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Emilie Aubry : "Taïwan rappelle que la démocratie n'est pas qu'un truc de bobos occidentaux" – L'Express

Emilie Aubry, présentatrice du "Dessous des cartes" sur Arte.
F Boukla
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Elle a pris la suite de Jean-Christophe Victor à la tête d’une véritable institution, Les Dessous des cartes. Rédactrice en chef du magazine d’Arte, Emilie Aubry avait publié l’année dernière, avec le docteur en géopolitique Franck Tétart, une première édition d’un atlas vendu à 50 000 exemplaires. En voici une mise à jour, intitulée Le retour de la guerre, qui s’ouvre fort naturellement sur la guerre en Ukraine. Plus de 120 cartes et graphiques englobant tous les continents permettent de comprendre le nouvel ordre géopolitique. 
Pour l’Express, Emilie Aubry évoque ce retour en force de la géopolitique (et des cartes) et analyse les grands bouleversements mondiaux, de la Russie à la Chine en passant par l’Inde, l’Afrique ou la Turquie. 
L’Express : Depuis le début de la guerre en Ukraine, on a l’impression que la cartographie n’a jamais été aussi présente. La géographie de la région de Kherson ou du Donbass nous est désormais familière…  
Emilie Aubry : Les guerres remettent toujours les cartes au coeur de l’actualité. Je me souviens de ces experts pointant, à la télévision, leurs double-décimètres sur des cartes à l’ancienne lors de la première guerre du Golfe. Mais aujourd’hui, il y a particulièrement cette démultiplication des cartes sur les chaînes d’information, avec des analyses cartographiques souvent de très bonne qualité. J’ai aussi constaté que les entretiens d’Emmanuel Macron avec Caroline Roux sur France 2 dans la nouvelle émission L’Evénement étaient structurés autour de cartes. Dans les librairies, de plus en plus d’atlas sont publiés, des plus classiques aux plus insolites. Cette concurrence nous oblige d’ailleurs, aux Dessous des Cartes, à redoubler d’exigence et de créativité.  
L’émission a été créée en 1990, je l’ai reprise en 2017 après la mort de Jean-Christophe Victor. Depuis, face à une demande accrue de décryptage géopolitique et cartographique, nous veillons avec les équipes d’Arte Studio à innover sans cesse, en multipliant nos formats, sur tous les supports, TV, papier, numérique, formats longs ou courts. Notre valeur ajoutée passe notamment par nos liens étroits avec le monde de la recherche et par l’animation de nos cartes. Un fan m’a dit un jour : “Votre Dessous des Cartes, c’est comme un dessin animé version géopolitique et pour les adultes” (rires).  
C’est aussi un retour en force de la géopolitique, alors que l’actualité purement politicienne franco-française semble moins intéresser aujourd’hui… 
J’étais journaliste politique pendant longtemps, avant de m’intéresser aux questions internationales. Notre public au Dessous des Cartes s’élargit dans un contexte de forte “démocratisation” de la géopolitique. Le XXIe siècle nous a tous obligés à regarder hors de nos frontières : des attentats du 11-Septembre aux Etats-Unis à ceux que nous avons connus en France en 2015, nous avons tous éprouvé que l’actualité du Moyen-Orient avait des répercussions en Occident.  
Puis la pandémie de Covid a intensifié cette conscience de nos interdépendances. Au début de la pandémie, durant des jours, nous nous sommes réveillés en allumant nos smartphones et en regardant ce qui se passait ailleurs, de Wuhan à Milan, pour imaginer ce que nous allions bientôt vivre nous-mêmes en France. Le Covid nous a aussi fait réaliser que les masques étaient fabriqués en Chine, le paracétamol en Inde et que les semi-conducteurs venaient de Taïwan. La guerre en Ukraine renforce encore cette prise de conscience que nous ne pouvons pas nous contenter d’une information régionale. La géopolitique s’est même invitée au baccalauréat depuis quatre ans. Il y a désormais presque autant de lycéens qui choisissent la spécialité HGGSP (histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques) que la spécialité SVT. Cette génération a également banalisé le fait de consacrer au moins une année d’études supérieures à l’étranger. 
