Accueil / Ligue 1 / Entretien avec Pablo Longoria (2/2) : « tu ne peux pas faire une équipe avec des mauvaises personnes »
FM : vous êtes un jeune président. Comment avez-vous fait évoluer votre style de management ?
PL : la première chose est de faire un management avec des valeurs sportives. Quand tu connais un vestiaire et que tu connais un coach, l’important c’est d’appliquer les mêmes codes qu’il y a à l’intérieur d’un vestiaire dans le reste de l’organisation spécialement parce que nous sommes un club de football. On doit appliquer tous les codes de ce qui se passe dans un vestiaire et les codes des relations sociales du management qu’il y a dans un vestiaire au reste de l’entreprise.
FM : on connaît la nécessité de vendre des joueurs. Quelles sont les difficultés qu’on rencontre à l’OM pour faire des transferts sortants ?
PL : historiquement, pour vendre des joueurs de quoi on a besoin ? Tout d’abord, on n’a pas besoin de vendre des joueurs. Je comprends la mentalité établie en France. Tu bases une partie importante de ton business sur ta vente de joueurs en cherchant de réduire les pertes. Ce n’est pas une nécessité absolue. C’est vrai que tu dois utiliser les ventes de joueurs pour améliorer ton projet. C’est important. Mais pour la vente, il y a plusieurs facteurs. Le premier, c’est les résultats sportifs. Quand tu as plus de résultats sportifs, tu vends mieux tes joueurs. Deuxièmement, c’est la dimension de ton club au niveau de la pression et de l’importance historique. Cela t’emmène forcément au fait que l’OM a eu des effectifs plus âgés que les autres compétiteurs dans le Championnat de France. Tu vends plus facilement les jeunes joueurs. Il y a aussi le niveau des salaires. Plus tu as des joueurs âgés, plus tu payes de salaires. Normalement les joueurs pensent qu’ils doivent faire leur dernier contrat à 27 ou 28 ans. C’est son dernier contrat important. C’est pour ça que quand tu augmentes l’âge de ton effectif, tu ne payes pas cher les joueurs de 30 ans, mais tu verses un plus gros salaire. C’est l’inverse pour les jeunes joueurs. Quatrième facteur : nous ne sommes pas un club performant au niveau du centre de formation. Normalement le centre de formation, si tu es performant, c’est quelque chose qui permet d’augmenter le niveau de vente.
FM : pour quelles raisons ?
PL : parce que le joueur est jeune. Il arrive en équipe première avec un contrat graduel. Son salaire est bas et tu l’augmentes petit à petit. Arrive alors un moment où le joueur à une offre conséquente. C’est comme ça. C’est un mix entre tous ces quatre facteurs. Si on peut prendre un cinquième, mais cela va prendre plus de temps, c’est aussi le niveau de performance d’un joueur qui a quitté le club. Cela permet aux autres clubs de se dire que tous les joueurs qui quittent tel club sont performants ou pas.
FM : est-ce que la masse salariale est un frein ?
PL : dans le monde du football, comme celui du football français, où ton budget est de faire des transferts de joueurs, c’est normal que tu doives tenir ta masse salariale la plus basse possible. C’est un des motifs qui te permet de vendre des joueurs. À la fin de l’année, c’est notre objectif, c’est d’avoir un résultat comptable à l’équilibre. C’est l’objectif fondamental du club.
FM : il faut donc choisir sa stratégie
PL : c’est ça ! C’est le ratio économique (dépenses vs recettes). Tu dois prendre les salaires, les amortissements, la commission d’agent, les charges sociales, les coûts de scouting, les coûts de ton staff. Cela doit représenter 70% de tes recettes. Mais dans ton ratio, tu dois aussi compter sur les ventes de joueurs. Pour cela, tu dois compter la plus-value divisée par trois. Pour contrôler la masse salariale, on doit faire deux choses. Soit commencer à investir beaucoup sur des joueurs jeunes qui ont un salaire bas. Tu n’as alors rien en masse salariale. Ou alors tu cherches un équilibre. Cette saison, si on prend tout en compte, on a augmenté seulement de 15% avec la Champions’ League, ce n’est pas beaucoup. On a cherché à balancer entre des jeunes joueurs et les joueurs qui sont arrivés avec des salaires plus haut, on n’a pas payé beaucoup en transfert.
