De décalages dans les niveaux, aux incidents plus fréquents entre élèves, nombreux sont les malaises au collège. Mais, au pays du grand écart scolaire, une réforme s’engage, sous l’impulsion du ministre Pap Ndiaye.
« On doit maintenant s’attaquer au collège, car c’est l’homme malade du système », affirmait récemment Pap Ndiaye dans Midi libre. Le ministre de l’Éducation nationale ouvre un nouveau front : après la réforme du bac et du lycée, la priorité donnée à l’école primaire sous le précédent quinquennat, il engage une réflexion sur cette « étape cruciale » de la scolarité. Car le bilan n’est pas bon . À la fin de la troisième, en français et en mathématiques notamment, un collégien sur quatre ne possède pas le niveau attendu – et même la moitié de ceux orientés en lycée professionnel. En anglais, un élève de troisième sur deux n’atteignait pas le niveau requis au test passé au printemps 2022.
La tension est parfois palpable. D’après une note du ministère de l’Éducation, les chefs d’établissement déclaraient davantage d’incidents graves au collège (11,9 pour 1 000 élèves) qu’à l’école primaire (2,8) ou au lycée général et technologique (2,6) en 2020-2021. Pas étonnant que le passage en sixième inquiète les familles. « C’est une vraie rupture pour les élèves. Des situations de harcèlement scolaire peuvent se durcir, prévient-on à la Peep. À cet âge-là, beaucoup d’enfants reçoivent leur premier portable, rentrent seuls et se retrouvent isolés face aux écrans. »
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Mais qu’est-ce qui cloche au collège ? « On est confronté à une très forte hétérogénéité, analyse Jérôme Fournier, secrétaire national au SE-Unsa, un des principaux syndicats de professeurs. On arrive à la fin de la scolarité obligatoire et, pour certains, les lacunes se sont accumulées ». Dans une même classe, un élève qui passera Polytechnique peut en côtoyer un qui s’orientera en CAP plomberie. Et, pour les adultes, il n’est pas simple d’enseigner à des jeunes de cet âge pas toujours tendre. « La classe que les collègues appréhendent le plus, c’est la quatrième, assure Jean-Rémi Girard, du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc). Les élèves entrent dans l’adolescence, et il n’y a pas d’examen de fin d’année pour les tenir un peu. »
L’étude internationale Pisa, qui compare les systèmes éducatifs des pays de l’OCDE, confirme que la France est le pays du grand écart scolaire. Les origines sociales pèsent très fortement sur la réussite des élèves. « Ça commence dès le plus jeune âge, mais le collège est un accélérateur d’inégalités », pointe Éric Charbonnier, expert éducation au sein de l’organisme. Les professeurs français ne sont pas forcément bien préparés : seuls 30 % ont suivi une formation continue pour enseigner à des élèves à besoin éducatif particulier (43 % en moyenne dans l’OCDE) ; 6 % en milieu multiculturel (contre 22 %).
Le collège sert de gare de triage. C’est marche ou crève !
Le mal ne date pas d’hier, si l’on en croit l’historien Claude Lelièvre : « Le collège a toujours été une zone de tempêtes. Ça fait plus d’un siècle qu’on se demande s’il marque l’achèvement de la scolarité obligatoire ou si c’est un prélycée. » L’avènement du collège unique, en 1975, n’a pas réglé le problème. « Le collège sert de gare de triage. C’est marche ou crève ! », dénonce Rodrigo Arenas, l’ancien coprésident de la FCPE devenu député LFI de Paris.
En guise d’ordonnance, le gouvernement a déjà annoncé une série de mesures. Concernant la classe de sixième par exemple : Emmanuel Macron a promis d’en faire « une liaison efficace avec le primaire ». Objectif : la rentrée 2023. Mais l’académie d’Amiens (Somme) fait déjà des expérimentations. Des « sixièmes tremplin » y sont déjà testées dans six collèges : les élèves en difficulté, identifiés à la fin du CM2, ont des cours supplémentaires en mathématiques, en français, voire de la formation à l’« estime de soi ». Les liens avec l’école primaire sont renforcés : des instituteurs peuvent même intervenir au collège.
