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Entretien avec le poète ouzbek Khourchid Davron – Novastan France

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Dans une interview, le poète ouzbek Khourchid Davron parle des anciens soufis, des classiques qu’il lit et relit, du monde de l’édition pendant la perestroïka et du lien secret entre l’Asie centrale et l’Amérique latine.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 15 juin 2019 par le média russe spécialisé sur l’Asie centrale Fergana News.
Le sort des poètes ouzbeks des années 1980 est variable, bien qu’il commence pour tous plus ou moins de la même manière : enfance dans les provinces, études à la faculté de journalisme de l’Université d’État de Tachkent, service dans les rangs de l’armée soviétique… Aujourd’hui, Khourchid Davron est poète populaire d’Ouzbékistan, historien, auteur de plus d’une vingtaine de livres publiés dans de nombreux pays, dramaturge, traducteur de poètes de Lettonie, du Japon, de Russie, et enfin, spécialiste de la nouvelle littérature ouzbèke.
Comment l’amour de la lecture a conduit Khourchid Davron dans les profondeurs de l’histoire, et comment la recherche de ses propres racines l’a-t-elle conduit à la biographie d’anciens penseurs soufis ?
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La conversation du journaliste Sandjar Yanychev avec le poète aborde l’attachement à la terre, les auteurs classiques et le lien secret entre l’Asie centrale et l’Amérique latine.
Fergana News : Khourchid-aka, comment décririez-vous votre tempérament ?
Khourchid Davron : Selon la théorie gréco-romaine des humeurs, je suis une personne optimiste, guidée par le sang. Pour être plus précis, je suis guidé par mon cœur. Selon les concepts orientaux, le mizoj, c’est-à-dire le tempérament, le caractère de la personne, correspond à celui du lieu de sa naissance.
Dans mon cas, il est fortement continental. Dieu a généreusement pourvu mon Turkestan natal en toute saison. C’est pourquoi, en tant que fils de ce lieu, je suis parfois froid comme l’hiver et plein de tact, ou chaud comme l’été, pensif comme l’automne, aimant la solitude, et enfin changeant comme le printemps, quelquefois excessivement sensible et rêveur.
Quoi d’autre détermine mon tempérament ? Le sang millénaire turco-naïman qui coule dans mes veines. Ce sang est épris de liberté et ne tolère pas le dictat.
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La question principale pour moi n’est pas « qui suis-je », mais « pourquoi est-ce que je vis ». Tout est clair avec la première question, mais tous les jours je cherche une réponse à la seconde. Car, comme l’écrivait l’écrivain romain Apulée dans ses Métamorphoses : « Il n’est pas nécessaire de regarder où une personne est née, mais quelles sont ses mœurs ; non pas en quelle terre elle se trouve, mais selon quels principes elle a décidé de vivre sa vie. »
Quelles sont vos qualités dont vous êtes fier et les défauts que vous aimeriez éliminer ?
La première qualité qui me plaît, c’est la gentillesse. Ça doit venir de mes parents. Plutôt de la part de mon père. Ce n’est pas pour rien que mes amis poètes, même quand nous étions jeunes, m’appelaient Dobrynya, le Gentil. C’est parce que j’étais aimé des enfants, y compris des étrangers (rires).
La deuxième qualité est l’amour de la lecture : l’histoire du monde, la poésie japonaise, la prose latino-américaine… Quand mon cinquième livre, Qaqnus (Phénix, ndlr), a été publié, un critique a écrit un article intitulé « Les ailes de papier du Phénix », dans lequel il m’accusait d’ignorer la vie moderne : presque tous mes poèmes étaient soi-disant liés au passé. Cependant, plus tard, il y a eu d’autres avis plus positifs…
Il y a beaucoup de défauts dont je veux me débarrasser. Mais, comme le disent les Ouzbeks, « se débarrasser de ses habitudes est une tâche ingrate ». Rappelez-vous la plaisanterie de Mark Twain : « Arrêter de fumer est très facile, personnellement j’ai arrêté déjà cent fois ! » Et maintenant, à mon âge, je ne veux pas perdre mon temps avec ça.
