Atteint de la maladie de Charcot, l’Héraultais Paul Gilardi a choisi le suicide assisté en Suisse. Sa femme, Michèle, qui l’a accompagné jusqu’au bout, nous raconte.
Dans sa maison de Boisseron où elle s’est installée avec son mari en 2016, Michèle Gilardi raconte les années de bonheur qui se sont arrêtées trop tôt, la maladie de son mari et sa fin de vie.
"Nous nous étions rencontrés tardivement mais ce fut la plus belle période de nos vies. Paul était consultant dans les technologies de systèmes de sécurité. Il travaillait notamment au Moyen Orient et en Amérique du Sud. Nous avons beaucoup voyagé ensemble. La dernière fois, c’était à l’été 2018. Nous sommes allés aux États-Unis pour réaliser notre rêve commun : "faire" la Route 66 de Chicago à Los Angeles, 4 000 km en trois semaines."
"C’était mon cadeau d’anniversaire pour ses 70 ans avec un peu d’avance, puisque Paul est né le 26 novembre. Il était en pleine forme pendant ce voyage et rien ne laissait présager que la maladie allait se déclarer en décembre de la même année."
C’est en jouant au tennis, son sport préféré, en décembre 2018, que Paul a ressenti pour la première fois de violentes douleurs aux jambes.
"Il a passé plusieurs examens qui ont abouti en avril à un diagnostic : sclérose latérale amyotrophique (maladie de Charcot). Mon mari qui ignorait tout, comme moi, de cette maladie, a voulu savoir quand il allait pouvoir remarcher. “C’est une maladie incurable et mortelle”, lui a répondu le médecin. Quand j’y repense, je me dis que ce genre d’annonce pourrait être fait d’une manière moins brutale, avec l’intelligence du cœur…".
"En m’informant sur la maladie, j’ai découvert qu’on avait presque deux ans devant nous, mais l’état de santé de Paul s’est détérioré très rapidement. En mai 2019, il commence à chuter, à ne pas pouvoir se relever. Ne pouvant pas le porter, j’ai fait appel à nos voisins, Daniel et Geneviève, que je connaissais alors peu. Ils sont venus nous aider ponctuellement, puis tous les jours. Leur disponibilité et leur amitié sans faille nous ont été d’un grand secours et ils sont restés des amis très proches. La maladie de mon époux en a fait fuir d’autres…"
"Paul a progressivement perdu l’usage de ses jambes, de ses bras, de ses mains. Il ne pouvait plus se servir de son téléphone ou de la tablette. Une dépendance qu’il vivait très mal même s’il ne se plaignait jamais."
"C’était humiliant pour lui de ne plus pouvoir manger, se lever, se doucher ou s’habiller seul. Un infirmier l’a aidé avec compétence et tact pour effectuer les transferts du fauteuil au lit, et je m’occupais de mon mari pour les actes plus intimes."
Dans la maison, la vie s’est organisée autour de lui. "On a fait installer un monte-escalier. Le pharmacien est venu avec un collègue pour enlever la paroi de la douche et permettre l’accès du fauteuil roulant."
"Le (précédent) maire est aussi passé nous voir et m’a aussi apporté un soutien après le décès de Paul. Notre médecin traitant nous a bien soutenus, car pour le reste du corps institutionnel, nous avons dû nous débrouiller seuls."
"En effet, peu après avoir pris connaissance du diagnostic, nous nous sommes heurtés au vide institutionnel : on nous a exposé les tenants et aboutissants de la loi Claeys-Leonetti mais qui ne répond pas à la problématique de cette maladie et au désir de mon mari qui posait, lui, la question de sa fin de vie. Paul a dit très vite qu’il voulait “couper le contact”, qu’il n’était pas question d’attendre qu’il aille encore plus mal et que le pronostic vital soit engagé pour subir les soins palliatifs. Il souhaitait mourir chez lui, entouré des siens."
"Aujourd’hui en France, c’est impossible et nous avons dû trouver, seuls, nos propres solutions. C’est donc à cette période qu’il a rempli le dossier de l’association suisse Dignitas, qui aide les personnes à mettre fin à leur vie, sur leur demande expresse et répétée".