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À partir de la cinquième, il est question d’expérimenter une « demi-journée » découverte des métiers, une promesse de la campagne présidentielle. Elle prendra différentes formes : mini-stages, visites d’entreprises, de lycées professionnels, témoignages d’anciens élèves… Des collèges volontaires pourront se lancer dès cette année. Mais les enseignants semblent dubitatifs : qui se chargera d’organiser cette séquence ? Sur quel créneau horaire ? Et avec quelles entreprises ? Les opportunités ne sont pas les mêmes selon les territoires.
Autre nouveauté : après les vacances de la Toussaint, 140 collèges volontaires devraient proposer deux heures de sport en plus par semaine aux élèves qui le souhaitent. Là aussi, c’est encore flou : qui se chargera de nouer des partenariats avec les clubs et les associations locales ? Les installations sportives seront-elles en nombre suffisant ?
Pour réduire les inégalités, enfin, le ministère entend développer le dispositif « Devoirs faits ». Dans les établissements situés en zone d’éducation prioritaire renforcée, un collégien sur deux bénéficie déjà de ces études encadrées par des profs. « Mais ce n’est pas mis en place avec la même efficacité dans tous les établissements, il faudrait renforcer cette aide », juge Éric Charbonnier, qui précise : « Les pays de l’OCDE où le collège fonctionne bien sont ceux où il y a beaucoup moins de devoirs à la maison. »
La réforme sera-t-elle plus large ? « Nous allons discuter pour évaluer les programmes et voir s’il faut les transformer », indique l’entourage du ministre. Avant d’assurer : « Il n’y a aucun sujet tabou. Pareil pour l’examen du brevet. Car il y a clairement un décalage entre les 87,7 % de réussite en 2022 et les résultats des évaluations de seconde, qui montrent des lacunes importantes, surtout en mathématiques, chez un certain nombre d’élèves. »
Les cours en demi-groupes, c’est extrêmement efficace
Les syndicats enseignants, eux, plaident avant tout pour des classes moins chargées et davantage de moyens. « Les cours en demi-groupe, l’accompagnement personnalisé, c’est extrêmement efficace, appuie Audrey Chanonat, du Syndical national des personnels de direction (Spnden). Il faut nous donner plus d’heures pour pouvoir en faire ! » Pour le reste, les chefs d’établissement invitent à supprimer les épreuves écrites du brevet, à évaluer déjà ce qu’il reste de la précédente réforme du collège (menée par Najat Vallaud-Belkacem en 2015) et à faire une pause.
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D’autres, au contraire, rêvent de bousculer le système. Il ne s’agit pas de remettre en question le collège unique , mais son uniformité. La FCPE, par exemple, voudrait que les élèves de sixième et de cinquième n’aient pas plus de quatre enseignants pour faciliter les premiers pas dans le secondaire. Le Snalc défend un « collège modulaire » : les élèves seraient regroupés en fonction des difficultés dans certaines matières comme les maths ou le français. L’Institut Montaigne, un think-tank libéral, propose un traitement de choc : cinq enseignants maximum en classe de sixième, vingt heures hebdomadaires de tronc commun et six heures d’options au choix à partir de la cinquième, et la création de groupes de besoin, en maths et en français, entre la cinquième et la troisième.
Et si on remédiait d’abord au manque de mixité sociale, qui joue un rôle déterminant en matière d’inégalités scolaires ? « La ségrégation au collège est très forte, rappelle Julien Grenet, professeur à l’École d’économie de Paris. Dans la capitale par exemple, elle s’explique pour moitié par la carte scolaire – à chaque adresse correspond un établissement. Pour moitié par les inscriptions dans le secteur privé. » Ce dernier, comme le montre une récente étude du ministère de l’Éducation, accueille de plus en plus d’élèves favorisés à l’issue du CM2. Pour freiner le mouvement, le chercheur avance trois pistes : redécouper la carte scolaire, imposer davantage de mixité aux établissements privés et étendre les secteurs multicollèges qui permettent de brasser davantage la population. Paris applique ce dernier dispositif dans trois zones depuis 2017. Le bilan est plutôt positif. Mais l’initiative n’a jamais pu être étendue en raison de résistances locales. Un autre défi pour le nouveau ministre.
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