Le même Mark Twain a écrit : « Il arrive qu’un individu n’ait pas de mauvaises habitudes, mais quelque chose de pire. »
Comme le disent les sages anciens : « Seul Allah est sans péché ! »
Il est intéressant de constater que de nombreux poètes et écrivains ouzbeks confessent leur amour pour les Latino-Américains. Apparemment, il existerait des liaisons souterraines entre l’Asie centrale et l’Amérique latine. La tradition et la mythologie sont différentes, mais la vision du monde est similaire, n’est-ce pas ?
Vous avez raison. Il semble y avoir un océan sans fin entre nous, mais quand on commence à les lire, on trouve des motifs nationaux et une perception similaire de la vie et de la mort. Quand on découvre – nous ne le savions pas dans notre jeunesse – que certains mots issus de la civilisation maya trouvés en Mésoamérique (une région historique et culturelle s’étendant approximativement du centre du Mexique au Honduras et au Nicaragua, ndlr) ont d’anciennes racines turques, on commence à croire aux liens spirituels entre nos régions.
J’aimerais vous raconter une histoire qui me semble pertinente par rapport à votre question.
J’ai travaillé pour la maison d’édition Yoch Gvardiya pendant de nombreuses années. J’ai débuté comme livreur et, en 1985, je suis devenu le chef du département. Lors de l’élaboration du plan thématique de la maison d’édition, la première chose que j’ai faite a été d’inclure mes œuvres préférées : des romans d’Antoine de Saint-ExupéryLe Petit Prince et Vol de nuit, ainsi que le roman de Mikhaïl Boulgakov Le Maître et Marguerite.
J’ai confié la traduction d’Antoine de Saint-Exupéry à Khaïriddine Soultanov et Ahmad Azam. Le roman de Mikhaïl Boulgakov a été confié à un traducteur connu, Kadyr Mirmoukhamedov. Il n’y a eu aucun problème avec le classique français, mais avec Mikhaïl Boulgakov…
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Pendant ces années-là, tous les plans thématiques des maisons d’édition de la République étaient approuvés à Moscou par le Comité de la presse d’État de l’URSS. En apprenant que le roman de Mikhaïl Boulgakov était inclus dans le plan de la maison d’édition Yoch Gvardiya, les dirigeants du Comité national de la presse étaient inquiets.
Le premier vice-président du comité, Marat Chichiguine, s’est rendu à Tachkent. Le directeur de Yoch Gvardiya et moi avons été convoqués par les supérieurs. Marat Chichiguine a commencé à dire que le lecteur ouzbek ne comprendrait pas Mikhaïl Boulgakov, que le roman Le Maître et Marguerite était très difficile à comprendre car il est basé sur la mythologie chrétienne.
Après ces paroles, nos dirigeants — du premier vice-président du Comité d’État pour la presse de l’URSS, Ruben Safarov, au directeur de notre maison d’édition — ont commencé, comme des perroquets, à répéter les paroles d’un fonctionnaire de Moscou et à me lancer des regards éloquents.
Cependant, nous étions en pleine perestroïka et nous, les représentants de la nouvelle génération, avions déjà appris à débattre avec la nomenclature du parti. J’ai dit : « Peut-être que le lecteur russe ne comprend pas Le Maître et Marguerite, mais la vie et la perception artistique du lecteur ouzbek sont basées sur la mythologie. » J’ai dit que le roman avait déjà été traduit et que le célèbre écrivain Timour Poulatov avait écrit une préface…
Tous mes arguments, bien sûr, leur ont échappé. Mais ils avaient déjà peur de l’interdire ouvertement et c’était important pour eux que je refuse moi-même de publier le roman. En conséquence, la traduction a été sauvée, par une nouvelle époque, une nouvelle façon de penser et une nouvelle personne qui n’était pas d’accord et défendait ses idéaux.
Qui étaient vos parents ?
Mon père, Davron Khasanov, appartenait à une lignée turco-naïmane. Il a construit la toute première école de notre village et en est devenu le directeur, bien qu’il n’ait pas reçu de formation pédagogique — c’était courant au début des années 1930.
