’arrogent le droit d’apprendre à enseigner aux autres, ne veulent surtout pas retourner enseigner. Tous ceux que je connais qui s’y sont risqués, sauf s’ils étaient opposés au baratin officiel, ont été totalement débordés. Les gens qui apprennent à enseigner sont incapables d’enseigner. La bonne méthode de formation, c’est de constituer un corps de profs qui exercent dans les classes, qui soient déchargés mais qui pratiquent, et qui pourront aider le nouveau prof à réfléchir son attitude, à prendre conscience de ce qu’il désire et à le conseiller parce qu’eux-mêmes ont réfléchi leur savoir et leur pratique, se sont mis à l’épreuve, au lieu d’être déconnectés de la réalité de l’enseignement.
« L’école n’a pas à suivre le mouvement de la société. »
Un important monsieur Charbonnier, expert à l’OCDE (c’est tout dire), a publié sur le site du Monde le 5 avril 2013 une tribune « Les enjeux de la formation des enseignants : attirer, former, accompagner et retenir », qui préconise l’abandon du modèle consécutif, comme il dit, où l’acquisition du savoir précède l’apprentissage de l’enseignement. Il vise bien sûr les concours et il déclare : « une partie des candidats au métier d’enseignant sont éliminés directement aux épreuves d’admissibilité, avant même d’avoir été évalués sur la partie pédagogique du métier. » C’est clair : au nom de la pédagogie, il faut recruter des gens théoriquement déficients. Si la pédagogie s’apprend, on ne voit pas pourquoi les « forts en thème » ne pourraient l’apprendre dans les fameuses écoles de M. Peillon. Le modèle actuel n’est-il pas la garantie qu’on peut avoir des gens à la fois savants et préparés au métier ? On ne fait pas de la pédagogie sur rien. Une de mes proches enseignait le français à des élèves sourds grâce à l’image, en l’occurrence, les tableaux du Louvre. Mais elle était ancienne élève de l’école du Louvre, elle savait choisir les images et en tirer le maximum. À moins évidemment, que l’apprentissage de la pédagogie officielle ne relève d’un conformisme intellectuel que les enseignants ne seront pas prêts à admettre…Alors le discours change : on nous dit qu’il y a des personnalités propres à la pédagogie. Pas de chance, dans mon expérience professionnelle, les profs pédagogistes rencontrés étaient des gens qui généralement mendiaient l’amour de leurs élèves, ce qui n’est ni une bonne façon d’éduquer, ni un signe d’équilibre personnel. Et ce que j’ai constaté, c’est que les pédagogistes sont de mauvais pédagogues. Ce qu’il y a derrière tout cela, c’est qu’on veut des similis mamans, des doubles de la famille, et tant pis pour le savoir. C’est l’école garderie qui est en marche.
Libéral, individualiste, ce sont des mots aux multiples acceptions. Enfermer un enfant dans une mesure de compétences, d’ailleurs très arbitraire, c’est de l’individualisme sans individualité, car on néglige le processus de formation de sa personnalité et de sa culture. Si on entend libéral au sens des arts libéraux, alors, l’école actuelle est tout sauf libérale. Le découpage des élèves en compétences qu’on prétend quantifier oublie par exemple que l’apprentissage de la lecture et de la langue se nourrit de l’histoire, parce que le récit historique utilise le passé simple, et suppose qu’on construise des phrases qui enchaînent actions et événements. Les prétendues compétences ne disent rien d’un processus de formation culturelle. Elles visent simplement à évaluer l’acquisition de réponses à des apprentissages parcellaires. Les enseignements contribuant au développement de l’individualité, comme les enseignements artistiques, y sont sacrifiés. Les élèves y sont vus comme des ordinateurs qui traiteraient de l’information et non comme des individualités qui se forment en se cultivant par leur travail. Si on entend par libéral l’application d’une vision néolibérale de l’économie, celle du capital financier qui dirige aujourd’hui l’économie, alors l’école est ultra libérale…
« Le niveau importe moins que la tendance. […] Depuis longtemps, on assiste à la déresponsabilisation des élèves et des étudiants, bercés d’illusions jusqu’à ce qu’ils se « cassent la gueule » dans des concours difficiles. »
Encore une façon de casser le thermomètre pour éviter la fièvre. Les notes ne sont plus fétichisées depuis longtemps. Mais il faut bien donner un signal de ce qui ne va pas, ce qui n’exclut pas d’encourager ou de valoriser aussi les progrès. Car le niveau importe moins que la tendance. Les idées que vous évoquez ne sont pas nouvelles ; depuis longtemps, on assiste à la déresponsabilisation des élèves et des étudiants, bercés d’illusions jusqu’à ce qu’ils se « cassent la gueule » dans des concours difficiles ou à leur entrée sur le marché du travail. Cassons les notes, supprimons l’école, les chers petits viendront tous seuls au savoir : c’est l’idéologie spontanéiste et constructiviste qui a fait tant de mal à l’enseignement, parce qu’en fait de savoir on renvoie les chers petits à la culture du ruisseau.