FM : mais à l’OM, on ne pourrait pas faire une équipe que de jeunes ?
PL : c’est une question de personnalité. Dans le football tu dois prendre en considération une chose : les résultats sportifs. C’est la chose la plus importante. Cela t’emmène en compétition européenne, ça fait que tu as un stade plein, que les gens te soutiennent. Si tu as de bons joueurs, les résultats sportifs t’amènent à faire de meilleures ventes. Si demain tu vends un joueur 40 millions d’euros, tu te dis que tu as 40 millions d’euros à investir dans le projet. On ne se dit pas qu’on a vendu par nécessité. On n’a pas cette nécessité avec la Champions’ League. Si on vend, c’est pour réinvestir, améliorer ton équipe et rester à ce niveau-là.
FM : d’après vous, quelles sont les données les plus fiables pour recruter ?
PL : ça dépend de l’entraîneur. Pour nous, en ce moment, les données physiques sont très importantes. À l’intérieur de ces données, la haute intensité. La distance totale ce n’est pas très important. Il y a la haute intensité, la récupération temporelle entre les efforts, la capacité d’accélérations, le nombre d’accélérations. Ce sont des données de plus en plus importantes. Sauf pour certains joueurs. Ces données physiques pour un défenseur central, ce n’est pas très important. Peut-être que parce que ça change d’un coach à l’autre. Peut-être, ce qui change sur les défenseurs centraux, c’est la vitesse maximale. Tu vois s’il est lent ou non. Après, ce n’est pas une donnée subjective. C’est devenu objectif. C’est l’évolution du travail de recrutement. Au niveau technique, il n’y a pas, pour moi, une donnée fondamentale. Mais ici on travaille très bien. On a des gens qui mettent en commun beaucoup de données, ce sont des métriques qui sont applicables au type de jeu que tu veux faire dans différentes positions. On accumule beaucoup de données pour avoir au concept que veut développer Igor.
FM : comment on déchiffre toutes ces données brutes ?
PL : la donnée, c’est une partie de la décision seulement. On ne fait pas un premier filtre par rapport aux données, il y a la perception, la sensibilité. Il y a deux choses qu’on doit analyser. La première chose, la donnée te permet d’analyser s’il a le profil. Un type de joueurs qui n’a pas les bonnes données pour pratiquer un certain style, c’est un joueur que tu peux écarter. Il y a la deuxième chose : comment utiliser les données ? Les datas bruts, ça ne sert à rien. On doit les mettre dans un contexte général. Le contexte général c’est bien pour un groupe de travail qui, toute la journée, met en commun des données, à penser des formules, à discuter avec le staff pour savoir comment il pense chacun des postes. Puis il y a l’adaptabilité d’un joueur à ce que tu veux faire.
FM : avez-vous en tête l’exemple d’un joueur dont les données étaient superbes, mais n’a jamais explosé ?
PL : je me rappelle, quand j’étais à Valence, les données n’étaient pas encore comme aujourd’hui, mais on travaillait avec celles qu’on avait. On n’avait pas beaucoup de données physiques, mais on avait celles techniques. Quand tu regardais Ilicic, tu te disais qu’il y avait Messi et qu’il y avait Ilicic. Il a fait une bonne carrière, mais dans tous les radars, on l’appelait le parapluie (les données ressemblent à un hexagone et toutes les pointes étant vers l’extérieur et donc les meilleures données, cela ressemble à un parapluie, ndlr). C’était extraordinaire. Après, si tu prends les données en brut, il y a beaucoup de choses à relativiser. Le niveau du championnat, l’âge, parce que les jeunes joueurs ont des données moins importantes. Plus tu as une équipe compétente, et la notre est très forte, plus tu dois mettre des indicateurs pour relativiser les chiffres. C’est plus difficile de mettre un but dans le championnat hollandais ou en Espagne, qui est devenu le championnat le plus défensif en Europe ? Tu dois relativiser tout cela.
FM : il y a donc des limites à recruter uniquement sur les données ?