Mon père avait un tatouage sur la main : « UKP », pour « régiment de cavalerie ouzbek. » Il n’aimait pas parler de sa vie militaire. Je sais seulement qu’il a servi dans un régiment mené par le légendaire commandant ouzbek Mirkamil Mircharapov. À l’époque soviétique, un monument a été érigé à sa gloire à Samarcande, puis, pour un motif inconnu, il a été supprimé. (L’UKP, sous la direction de Mirkamil Mircharapov, a combattu les Basmatchi dans les environs de Samarcande en 1931-1932, ndlr).
Mon père est mort alors que je servais dans l’armée, dans la lointaine République démocratique allemande (RDA). C’est pourquoi, à ce jour, je suis profondément triste de ne pas avoir pu le voir lors de ses derniers jours.
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Ma mère s’appelle Fouzallo Vafokhodjaïeva. Son grand-père, Khikmat Makhdoum Djounaïdoullaïev, était le gouverneur du volost d’Arguine, dans l’ouïezd de Samarcande. C’est-à-dire qu’il était au service du tsar russe. Cependant, selon un rapport de la garde locale, le gouverneur du volost a aidé secrètement le chef de la révolte populaire, Namaz Primkoulov.
Le fils de Khikmat Makhdoum, c’est-à-dire mon grand-père, Vafokhodja Makhdoum, a étudié à Saint-Pétersbourg. Lorsque Samarcande était la capitale de la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan, mon grand-père était secrétaire de l’association créative Kizil Kalam (Plume rouge, ndlr), créée en 1926. L’association était dirigée par Chakir Soulaïman et le groupe réunissait des écrivains tels qu’Atadjane Khachim, Batou, Ziyo Saïd, Sotti Hussain, Ankabaï, Altaï, puis des étudiants comme Khamid Alimjan, Mirtemir et Aïdine.
Un jour, mon grand-père et un étudiant de l’université de Samarcande, le futur poète célèbre Mirtemir, se sont vu confier une mission : enseigner le nouvel alphabet cyrillique au premier président du Comité électoral central d’Ouzbékistan, Youldach Akhounbabaïev : il avait étudié dans une ancienne école et n’écrivait que l’arabe.
Lorsque la répression a commencé, Vafokhodja Makhdoum a été arrêté en tant que membre du groupe Kizil Kalam. Il a été accusé d’avoir organisé un mouvement de révolte national. (Dans la théologie islamique, il existe également le terme arabe « kalam » qui désigne la parole de Dieu. Cela pourrait constituer une base supplémentaire pour la persécution du groupe Kizil Kalam, ndlr) En prison, il est tombé gravement malade et il a été autorisé à rentrer chez lui pour mourir. Il a vécu en liberté pendant un mois…
Nous étions quatre frères et deux sœurs dans notre famille. Ma sœur aînée, Oïsara, qui a travaillé comme professeur de physique toute sa vie, est décédée il y a deux ans.
À quel âge avez-vous commencé à vous intéresser à votre généalogie ? Qu’est-ce qui vous y a poussé ?
Je connais mes ancêtres grâce aux histoires de ma mère. Elle avait une bonne mémoire. Enfant, je connaissais les noms de tous mes grands-pères jusqu’à la septième génération, même si à cette époque je ne savais pas exactement ce que signifiaient les mots qu’elle disait souvent : « Nous sommes les descendants de Makhdoumi Agzam. » À cette époque, ses histoires ressemblaient à des contes de fées. J’ai appris que Makhdoumi Agzam était un grand cheikh soufi plus tard, pendant la perestroïka, quand il est devenu possible de parler et d’écrire à propos de telles choses.
Au cours de ces années, j’ai conçu un triptyque en prose sur le soufisme. La première partie a été consacrée à l’histoire du soufisme et des tariqas d’Asie centrale. J’ai appelé l’histoire Le roi des martyrs, ou les rêves de Najmiddine Koubro (Najm ad-Din Kubra, 1145-1221, est un mystique et théologien du Khorezm, cheikh soufi, poète, fondateur de la confrérie soufie Kubravia, ndlr).
