Quelle vie après le feu ? Avec 27.500 hectares ravagés par les flammes, la forêt des Landes de Gascogne a connu ses pires incendies depuis des décennies. Et si dans le sud de la Gironde les foyers sont fixés depuis dimanche dernier, ils ne sont toujours pas éteints.
Alors que le feu continue à couver sous la terre, la filière réfléchit déjà à la façon dont elle va gérer l’après catastrophe. Dans ce massif détenu à 92 % par des propriétaires privés, les premiers touchés sont évidemment les sylviculteurs dont environ un millier a vu ses parcelles touchées par les incendies. L’impact est également notable pour les coopératives, à l’image d’Alliance Forêt Bois, la plus importante en France, à laquelle adhèrent la moitié des sylviculteurs sinistrés. Elle réalise un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros avec 200 salariés et son activité est déjà affectée. Son chiffre d’affaires du mois de juillet ayant été divisé par deux. Les papeteries de la région ont également dû réduire leur activité.
Malgré les images saisissantes des flammes dévorant la forêt , les incendies ont causé moins de dégâts que la tempête Klaus de 2009. Celle-ci avait dévasté 200.000 hectares mettant par terre 40 millions de mètres cubes de bois, soit l’équivalent de plusieurs années de production, ce qui avait déstabilisé la filière pour des années. « On estime que 30 % des surfaces incendiées étaient peuplées d’arbres de moins de 15 ans et sont donc entièrement détruites. Le reste avec des arbres plus âgés représente 2 millions de mètres cubes de bois soit 40 % de la production annuelle du massif », explique Stéphane Viéban directeur général d’Alliance Forêts Bois.
Tout l’enjeu est désormais de savoir quelle quantité de ce bois incendié sera récupérable. Dans le meilleur des cas, seule l’écorce des arbres a brûlé. Et si l’arbre est mort, l’essentiel du tronc peut être sauvé. Encore faut-il pouvoir retourner rapidement sur le terrain alors que l’accès y est encore interdit par crainte de reprise de feu. « L’idéal serait de pénétrer sur les parcelles dès le mois de septembre afin de commencer le travail, mais on peut craindre que cela soit octobre », précise Stéphane Latour, directeur de Fibois Landes de Gascogne.
D’ici là, c’est la période de tous les dangers. Les arbres morts vont voir leur bois continuer de se détériorer. Le pin ayant la particularité de devenir bleu dès qu’il sèche, ce qui le rend du même coup inutilisable. On craint également l’apparition de scolytes, ces insectes s’attaquant aux arbres malades. « Le risque étant qu’ils essaiment et s’attaquent aux forêts voisines », souffle Stéphane Viéban.
Selon son état, le bois calciné pourrait être valorisé sous diverses formes. Dans le pire des cas il finira en chaufferie, mais le reste prendra la direction des papeteries pour produire du papier kraft ou des usines pour fabriquer des panneaux de particules, des palettes ou des caisses.
Dans un contexte jusqu’à présent favorable aux sylviculteurs, avec des prix du bois qui ont augmenté de 10 % à 30 % depuis deux ans, les forestiers craignent désormais de voir les prix baisser. « Comme après la tempête, on pourrait voir le bois être bradé. Le risque est de voir s’instaurer le régime de l’offre et de la demande », analyse Christian Ribes, président de Fibois Nouvelle-Aquitaine. « On va demander aux professionnels de faire preuve de souplesse et que le bois ne subisse pas de décote dès lors qu’il est utilisable », répond Stéphane Viéban. D’où l’idée de stocker une partie du bois pour éviter de voir les prix dévisser. « Nos aires de stockages créées après la tempête Klaus sont toujours disponibles et nous pouvons les réactiver », insiste Stéphane Viéban.
Les forestiers pensent déjà à l’après avec l’objectif de reconstituer les parcelles détruites à partir de l’automne 2023. « Il faut avoir l’énergie de recommencer. C’est un peu dur, mais j’ai envie de replanter pour mon petit-fils », explique Nathalie Morlot, propriétaire qui a vu brûler 135 hectares.
Chez Alliance Forêts Bois on mise aussi sur le label bas-carbone, dispositif créé par le ministère de la Transition écologique, qui permet à des entreprises, des associations ou des collectivités de financer des projets français de réduction de CO2. Certains s’attendent à voir une tension sur les plants et chez les pépiniéristes. « Les volumes sont limités puisque les surfaces à replanter vont venir en compétition avec les surfaces qu’on anticipait », précise Christian Ribes.
Se posent aussi des questions quant au modèle de sylviculture. Depuis des années des voix s’élèvent, notamment parmi les scientifiques pour demander davantage de diversité et augmenter la proportion de feuillus. Notamment le chêne-liège et le chêne vert, bien adaptés à la sécheresse. La diversité d’essences a notamment pour effet de rendre la forêt plus résiliente face aux maladies et aux aléas.
Une petite minorité de forestiers commence à adopter des pratiques alternatives en choisissant la régénération naturelle et un mode gestion à l’opposé de l’ approche industrielle ultra-dominante dans le massif avec ses arbres parfaitement alignés plantés sur une terre entièrement labourée. « L’erreur c’est de se précipiter pour replanter, car le labour amplifie le phénomène de dégradation des sols», assure Jacques Hazer, un expert forestier. Lui-même propriétaire à côté d’Hostens, dont 90 % des parcelles ont brûlé, il précise : « Après avoir récolté le bois, il faut laisser faire la nature. Après un incendie les graines contenues dans les pignes des arbres tombent au sol en grande quantité et vont permettre de régénérer une parcelle de façon naturelle. C’est évidemment ce que je vais faire dans ma forêt. »
A Bercy une « cellule incendies » a été mise en place en soutien des sinistrés, avec à la clé pour les particuliers et les entreprises des aides fiscales et des reports de paiements. Les sylviculteurs attendent des mesures spécifiques. Après la tempête Klaus, l’Etat avait soutenu un grand plan de reconstitution du massif forestier. Mais depuis 2017, la loi prévoit que l’Etat n’intervient plus après une tempête dès lors que le risque est assurable et incite les professionnels à s’assurer grâce à un dispositif de réduction d’impôts.
En évoquant un « grand chantier national pour replanter » la forêt, lors de sa visite dans le Sud-Ouest fin juillet, Emmanuel Macron a suscité beaucoup d’espoirs au sein de la filière. « Nous souhaiterions bénéficier d’un plan de reconstitution piloté par l’Etat, comme ce fut le cas dans l’est de la France pour les attaques de scolytes », espère Stéphane Viéban. « C’est pour l’instant très vague et nous n’avons aucune information concrète. Nous attendons les réunions avec les services de l’Etat », note Christian Ribes. Un autre chantier consistera aussi à réfléchir au « modèle de prévention et de lutte contre les incendies » en France, avait d’ailleurs annoncé l’Elysée dimanche.
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