Ce qu’on appelle le conservatisme des enseignants, c’est leur refus de se transformer en baby-sitters. Il est clair aussi que l’école n’a pas à suivre le mouvement de la société. Un parent d’élève disait un jour à ma femme : « les enfants sont désormais des enfants de la pub, il faut leur enseigner comme à des enfants de la pub. » Si on veut fabriquer des chiens de Pavlov théoriques, faisons cela. L’école a des fonctions propres : enseigner pour éduquer. Qu’elle ne soit plus capable de répondre aux exigences et aux difficultés de la société à l’intérieur de ces fonctions, c’est sûr. Mais ce n’est pas un plan informatique qui y répondra. Sans une forte culture, Internet est un très mauvais outil, dont on ne peut critiquer ni les informations, ni les sources. Internet prête aux riches.
« Le conservatisme des enseignants, c’est leur refus de se transformer en baby-sitters. »
Pour devenir poète, dans une société d’écrit, le mieux est encore de savoir lire. Commençons par là. Et merci à la pédagogie officielle, aux génies de la didactique grâce auxquels on entend les élèves ânonner en terminale ou à l’université. Et ce n’est pas la massification qui empêche ceux qui en ont le goût et le talent de devenir poètes. Au contraire, plus et mieux vous instruirez de gens, plus vous aurez de talents dans tous les domaines. On oublie toujours que la « démocratisation » des lycées, si critiquable et limitée qu’elle ait été, a été conduite dans les classes par des gens de ma génération ou de la génération antérieure, avec leurs méthodes à l’ancienne, leur goût du savoir et que finalement, elle a produit des résultats, en dépit des politiques officielles et contre elles. Un ami, universitaire canadien, me disait il y a peu combien justement l’enseignement français avait été une référence pendant très longtemps pour sa capacité à élargir la diffusion du savoir sans le dévaluer. Si vous voulez des poètes, autant que les élèves lisent et comprennent les poètes du passé et du présent, et pas seulement les chanteurs de rap d’aujourd’hui. La culture ne nuit pas…
D’abord, je le dis par expérience, les enseignants des lycées font tout ce qu’ils peuvent pour que le bac fonctionne de façon satisfaisante, pour donner des sujets intéressants et dont l’énoncé soit compréhensible par tous. C’est d’ailleurs ce qui les conduit à constater les carences linguistiques des élèves : je l’ai déjà dit, les commissions de sujets en philosophie, renoncent souvent à donner des textes écrits en français classique, du Descartes ou du Rousseau, au profit de textes étrangers traduits. On en est là : il faudrait traduire le Discours de la méthode… Le bac est donc un symptôme à tous égards. C’est un symptôme de l’angoisse des parents, qui savent bien que c’est encore un sésame. Et c’est finalement le seul moment de vérité qui subsiste dans l’enseignement secondaire. Mais c’est surtout le symptôme de la débâcle de l’école : le bac n’a plus de valeur culturelle. Il ne sanctionne pas la capacité des élèves à faire fructifier un savoir morcelé. D’où l’écart incroyable entre les exigences officielles, les programmes, et ce que les correcteurs lisent.
Que les classes prépa constituent un instrument de sélection sociale, c’est sûr. Les enfants des classes populaires ont à peu près disparu des grandes écoles qu’ils n’ont jamais peuplées. Mais la faute n’en est pas aux classes prépas. La preuve : retournons dans le fameux neuf trois ! C’est un département bien doté en classes prépa, en particulier en prépas littéraires. Et les élèves y trouvent leur compte : bien encadrés, poussés à travailler, ils y trouvent les conditions qui leur permettent ensuite de mener des études à l’université. Il est probable que s’ils avaient commencé leurs études à l’université, ils auraient été perdus, parce que trop livrés à eux-mêmes. Cela ne veut pas dire que la prépa est le seul modèle encore valide, mais c’est un modèle qui remet les idées en place : ce qui compte, c’est le travail, pas le niveau initial.