Cette histoire a déjà été publiée deux fois à Tachkent. La deuxième partie traite du sens de la philosophie du soufisme, mais elle est inachevée. Je l’ai appelée Sept rencontres du cheikh Faridouddine Attar.
La troisième partie devait être consacrée à la vie des grands soufis. Le titre provisoire est Le dernier jour de Djalâl-Ad Dîn Rûmî (1207-1273, un poète persan soufi influent, ndlr). L’histoire n’a jamais été écrite…
Je dois dire qu’après la chute de l’Union soviétique, une crise a éclaté dans la littérature. À un moment donné, j’ai été renvoyé de la maison d’édition : je ne voulais pas participer aux sombres affaires des hauts fonctionnaires.
Un jour de 1989, avant mon licenciement, un homme de Khodjent est venu me voir. Cet homme s’appelait Ilyoskhon. Il a mis un dossier épais sur ma table en disant : « J’ai écrit un livre sur Makhdoumi Agzam et maintenant je vous l’apporte, je veux le publier ». Ayant entendu le nom de Makhdoumi Agzam, je me suis immédiatement souvenu de toutes les histoires de ma mère.
Mais j’ai été encore plus surpris quand Ilyoskhon a déclaré : « Je suis allé dans une école tadjike, mais j’ai écrit ce tazkira (anthologie, ndlr) en ouzbek. Je rêvais que mon manuscrit soit lu par un scientifique ou un écrivain ouzbek. Et puis un jour, dans un rêve, un vieil homme m’est apparu ; il m’a dit d’aller à Tachkent et de te trouver. »
Une histoire mystique ! Tout à fait dans l’esprit des révélations soufies… Dites-moi, ce manuscrit a-t-il été publié ?
Quand j’ai été licencié, j’ai apporté le manuscrit d’Ilyoskhon à une maison d’édition privée. Mais le rédacteur en chef a décidé de devenir un co-auteur du livre. À la fin, Ilyoskhon a pris son travail et est parti. Il m’en voulait à moi aussi. Je ne sais rien du sort de son manuscrit…
Après avoir été licencié, je suis resté chez moi. Je n’avais rien pour vivre, ma famille n’avait rien à manger. J’ai décidé de vendre des livres de valeur de ma bibliothèque, au marché. Cependant, je ne savais pas comment faire. J’ai fait confiance à un marchand qui m’a promis de l’aide et a disparu avec tous mes livres rares. Plus tard, à Samarcande, j’ai rencontré un autre descendant de Makhdoumi Agzam, le scientifique Komilkhon Kattaïev. Il était un vrai connaisseur non seulement de sa biographie, mais aussi de tous les livres de l’imam Dakhbedi (Makhdoumi Agzam, ndlr).
Ressentez-vous une responsabilité à cause de votre lien avec Makhdoumi Agzam ?
Oui, bien sûr. Bien que, dans l’ensemble, je ne me considère pas comme un expert de l’héritage spirituel du grand soufi. La chaîne d’héritage a été coupée depuis longtemps. Les connaissances théoriques demeurent, les livres secrets ou cryptés restent, mais personne ne peut les lire. Et toutes les rencontres des adeptes modernes du soufisme sont des cercles quasi-littéraires ou pseudoscientifiques.
La traduction de Makhdoum est professeur, mentor. Le cheikh Makhdoumi Agzam était le professeur spirituel du poète et dirigeant Babur. Aviez-vous un professeur comme celui-ci ?
Un père spirituel qui enseigne sans présence physique, qui a vécu bien avant ceux qui s’inspirent de lui, est appelé « ouvaïsiy oustoz » dans notre pays. Pour moi, c’est le grand poète Aïbek qui a rempli ce rôle. Je pense parfois que s’il était né dans un pays libre, dans une société libre et qu’il avait pu écrire ce qu’il voulait, il serait devenu un poète de renommée mondiale.