Autre obstacle rencontré : le coût financier. "Le suicide assisté en Suisse représentait à lui seul un budget de 12 000 €, mais il y a eu beaucoup d’autres frais, comme l’installation du monte-escalier à 10 000 €. Nous avons vendu notre voiture en août pour financer une partie des frais, et j’ai pris un crédit à la consommation, l’enjeu était primordial et je ne regrette pas une seconde d’avoir fait tout cela."
Un autre marathon a commencé pour Michèle, celui de la course aux documents administratifs. "Il fallait en fournir beaucoup par internet, notamment des certificats médicaux, car le dossier est complexe et la procédure rigoureuse. Par exemple produire un document certifié conforme de la radio panoramique dentaire nécessaire pour vérifier son identité."
"En matière de suicide assisté en Suisse, le dossier est évalué en permanence. Et on peut arrêter le processus à n’importe quel moment."
La plus grande difficulté ? "Plus de trois mois pour obtenir l’acte de naissance de la part des services du ministère des Affaires étrangères, mon mari étant né au Maroc."
"Heureusement, un jour, au téléphone, je suis tombée sur une dame qui avait un cousin souffrant aussi de la maladie de Charcot. Elle m’a dit : “Je vous envoie le document immédiatement”. Et il nous est parvenu dès le lendemain. C’était quelques jours avant la date fixée pour le départ en Suisse. Faute de ce document, l’intervention aurait été reportée avec le risque pour mon mari ne puisse plus exprimer sa volonté auprès du médecin suisse."
"Nous avons alors vécu une tension extrême car l’état de Paul ne lui laissait plus aucun répit, jour et nuit. Il avait du mal à parler, à boire, la respiration devenait difficile. Il voulait que je lui prépare des pâtes ou des lasagnes car c’était facile à manger et ça lui rappelait sa mère et les origines italiennes de son père. C’était sa manière de se réconforter dans cette épreuve."
"On m’a dit que j‘avais beaucoup de courage mais je ne crois pas qu’il s’agissait de courage. C’est de l’amour. J’aimais mon mari et c’était ma juste place. Quand je lui disais : tu as du courage il me répondait : “je n’ai pas le choix”. Moi non plus, je n’avais pas le choix."
"À partir de septembre, tout est devenu un supplice pour lui, il ne pouvait plus tenir sa tête droite. Il avait mal partout, tout le temps assis dans ce fauteuil coquille, immobile, avec quelques escarres, ne pouvant plus lire, le moindre bruit l’agressait. La morphine le soulageait à peine."
"Dans la procédure mise en place par Dignitas, Paul aurait dû aller en Suisse une première fois pour rencontrer les médecins, mais il leur avait expliqué que son état ne le lui permettrait pas. Ils l’ont compris. Nous avons été accompagnés par cette association avec bienveillance du début à la fin, avec compréhension, sans pathos, et en toute liberté de choix."
"Mon mari adorait la vie. Mais avec cette maladie et en l’absence d’aide active à mourir en France, il a vécu tout ce qu’il ne voulait pas vivre."
"Le 13 octobre, nous avons organisé une dernière soirée avec notre proche famille à la maison. Le lendemain matin, l’ambulance que nous avions louée nous a emmenés en Suisse, Paul, moi et un infirmier. Mon mari était couché mais il fallait s’arrêter fréquemment pour permettre à l’infirmier de le masser, de le changer de position, de lui donner de la morphine. Le soir, après cette journée de voyage, il était épuisé mais soulagé. Il arrivait au bout de ce chemin."
"Au médecin qui l’interrogeait sur ses motivations, il a répondu qu’il ne voulait plus faire souffrir sa femme, sa fille et les personnes qu’il aimait. Cette dernière nuit, comme les précédentes, je suis restée à ses côtés. J’avais peur qu’il ne s’étouffe tant sa respiration devenait difficile".
"Le lendemain, le 15 octobre, j’ai insisté pour qu’on lui fasse sa toilette. C’était inutile et dérisoire mais c’était un rituel auquel mon époux tenait beaucoup."
"Le médecin est revenu demander à Paul de confirmer sa décision. Il pouvait encore renoncer. Il a mis ses dernières forces dans sa voix qui commençait à être presque inaudible pour dire : “Oui, je le veux, c’est ma décision. Je suis prêt”. Puis tout est allé très vite. J’ai proposé aux infirmières présentes de donner la potion létale à mon mari, mais elles m’ont dit que c’était à lui de la prendre. Pendant qu’il buvait, on s’est longuement regardés. Je lui caressais la tête. Paul a dit “Je t’aime” et il s’est endormi paisiblement."