Bien sûr, car l’université suppose des étudiants qui ne se contentent pas de suivre les cours, mais qui travaillent par eux-mêmes. Or c’est ce qu’ils ne savent pas faire, car pour cela, il ne suffit pas de prétendues méthodes pour apprendre à apprendre, que vous aurez apprises des gens apprenant à apprendre à apprendre. Mais l’université est d’abord comptable de ses propres échecs. Il faut cesser la logique du bouc émissaire qui a permis aux pédagos du PS et à la droite d’imposer leur baratin en divisant les acteurs de l’éducation nationale : c’est la faute à l’échelon du dessous, aux instits, aux profs de collèges, aux lycées. Non : la débâcle est générale. L’université française est en train de brader des pans entiers de son savoir ; les études germaniques par exemple sont sinistrées. Madame Fioraso avait juré de rééquilibrer les budgets de recherche, entre les appels d’offres et les équipes, rien n’est fait, ce qui signifie qu’on privilégie quelques projets à la mode plutôt que l’effort collectif. La coupure entre enseignement et recherche devient un gouffre, favorisant les comportements de mépris pour l’enseignement de la part des profs. Les notes sont bradées, parce que la concurrence entre les disciplines oblige à tout faire pour garder les étudiants et éviter leur fuite vers les disciplines « conciliantes ». C’est le sens de l’ « offre de savoir ». Le savoir n’est pas une offre répondant une demande, il crée son désir quand on est plongé dedans.
« L’université française est en train de brader des pans entiers de son savoir. »
J’ai envie de vous répondre que cette personne est le meilleur ministre du brelan d’as affectés à l’éducation, précisément parce qu’elle ne fait rien. Au moins elle laisse les enseignants en paix. La modestie est une vertu. Mais soyons sérieux. Un ministre de la réussite devrait prendre en main le développement d’un enseignement professionnel de qualité, alliant théorie et pratique ; mettre fin à la régionalisation de l’orientation, qui est une soumission directe de la formation au « bassin d’emploi » local, alors que le capitalisme actuel impose une mobilité du travailleur sur le marché national et même international. Mais cessons de rêver.
Ce n’est pas une raison pour renoncer. Il y a une conjoncture nouvelle : des contradictions se font jour, y compris dans les partis de gouvernements, même au PS. Il est important en ce moment de libérer la parole des acteurs, des enseignants eux-mêmes, trop longtemps étouffés sous la chape du discours officiel relayé par les partis et les syndicats. Or les réactions, y compris les courriels qui me sont adressés, à la tribune que j’ai écrite, et que L’Humanité a publié au grand étonnement de ses lecteurs, celles à d’autres articles comme le mien, montrent combien ce discours officiel est en décalage avec le terrain, combien il est artificiel. Que Peillon soumette son baratin pédagogiste à un référendum chez les enseignants, je parie qu’il prendra une raclée, malgré le soutien de la machinerie étatique. Car sa concertation sur l’école était, comme toutes les initiatives de ce genre, une mascarade.
« Que Peillon soumette son baratin pédagogiste à un référendum chez les enseignants, je parie qu’il prendra une raclée. »
Demain il sera trop tard. Tous les signaux sont au rouge : la baisse de qualité de l’enseignement est désormais constatable. Pendant longtemps, quand je racontais ce qui se passait dans le 93, même des amis proches croyaient que j’exagérais. Pendant des décennies, on a dénié les problèmes, en particulier la violence. Aujourd’hui, la politique officielle consiste à incriminer un prétendu conservatisme enseignant pour continuer la ligne qui nous a menés à la débâcle. Mais le réel fait retour, tragiquement. Même du point de vue des intérêts économiques dominants, la situation devient problématique. Je ne vois pas ce que les entreprises françaises feront d’une main d’œuvre mal formée, incapable de se recycler, à quoi serviront des étudiants badigeonnés de savoirs morcelés dans des sections prétendument professionnelles des universités. Face aux sermons sur la compétitivité des entreprises françaises, rappelons que le seul atout de la France, c’est la qualité de sa main d’œuvre, et que désormais l’école, de la maternelle à l’université est incapable de l’assurer. Les exigences à court terme rentrent en conflit avec les exigences à long terme de l’économie.
★★★★★
Simon Bornstein est un étudiant en journalisme et auteur à succès. Né à Montréal, Canada, Simon a grandi dans une famille où l’on se passionnait pour l’écriture et le journalisme. Il a commencé à écrire à l’âge de dix ans et a publié son premier article à l’âge de seize ans dans un journal local. Après avoir obtenu son diplôme de journalisme de l’Université McGill, il a déménagé à Toronto en 2018 pour poursuivre ses études. Il a été accepté à l’école de journalisme Ryerson University, où il a pu étudier le journalisme de profondeur et le journalisme numérique. Lors de ses études, Simon a réalisé plusieurs projets, dont un mémoire sur l’utilisation des réseaux sociaux par les médias.
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