Dans ses poèmes de jeunesse, je vois des motifs et des tendances qui se sont manifestés plus tard dans les œuvres de Federico Garcia Lorca et Rainer Maria Rilke… Aïbek ne lisait ni ne connaissait Guillaume Apollinaire, mais dans ses premiers poèmes, j’ai trouvé de nombreux parallèles avec ce grand poète français.
Il y a 30 ans, j’ai écrit un article à ce sujet, dans lequel j’ai donné les deux exemples suivants. Voici une traduction de l’une des strophes d’Aïbek : « Les souvenirs tissés par la lumière du soleil et le bruissement des feuilles ne disparaîtront pas pour toujours avec moi… » Ouvrons maintenant le poème Prélude de Federico Garcia Lorca : « Et les peupliers s’en vont, mais leur trace sur le lac est claire. Et les peupliers s’en vont, en nous laissant le vent. »
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Et voici le poème Automne tardif d’Aïbek : « Le ciel est dans les nuages… le vent pleure à nouveau doucement, la tristesse dort silencieusement dans les champs vides. Derrière un âne chargé, un garçon seul marche le long de la route qui mène à l’horizon. »
Après avoir lu ces lignes, je me suis immédiatement souvenu du poème Automne d’Apollinaire : « Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux / Et son bœuf lentement dans le brouillard d’automne / Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux / Et s’en allant là-bas le paysan chantonne / Une chanson d’amour et d’infidélité / Qui parle d’une bague et d’un cœur que l’on brise / Oh ! l’automne l’automne a fait mourir l’été / Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises ».
Aïbek a écrit très peu de grands poèmes. Et tout cela parce qu’il avait peur, par exemple peur d’être accusé de pensée bourgeoise. Il a enclenché son instinct de conservation. Alors tous ses textes étaient « socialement utiles ». Mais certains de ses poèmes — ils sont peu nombreux — sont vraiment des chefs-d’œuvre de la poésie mondiale.
D’où vient votre amour pour l’histoire ?
Pour faire bref, de l’amour pour Samarcande. Dans un poème, j’ai écrit : « La patrie est une personne qui respire et marche avec toi. » Samarcande est toujours avec moi, où que je sois. Je peux sentir son souffle vif à chaque instant. Samarcande incarnait toute l’histoire du Turkestan, l’histoire de tous les peuples qui ont vécu dans l’espace de son ancienne civilisation.
Trois domaines scientifiques principaux coexistent dans l’islam : ilmi kalom, la science du coran, ilmi hadith, la science des paroles du prophète, et ilmi fiqh, la science des lois islamiques. Trois grands représentants de ces mouvements reposent à Samarcande. Babur écrit à ce sujet dans son merveilleux livre Babur Nama. D’ailleurs, mon amour pour l’histoire vient aussi de Babur Nama. J’ai écrit une histoire sur Babur, la pièce Toska Baburchah, et de nombreux articles et essais sur la vie et l’œuvre de ce grand poète.
Quand avez-vous réalisé que vous étiez poète ?
Cela a dû arriver quand j’avais 14 ans. Même si à cet âge je n’avais aucune idée de ce qu’était la poésie. Mais il y a eu mon premier amour… Chaque jour, je me cachais de tout le monde et je récitais des rimes dans une pièce sombre. Je chuchotais des poèmes d’autres poètes : Abdoulla Aripov, Erkin Vakhidov. Je vivais à travers la poésie.
Quand j’étais jeune, je pensais qu’un poète était quelqu’un à qui Allah offrait une partie de son don. Aujourd’hui, la poésie est pour moi une combinaison de ce don et du travail infatigable de l’esprit. Vous vous souvenez sans doute des poèmes de Nikolaï Zabolotsky : « Ne laissez pas votre âme être paresseuse ! » Le don de Dieu est une étincelle qui s’éteint très rapidement si on ne travaille pas dur.
Comment définiriez-vous votre méthode poétique ?