"Quand les infirmières ont constaté que son cœur s’était arrêté de battre, elles m’ont laissé un long moment auprès de mon mari. Puis elles ont appelé la police pour faire constater le décès. Elles m’ont dit que je n’avais plus à être là. J’ai refait les 600 km de retour, accompagnée de l’infirmier, dans un état second. Ce n’est que quand j’ai reçu l’urne funéraire, par la Poste (la crémation, choisie par Paul, avait eu lieu en suisse, trois jours après son décès) que j’ai pris conscience que c’était fini. Depuis, il m’accompagne en pensée au quotidien."
Un souvenir remonte. "Paul avait accepté de participer à des travaux de recherche à l’hôpital sur cette maladie neurodégénérative. Il n’a pu participer qu’à un seul entretien avant de ne plus pouvoir se déplacer. Il m’avait dit que s’il avait pu mourir en France, on aurait pu examiner son cerveau après son décès. Le suicide assisté peut aussi être vu comme une participation à la recherche médicale, un dernier acte de solidarité."
Pour Michèle, l’absence de loi sur le libre choix de la fin de vie bat en brèche les trois principes qui constituent la devise de la France.
"La liberté de mourir n’existe pas puisque le suicide assisté est interdit. L’égalité est aussi un mythe puisque la mort a un coût financier trop important pour beaucoup de familles, et certaines n’ont pas la maîtrise de l’outil informatique pour faire les démarches à distance. Quant à la fraternité, elle a été relativement absente dans le milieu médical. En fait, je l’ai trouvée là où je ne m’y attendais pas !"
Et de conclure : "Si la loi permettait de choisir les conditions de sa fin de vie, mon mari aurait pu décéder entouré de sa femme, de notre famille, de son meilleur ami, d’une façon sereine et apaisée. On ne devrait pas avoir besoin d’aller à l’étranger pour abréger les souffrances d’une maladie incurable et mortelle, loin des siens pour eux, de ne pouvoir accompagner celui que l’on aime, est une souffrance. C’est pour ces raisons, pour ce que nous avons vécu de douleur, Paul, moi et notre famille, c’est pour qu’elle ne soit pas inutile, que j’apporte ce témoignage difficile à faire, pour dire le soutien plus que jamais nécessaire à l’ADMD dont je suis adhérente, pour infléchir la loi, pour donner le droit de mourir en France, le pays des droits de l’homme, dans des conditions protectrices des droits, et surtout humaines."
Faut-il modifier la loi sur la fin de vie ? En septembre, le Comité consultatif national d’éthique avait pour la première fois ouvert la voie à l’introduction d’une "aide active à mourir", pour des pronostics vitaux engagés à moyen terme.
Aujourd’hui, à l’image de ce qui se passe chez nos voisins (Belgique, Suisse, Italie, Espagne) qui ont légiféré sur ce sujet, une grande majorité de Français n’accepte plus la perspective de ne plus pouvoir choisir les conditions de sa fin de vie.
"Les gens demandent depuis longtemps de pouvoir choisir un éventuel recours à l’euthanasie ou au suicide assisté", rappelle Noëlle Messina-Peretti, déléguée pour l’Hérault de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité.
L’ADMD, qui compte 76 000 adhérents dont 1 822 dans notre département, demande une nouvelle loi sur la fin de vie. Elle gère aussi le fichier national des directives anticipées. "Nous encourageons toutes les personnes majeures à dire par écrit ce qu’elles souhaitent pour leur fin de vie et à désigner une personne de confiance pour faire respecter leur parole", explique la déléguée héraultaise. Noëlle Messina-Peretti connaît bien le sujet, puisqu’elle était infirmière en soins palliatifs à Val d’Aurelle. "Toute personne a le droit de refuser un traitement", rappelle-t-elle.
Depuis 2016, la loi Claeys-Leonetti tolère "une sédation profonde et continue jusqu’au décès pour les personnes souffrant d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme et subissant une souffrance réfractaire aux traitements". Mais celle-ci n’est pas autorisée pour les maladies neurodégénératives, par exemple.
