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L’historien Vincent Lemire met en images et en bulles la ville sainte et ses 4 000 ans d’histoire, avec le pari fou de n’inventer aucun dialogue. Une réussite.
Temps de lecture : 5 min
Raconter Jérusalem et ses 4 000 ans d’histoire en images et en bulles, c’est le pari fou tenté par l’historien Vincent Lemire, le dessinateur Christophe Gaultier et la coloriste Marie Galopin. Pari réussi puisque depuis le 27 octobre, tous les lecteurs de 7 à 99 ans, qu’ils soient fans de BD ou pas, peuvent découvrir en librairie Histoire de Jérusalem, publié par les éditions Les Arènes.
Peu encline à lire des BD – dans mon enfance ce n’était pas le genre de la maison –, j’ai pourtant dévoré les 250 pages découpées en 10 chapitres de 25 planches chacun, avec comme guide un narrateur pas banal : Zeïtoun, un tranquille olivier installé au sommet du Mont des Oliviers. Sa vue imprenable sur Jérusalem va lui permettre « de tout voir, tout vivre, tout observer ». Ni critique ni béni-oui-oui, Zeïtoun se fait tour à tour poste d’observation, point d’ancrage, témoin ou simple aire de repos pour des personnages en quête d’apaisement. C’est donc lui qui va nous conter la longue histoire de cette ville « où le monde entier se donne rendez-vous, périodiquement, pour s’affronter, se confronter, se mesurer », comme l’écrit Vincent Lemire dans son introduction à un ouvrage collectif Jérusalem. Histoire d’une ville-monde des origines à nos jours (Flammarion, Champs histoire, 2016).
Contacté par son éditeur en 2015 pour ce projet, Vincent Lemire accepte sans hésiter. Il pense qu’il en a pour cinq à six mois et « que l’effort portera surtout sur le travail de sélection ». Grosse erreur d’estimation eu égard au défi qu’il s’impose : ne pas produire un cours magistral illustré, une conférence où les cartouches, sorte de voix off, prendraient toute la place pour évoquer la période biblique, romaine, byzantine, ottomane, etc. avec un illustrateur qui mettrait le tout en dessin. « Non ! explique Vincent Lemire, ce que je voulais, c’était une vraie BD avec des cases, des personnages, des scènes et des dialogues. Le tout en respectant à la lettre mon travail d’historien : respect de la chronologie – aucune date n’en recouvrant une autre –, respect des lieux et, troisième défi, le plus compliqué et chronophage, n’inventer aucun dialogue. Ce qui suppose de creuser très profondément dans les sources, à la recherche de personnages réels, de scènes, d’échanges, d’interactions. »
Au final, cela donne plus de 200 sources mobilisées, dont certaines rares, voire inédites : récits de voyages, lettres, archives. Mais aussi, des six mois prévus, on est passé à six ans de travail. Chaque chapitre peut lui prendre de 5 à 6 mois. Car il s’agit de faire coïncider la structure du récit, ce qu’il veut raconter, et ses notes prises à partir des sources réunies, d’où va sortir tel ou tel personnage, que ce soit pour raconter la construction de la muraille ou la rénovation hydraulique. Avec comme objectif primordial : incarner le récit historique.
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L’autre défi tient dans l’apprentissage d’une nouvelle écriture : celle de la BD. C’est-à-dire des planches. « À chaque fin de planche, autrement dit en bas de page, il faut arriver quelque part. Et quand on tourne la page, soit il y a une surprise, soit on passe à autre chose. Et cela vaut aussi pour les doubles pages. Exemple : la conquête de Saladin et la cueillette des olives. On sait que Saladin a pris la ville en octobre 1187. Or on sait que chaque année, la cueillette des olives se fait en octobre. D’où cette double page, avec d’un côté cette famille qui s’adonne à la cueillette et de l’autre Saladin et ses généraux qui doivent prendre une décision : attaquer Jérusalem ou attendre la reddition. »
À cela s’ajoute encore une autre contrainte : celle des bulles qui donnent la parole aux personnages. Rien que du discours direct. « Sur la période contemporaine, ce n’est pas très compliqué, compte tenu de nombreuses sources, y compris beaucoup d’échanges épistolaires. En revanche, c’est moins le cas pour les périodes précédentes. » L’historien est catégorique : pas question d’inventer ! Si la citation adéquate pour telle scène ou tel individu n’existe pas, il n’y aura pas de bulle. « J’ai cherché, parfois, durant des semaines une lettre, une archive, un récit de voyage susceptible d’illustrer tel ou tel fait historique ! »
Et le travail avec le dessinateur, puis la coloriste ? Là encore, pas question qu’il s’agisse d’une simple narration illustrée. Notre historien prend alors en charge la préparation d’un « pré-story-board ». Autrement dit, tout est signalé, par un croquis grossier, à Christophe Gaultier : quand il faut deux cases ou une bande, quand la scène se déroule en extérieur ou dans tel bâtiment, quand les personnages pensent ou disent quelque chose. Ce qui permet au dessinateur de produire des images directement reliées aux enjeux du texte. Aidé par des milliers de photos qu’il a prises lors d’un voyage sur place, Christophe Gaultier réalise ensuite un story-board qu’il renvoie à Vincent Lemire, qui va le lui retourner avec pas mal de corrections sur les costumes, les visages, l’architecture ou encore la gestuelle. À partir de là, un noir et blanc définitif est produit.
C’est là qu’intervient la coloriste, Marie Galopin, et toutes ses questions, notamment l’heure à laquelle se déroule telle ou telle scène : est-ce la nuit ? le matin ? midi ? « Au début, c’était très déstabilisant, raconte Vincent Lemire, mais finalement ça m’a aidé à trouver le bon rythme. Avec des scènes qui commencent le matin, se poursuivent dans la journée, se finissent le soir. On a souvent des conclusions partielles ou des bilans qui se passent devant l’olivier, au coucher du soleil. » Et la couleur du ciel ? « Alors là j’ai beaucoup insisté auprès de Marie pour qu’elle évite le bleu permanent. On sait qu’à Jérusalem, on a des ciels parfois orange, parfois rose ou d’un gris angoissant. Il y a beaucoup de poussière, de sable, du vent, de la pluie, de la neige. Certains matins, cela peut aller jusqu’au rose fluo. »
De fait, et c’est là peut-être un autre des paradoxes de cette histoire de Jérusalem en BD, elle nous emmène loin des mythes et des fantasmes autour de ce berceau commun des monothéismes. Voilà que la cité trois fois sainte nous est racontée au ras du sol, avec ses habitants venus de partout et qui y restent, malgré les massacres, les destructions, les ruines, les oukases de tel ou tel souverain. Une Jérusalem d’en bas que la proximité du Ciel n’empêche pas d’être humaine, avec même des porosités surprenantes entre les différentes traditions religieuses. Bref, on est loin du seul sanctuaire ou de la capitale exclusive, éternelle et indivisible. Une Jérusalem de chair et de sang, cirque de collines perché à 800 mètres d’altitude, coincé entre plaine et désert, que Vincent Lemire, Christophe Gaultier et Marie Galopin nous apprennent à aimer. Et quand on referme leur BD, on a juste envie de leur envoyer une bulle avec deux mots : « Trop bien ! »
« Histoire de Jérusalem », Vincent Lemire (auteur), Christophe Gaultier (illustration) et Marie Galopin (coloriste), Les Arènes, 253 pages, 27 euros, octobre 2022.
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