Pour moi, l’essentiel dans les poèmes, c’est le sentiment. La poésie naissante des années de la perestroïka en Ouzbékistan, comme dans toutes les autres républiques soviétiques, était soumise aux tendances. Pas de poèmes écrits, mais des manifestes politiques, des appels à la défense de la langue maternelle, contre le silence imposé sur certains épisodes de l’histoire, contre les accusés de l’affaire du coton.
C’est alors que je me suis soudain rendu compte que l’air politisé m’étouffait. Et comme antidote, j’ai commencé à traduire de la poésie japonaise ancienne, dont le motif principal était les sentiments humains. J’ai sorti l’anthologie Feuilles de la mer.
Est-ce une image tirée d’un poème en particulier ?
Cela vient de ma perception de la poésie et de la culture japonaise ancienne. Entouré par la mer, le Japon se transforme en une mer orageuse de couleurs flamboyantes en automne. Kōyō (lorsque les feuilles deviennent rouges à l’automne, ndlr) arrive, les Japonais vont admirer les feuilles rouges des érables. Nous avons également eu une fête similaire : elle s’appelait Khazon Saïri (le festival des feuilles d’automne, ndlr). Babur a écrit différentes choses sur cette fête dans ses notes.
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Il y a beaucoup de tristesse dans mes derniers poèmes. Et je pense savoir pourquoi. Mon poète préféré, Nikolaï Zabolotsky, a écrit à ce sujet : « La grande connaissance contient une grande tristesse, /C’est ce que disait le créateur de l’Ecclésiaste. /Je ne suis pas du tout un sage, mais alors pourquoi si souvent /Suis-je désolé pour le monde entier et pour les humains ? »
Khourchid-aka, qui aimez-vous relire à part Nikolaï Zabolotsky et Aïbek ?
Dans ma jeunesse, j’ai passé des jours entiers à la bibliothèque Alicher Navoï, où j’ai lu presque toute la poésie du monde. Ma bibliothèque personnelle est également assez riche. J’aime relire les classiques, ils donnent beaucoup plus d’énergie que les nouveaux auteurs médiatisés.
Par exemple, j’apprécie les samouraïs littéraires comme Ryūnosuke Akutagawa et Yasunari Kawabata, mais je n’aime pas le Japonais américanisé Haruki Murakami. J’ai relu Gabriel Garcia Marquez, Stefan Zweig, Thomas Mann, Jorge Luis Borges, Thornton Wilder.
Le jeune Ryūnosuke Akutagawa avait raison lorsqu’il écrivait dans son journal que les poètes devraient lire plus de prose et les romanciers plus de poésie. Bien entendu, je lis également de la poésie issue des langues turciques.
J’apprécie particulièrement les langues azerbaïdjanaise, turque et ouzbèke. Je lis beaucoup de nos jeunes poètes, car je suis modérateur du site Khurshid Davron Kutubhonasi (bibliothèque de Khourchid Davron, ndlr), où je publie principalement des poètes de la nouvelle génération.
Comment décririez-vous la situation actuelle dans la littérature ouzbèke : est-ce l’apogée, la stagnation, une période d’accumulation ?
Je constate un grand renouveau dans notre littérature aujourd’hui. Il y a des poètes très doués, tels que Jantemir, Mirzokhid Mouzaffar, Rafik Saïdoullo. Il existe également de nombreuses poétesses talentueuses.
J’ai remarqué depuis longtemps que les femmes poètes débutent toujours très bien. Mais très vite, elles sont englouties par la vie quotidienne, la famille et les difficultés. Il n’en reste que quelques-unes dans la littérature. Cela a été le cas et cela continuera d’être le cas. On peut dire que les difficultés quotidiennes sont le principal problème de la littérature ouzbèke (rires).
Chaque jeune poète ou écrivain est impatient de se rendre à Tachkent. Mais comme toutes les autres capitales, Tachkent accueille ces rêveurs avec indifférence. L’échec professionnel tue les talents, littéralement.
Il semble que maintenant, depuis l’apparition d’Internet, il n’est pas nécessaire d’aller dans la capitale. Mais il n’y a pas d’ambiance littéraire dans les viloyats (régions, ndlr). Les bureaux de district de l’Union des écrivains ne fonctionnent pas comme des organisations créatives, mais comme des éléments de l’administration régionale.