89 % des Français approuvent le suicide assisté pour des personnes souffrant de maladies insupportables et incurables. Mais cette perspective rencontre encore des oppositions. À commencer par celle de la Société de soins palliatifs, qui refuse l’idée que les soignants soient associés à ce geste.
Les soins palliatifs, par opposition aux soins curatifs, cherchent à soulager la souffrance du patient. Mais ils manquent cruellement de moyens, puisque deux tiers des personnes qui en auraient besoin n’en bénéficient pas. Si l’Hérault est plutôt bien pourvu, une vingtaine de départements n’ont pas d’Unité de soins palliatifs. Depuis quelques années, le manque de personnel accroît encore les difficultés.
C’est pour faire avancer le débat sur cette question qu’une Convention citoyenne a été lancée par Emmanuel Macron. Organisée par le Conseil économique, social et environnemental, elle vient de débuter et s'achèvera en mars prochain. 150 citoyens tirés au sort répondront à une question : "Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ?"
Quels sont les moyens dont vous disposez pour les soins palliatifs au CHU ?
Nous avons une unité de 6 lits qui passera à 24 grâce à l’ouverture du bâtiment Balmes 2 à la Colombière. Aujourd’hui, nous accueillons 140 patients par an et 30 % quittent le service en vie, pour rejoindre leur domicile ou une structure plus adaptée. Nous avons 400 consultations pour les soins palliatifs ou les douleurs liées au cancer.
Quelle est votre mission ?
Notre personnel (infirmières, aides-soignants, psychologues, kinés, ergothérapeutes…) traite les symptômes et accompagne au plus près les besoins et souhaits des patients et de leur entourage. Il faut être dans le dialogue car chaque patient a ses propres besoins et réagit différemment.
On parle beaucoup du manque de moyens…
En plus des besoins financiers, il y a surtout une pénurie de personnel médical et paramédical depuis quelques années.
La loi actuelle vous permet-elle de répondre aux besoins des malades ?
Dans la grande majorité des cas, oui. Parfois, des patients demandent l’euthanasie ou refusent la sédation profonde et continue, même si leur état nécessite cette prise en charge. Les situations ne sont pas toujours simples, mais le dialogue et la bienveillance permettent de soulager les symptômes et de désamorcer l’angoisse des patients.
Dans l’Hérault, les Unités de soins palliatifs (USP) se trouvent à Montpellier, Sète, Pézenas et Béziers. Dans la métropole, on compte 18 lits en USP, dont 6 au CHU Saint-Éloi et 12 à la clinique du Mas du Rochet (Castelnau).
Des équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP), amenées à intervenir dans les différents services et en maisons de retraite, sont également menées à intervenir à Saint-Éloi, à la clinique du Mas du Rochet, et à l’Institut du cancer de Montpellier.
À travers l’hospitalisation à domicile (HAD), d’autres soignants se déplacent au domicile des personnes malades. Des unités HAD sont pilotées par le CHU Arnaud de Villeneuve, l’association Oikia et la société Home santé 34.
Une équipe ressource régionale de soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP) prend en charge les enfants et les jeunes, en lien avec leurs familles. Elle est basée au CHU Lapeyronie.
Enfin, diverses associations, à l’image de Réseau sphères, complètent le dispositif.
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Ma vie n'appartient ni aux curés ni aux médecins et pouvoir la terminer au moment et de la façon que je le souhaite est une liberté fondamentale qui n'est pas respectée ; il faut créer des structures spécialisées permettant à ceux qui le souhaitent (ce qui n'oblige personne) de prendre un produit (ou se le faire administrer par un proche s'ils en sont incapables) leur permettant de finir leur vie paisiblement entourés de leur famille , c'est quand même plus civilisé que de nous laisser agoniser le corps transpercé de tuyaux ou de nous laisser mourir de faim avec la sédation finale actuelle de la loi Léonetti
certes, elle a pu accompagner son mari, mais la suite est bien cruelle….
Liberté Egalité …
La liberté c'est de pouvoir choisir le jour de sa mort.
L'égalité c'est pour les riches, ils peuvent se payer une clinique en suisse ou en belgique. Les pauvres peuvent c.rever en france.
https://seo-consult.fr/page/communiquer-en-exprimant-ses-besoins-et-en-controlant-ses-emotions