Ils – et elles – sont une vingtaine assis en cercle ce matin là, dans la salle de réunion du Domaine de Damian, lieu de séminaires à une quarantaine de kilomètres de Montélimar, dans la Drôme. Six hommes et une quinzaine de femmes, tous entrepreneurs et membres de la même coopérative. Tous travaillent dans le domaine de la culture, celui-là même où #MeToo a en premier émergé.
Le groupe est mené par Juliette et Naomeh, formatrices en entreprise. Pour le premier exercice, chacun partage une expérience et ceux qui l’ont aussi vécu se lèvent. “Toutes celles et ceux qui en premier entretien professionnel ou client ont dû sourire naïvement à une remarque sexiste” lance une participante, “toutes celles qui se font couper la parole en réunion simplement parce qu’elles sont une femme“, enchaîne une autre. À chaque fois une quinzaine de personnes se lèvent, à chaque fois la dialogue s’ouvre.
Car toutes et tous ont ici un désagréable souvenir à raconter. Pour Masha, c’était “lors d’une conférence scientifique dont je devais faire le discours d’ouverture” explique la jeune femme, trentenaire, “j’étais en collants et quand je suis montée sur scène un homme du premier rang a fait une remarque désobligeante sur mon physique. Tout le premier rang a entendu. C’était très difficile après de prendre la parole, très gênant“.
Une autre jeune femme explique comment elle fut accueillie en réunion par une remarque à caractère sexuel, et comment des années après elle en a encore honte. Parfois pour la première fois ces histoires sont racontées, puis rejouées par les participants. Dans une scène, un emploi échappe à Marie car elle a un enfant. Le poste sera finalement attribué au candidat masculin, pourtant père lui aussi.
L’idée de proposer cet atelier de théâtre-forum et de former un groupe de travail sur l’égalité au sein de la coopérative d’entrepreneurs Prisme a germé après un constat : les entrepreneuses facturent leurs prestations moins cher que leurs collègues hommes. “Je posais aussi des questions à des collègues hommes sur comment ils répondent aux clients qui tentent de négocier le prix“, raconte Claire, médiatrice scientifique, “et ils me disaient que ça ne leur arrive jamais. Alors que moi j’ai tout un argument bien déterminé pour tenter de maintenir mon tarif“.
Ce sexisme ordinaire, quotidien, a donc été intégré par ces jeunes femmes. “Je dois bien l’avouer, quand je vais à un premier rendez-vous avec un client, et particulièrement un homme” explique Marie, “je m’habille de la façon la plus neutre possible“.
Le déclenchement de la vague #MeToo il y a cinq ans ne semble finalement pas avoir changé grand-chose. “On le voit encore plus, et en fait, ça fait encore plus mal qu’avant. C’est de plus en plus dur à gérer” confie Claire. “Je suis partagée sur MeToo” poursuit Masha, “ça a libéré la parole comme on a l’habitude de le dire. Et c’est très bien. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’on nous écoute plus. On est toujours confrontées au sexisme, les saynètes que nous avons joué aujourd’hui, cela nous arrive régulièrement. Et nous ne sommes pas plus armées pour réagir“.
Cette absence de réaction face aux propos ou agissements sexistes, on la retrouve du côté des hommes, faute de savoir comment se positionner. “Parfois je suis témoin de choses subtiles, et je m’interroge sur le fait d’intervenir ou pas et qu’elle est la façon juste de le faire. Il ne s’agit pas non plus de voler au secours d’une femme comme un valeureux chevalier“, explique Elias. Mais “ne rien dire c’est participer à un silence qui autorise ce genre de comportements, et leur acceptation dans un espace de travail où ils n’ont rien à faire” poursuit Romain. Tous deux un peu désorientés mais ravis de cette expérience de théâtre-forum autour du sexisme.
Dans ses conclusions, le rapport du Haut Conseil à l’Egalité préconise de rendre obligatoires les formations contre le sexisme, par les employeurs.