Avec l’apparition d’Internet, l’espace littéraire du réseau a été capturé par une foule de graphomanes. Mais le principal problème est peut-être qu’au cours du dernier quart de siècle, la véritable critique littéraire a disparu. Ceux qui restent traitent des classiques vivants.
Khourchid-aka, imaginez que vous avez l’occasion de poser une question à votre professeur spirituel, par exemple au poète Aïbek. Qu’est-ce que vous lui demanderiez ?
Je demanderais : « Aimeriez-vous revivre votre vie sans rien changer ? »
Je crois savoir comment vous auriez répondu à cette question…
The rest is silence (les derniers mots de Hamlet dans le drame éponyme de William Shakespeare, ndlr).
 
Poèmes de différentes périodes
Dans les yeux d’un cheval faible
Un buisson vert, une étendue de steppe.
Dans les yeux d’un cheval faible
Les pluies bruissent comme un chœur sourd.
Dans les yeux d’un cheval faible
Une étoile se consume à peine.
Dans les yeux d’un cheval faible
De l’herbe lavée par la rosée.
Dans les yeux d’un cheval faible
Le jour s’en va, l’espace s’assombrit.
Dans les yeux d’un cheval faible
Il y a une image qui a englouti le monde.
(Traduit par Ch. Abdoullaïev)
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Oumrzak
Oumrzak est occupé toute la journée.
Il rentre à la maison après le coton,
Accueilli par sa triste épouse.
Il n’y trouve pas
Une grande joie.
Il se lave les mains.
Un vent léger
Balance des rideaux sur les fenêtres.
Sa femme est occupée devant la cuisinière.
Elle l’attendait pour diner.
– Tu aurais pu manger toute seule !
Marmonne Oumrzak.
Alors, la femme,
Souriant en réponse à Oumrzak,
Fait sonner les casseroles.
Elle
Le sait parfaitement —
Jamais
Oumrzak ne s’assoit seul à table.
Et juste en la regardant
Il pourra se reposer.
Tardivement
Ils se couchent et au-dessus d’eux
Le coucher de soleil brûle
Comme une grenade mûre.
(Traduit par V. Salimon)
 
C’est vrai, ses mains ne sont pas très tendres
Et sa robe n’est pas riche en motifs.
Frappé par l’ennui, son mari la gronde
Lorsqu’elle apporte du raisin.
Hier, je l’ai croisée par hasard sur le chemin
Mais je n’ai pas pu m’approcher d’elle.
Elle a regardé sous ses pieds avec horreur
Une fleur écrasée par une roue.
(Traduit par S. Madaliyev)
 
La nature est mon extension,
L’ancien refuge de mes parents.
Je ressens l’attraction des étoiles
Et le souffle des mondes lointains.
Entre l’absinthe et la menthe
J’ai trouvé amour et liberté.
Tel une pensée ailée, je vois
Un aigle planant au-dessus de la steppe.
Je vais bientôt découvrir ce que signifient
Ces constellations de glace cosmique…
J’ai vu le pommier pleurer
Et j’ai entendu le peuplier chanter.
(Traduit par V. Salimon)
 
Imitation de Raouf Parfi
Se promener dans la ville dans les chutes de neige du soir,
De la lumière à l’ombre, réchauffant ses doigts dans ses poches,
De l’ombre à la lumière, et aux lèvres
Des flocons de neige fondus.
Le cœur arrêté, marcher et penser
A quelqu’un de lointain,
A un proche.
A cette neige.
La laisser se déposer simplement,
La laisser craquer sous les pas
Sans s’arrêter
Et devenir bientôt
Un flocon de neige emporté dans les ténèbres.
Céder le chemin à quelqu’un,
Saluer quelqu’un — et tout de suite,
L’oublier. Il suffit que la neige tombe
Et tu es perdu sans t’en rendre compte.
(Traduit par V. Mouratkhanov)
Sandjar Yanychev
Journaliste pour Fergana News
Traduit du russe par Alla Forment
Edité par Anthony Vial
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