PL : il y a différents éléments. Certaines données t’aident beaucoup dans le monde du football. Aujourd’hui, ce n’est plus subjectif de dire si un joueur va vite ou non. Il y a quelques années, on pouvait avoir un peu de sensibilité et juger la vitesse. Maintenant c’est automatisé. Il y a aussi la question de comment intégrer un joueur dans un système. C’est une question humaine. C’est important chez les jeunes joueurs qui changent beaucoup de positions tout au long de leur carrière. On doit analyser les caractéristiques du joueur et chercher comment l’intégrer. C’est impossible qu’une machine le fasse. On se dit "je vais recruter Amine Harit". On doit s’imaginer avec quels joueurs il va avoir les meilleures affinités sur le terrain, comment il peut s’entendre sur le terrain avec Alexis Sanchez, Ünder, Gerson, Payet, Suarez, Dieng et Mattéo (Guendouzi, ndlr). Comment je m’imagine qu’Amine va interagir avec tous ceux-là ? Le football, ce n’est pas une question individuelle, mais collective et comment donc ces joueurs vont interagir entre eux. Ensuite il y a une question de niveau. Mais qu’est-ce qui est le plus important ? Le niveau ou l’adaptation ? Ce sont des discussions les plus importantes. À quoi on donne plus d’importance ? Le dernier élément, qui est très important, c’est la mentalité, l’attitude et la volonté que tu as pour travailler. Tu ne peux pas faire une équipe avec des mauvaises personnes. C’est très important pour moi. La mentalité, l’engagement, comment il est au quotidien, comment il travaille, la volonté pour accepter d’être corrigé. C’est pour ça que la donnée fait partie d’un groupe d’autres choses dans le recrutement.
FM : les joueurs partis en prêt, vous les suivez aussi au niveau des données ?
PL : oui, on a un département de gestion de joueurs en dehors du club, coordonné par Felipe Saad où la donnée est importante. Spécialement pour voir l’évolution physique et technique. Il y a un suivi très important sur la donnée et aussi psychologique. On discute avec eux, qu’ils sentent qu’ils font partie d’un projet, que ce sont encore des joueurs de l’OM. Il y a un suivi aussi technique avec les clubs : comment ils travaillent, qu’est-ce qu’on peut faire ? Est-ce qu’on peut faire passer un message ? On a donc les données, la relation personnelle et psychologique et celle plus technique entre clubs pour savoir comment on peut faire en tant que club pour aider à la gestion du club.
FM : comment fonctionne la cellule de recrutement du club ?
PL : on doit penser que c’est un fonctionnement très italien. Quand on a eu Igor Tudor, habitué à travailler en Italie, on avait besoin d’avoir un directeur sportif très présent au niveau sportif. Qu’il soit là tous les jours, qu’il connaisse les problèmes de tous les joueurs. Ce que je faisais à Valence. Ta fonction c’est d’observer tout ce qu’il y a autour de l’équipe, il fait la gestion quotidienne du coach. Il parle avec le coach, il observe, il peut faire un petit commentaire après la séance. "Tu as vu l’attitude qu’il a eue ? Tu as vu la dernière action ? Aujourd’hui, lui a été très bien". Le coach, il a tellement la tête dans le guidon. C’est nécessaire d’avoir une vision extérieure. C’est aussi nécessaire pour les joueurs qu’ils sentent l’autorité du club. Il y a l’autorité du coach, du vestiaire, mais aussi l’autorité du club. Sinon, c’est la République indépendante de l’entraîneur (rires). Tu as besoin de tout cela. Un bon directeur sportif est quelqu’un qui connaît le mieux le coach, qui connaît le mieux les joueurs et qu’il doit se positionner entre le club et le vestiaire. Parce que c’est celui, du club, qui connaît le mieux le vestiaire. Dans la configuration italienne, le scouting dépend du directeur sportif. Pourquoi ? Parce que si tu vois tous les jours, pendant un mois, tous les entraînements, tu sais ce que le coach demande, comment sont tous tes joueurs. Il n’y a personne d’autre qui connaît le mieux tout cela que le directeur sportif. Il connaît tout. Pour recruter des joueurs, c’est nécessaire qu’il coordonne tout ce que les scouts doivent regarder. Il sait à quelle position il manque un joueur, il sait ce qu’il manque.
FM : l’information pour aller scouter vient du directeur sportif ?
PL : oui, après le directeur sportif propose des noms. Il y a un directeur de football qui tient toute la stratégie générale du club, c’est Javier. Parce que si tu laisses un directeur sportif choisir, jamais un joueur du centre de formation n’arrivera en équipe première. Parce que ce que tu veux gagner, gagner, gagner. Le directeur du football, c’est quelqu’un de plus flexible qui te dit qu’on a besoin d’avoir plus de jeunes, créer de la valeur, peut-être qu’on a un effectif trop vieux, qu’on doit réduire les salaires et abaisser la moyenne d’âge. On veut investir sur cette position ou il y a quelqu’un du centre de formation qui arrive. C’est quelqu’un qui donne la direction de ce que l’on doit faire. Il dit par exemple qu’on doit réduire l’âge moyen parce qu’on a besoin de vendre la prochaine saison, que si on ne se qualifie pas pour la Champions’ League, on doit vendre pour tant de millions d’euros pour retrouver l’équilibre. Le directeur sportif qui passe son temps avec un coach et l’équipe, il va toujours vouloir gagner, avoir le meilleur effectif possible, c’est normal. La fonction du directeur de football c’est de faire la stratégie en accord avec les indications que je donne, en tant que président. Par exemple : "je veux une équipe qui soit jeune. Je veux des joueurs du centre de formation. On doit avoir des joueurs qui sont vendables à la fin de la saison au cas où on n’a pas les résultats sportifs escomptés. On peut risquer jusqu’ici, je vais assumer ce niveau de risques cette saison, etc."
FM : concrètement, David Friio, le directeur sportif, arrive avec des propositions ?
PL : David travaille avec la cellule de recrutement et les données, on a un service de données. Ensuite, il fait des propositions de joueurs. Après ce sont des discussions entre Javier et moi, quels risques on veut prendre, comment sont les opérations qu’on veut faire ? Est-ce qu’on peut assumer cette opération ? Ce sont des décisions qui vont du haut vers le bas. Nous sommes des gens qui viennent du monde du scouting.
FM : c’est arrivé cette année ?
PL : oui ça m’est arrivé de dire à David de demander au recruteur d’aller voir un joueur qui me plaisait. L’autre jour, par exemple, je regardais un match du championnat espagnol. Je trouve un joueur et je leur envoie un message "ça, c’est un joueur pour ce qu’on veut faire sur le terrain, il est en train de progresser. Est-ce que vous pouvez aller le voir ? Lui aussi, il est en prêt, il est en train de faire des choses intéressantes. La seule chose que je ne sais pas, c’est s’il peut jouer à l’intérieur du jeu, parce que c’est un joueur de côté".
FM : pour vous, dans l’idéal, il faudrait combien de scouts dans une cellule de recrutement ?
PL : ça dépend de la stratégie. Il y a tellement de théories sur la cellule de recrutement, je peux donner la mienne. Pour moi, une cellule de recrutement se base sur une stratégie de club. À l’OM, on a une cellule de scouting de l’équipe première, elle est focalisée sur l’équipe première, elle permet de dire si tel joueur pour jouer avec Igor ou non. On a une cellule de recrutement pour tous les joueurs qui arrivent vers 18 ans. On est en Afrique, on est en Europe dessus. On regarde sur qui on peut faire des investissements sur les joueurs qui peuvent arriver à ton équipe première. On a une cellule de recrutement nationale pour le centre de formation et une au niveau de Marseille, aussi pour le centre de formation. En nombre total, je ne peux pas dire. Il y a beaucoup de gens pour la base à Marseille. Pour moi, l’idéal entre recruteurs et collaborateurs, ils doivent être entre 20 et 30 au total. Au niveau national, on ne peut pas être trop focalisé là-dessus, donc tu dois avoir des choses vraiment importantes. Entre 3 et 5 personnes pour le recrutement international pour les jeunes et 2 ou 3 personnes maximum pour l’équipe première. C’est un modèle très restreint. Je n’aime pas avoir beaucoup d’informations. Je vais utiliser la cellule de recrutement pour des choses concrètes et fiables. Des choses dont je sais qu’elles me proviennent d’un groupe de travail très réduit avec une même méthodologie dans laquelle je sais que je peux avoir confiance. Il y a d’autres modèles. Il y a le modèle anglo-saxon d’avoir une personne par pays. Je préfère 2 ou 3 scouts pour l’équipe première parce que les noms que je vais recevoir sont des noms qui ont été beaucoup travaillés. Je préfère avoir un défaut d’informations plutôt qu’un excès d’informations. Cela te mène à la confusion, il n’y a pas de ligne.
Relisez la première partie de l’entretien avec Pablo Longoria.
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