Au fond, en 2022, plus grand monde n’ignore que nous vivons au sein du “village global”, et que de ce fait, l’échelle nationale n’est plus suffisante. Enfin, le numérique, vaste espace sans frontières, ne fait que renforcer notre curiosité pour le vaste monde. Ma fille ado vit connectée au reste du monde par son usage quotidien des réseaux sociaux, elle me raconte des tiktokeurs suédois ou des youtubeurs sud-coréens. Cette possibilité de connexion permanente avec la planète tout entière est pour elle très banale. Ironie du sort : ce phénomène s’accompagne en parallèle d’un retour du nationalisme, de discours sur les frontières, les identités. L’un ne va sans doute pas sans l’autre… 
Votre nouveau livre s’ouvre par le conflit en Ukraine, que vous qualifiez de “dernière guerre de Poutine”… 
Une experte comme Galia Ackerman explique très clairement que, cette fois-ci, Vladimir Poutine a sans doute commis une erreur fatale. En nostalgique invétéré de la période soviétique, il s’est enfermé dans le passé, n’a pas vu que le monde – et l’Ukraine en particulier – avait changé, que le pays de Zelensky s’était constitué en véritable Etat-nation, avec une identité culturelle, sociologique et linguistique affirmée. Poutine n’avait pas non plus escompté une telle mobilisation occidentale. Ni que la Chine prendrait progressivement ses distances. On voit quelques signes qui tendent à montrer une volonté chinoise de ne pas être liée aux échecs de la stratégie russe. Même si hélas pour les malheureux Ukrainiens, la messe n’est pas dite et que l’hiver s’annonce redoutable. Mais je reste convaincue que la dynamique est en leur faveur. La stratégie de bombardements massifs adoptée par la Russie est une réponse de perdant, dès lors que la conquête territoriale n’est plus possible. 
Quelle carte de la Russie vous a marquée ces derniers mois ?  
La pauvreté des infrastructures dans la Russie de Poutine est marquante. Il n’y a par exemple qu’une seule ligne de train à grande vitesse, reliant Moscou et Saint-Pétersbourg. D’autres sont en projet, mais cela en dit long sur la “Russie vitrine”, celle de ces deux grandes villes, contrastant avec le reste du pays. 
Par ailleurs, il faut sans cesse regarder la position stratégique de l’Ukraine sur un planisphère, sa position centrale entre Orient et Occident, pour comprendre à quel point ce pays représente un verrou stratégique entre deux mondes et deux systèmes de valeurs. Cela nous éclaire sur cette guerre que mène aussi Poutine, entre son modèle autoritaire et notre modèle démocratique européen. J’ai enfin une fascination pour Kaliningrad, au bord de la Baltique, une région russe enclavée au sein de l’Union européenne entre la Lituanie au nord et la Pologne au sud. 
Comment jugez-vous la couverture médiatique de la guerre en Ukraine ?  
Dans ce drame absolu, je trouve au moins satisfaisant qu’on nomme enfin correctement le réel. J’ai toujours été agacée par ces nouveaux concepts d'”illibéralisme”, de “démocrature” ou d'”hommes forts” qui semblaient édulcorer le réel. Désormais, on utilise bien le terme de “dictature” pour qualifier le régime russe, on parle de violation du droit international, sans plus céder aux éléments de langage du Kremlin sur le thème de la “Russie humiliée par les méchants occidentaux après 1991”. Enfin nous en revenons aux faits ! Des pays de l’ex-espace soviétique, après 1991, ont demandé librement à rejoindre l’Otan afin de se protéger. Espérons que nous éviterons à l’avenir de reprendre la propagande russe sur “l’Otan menaçant Moscou”. Ce n’est pas l’Otan qui viole les frontières d’un Etat souverain, mais bien la Russie de Vladimir Poutine. 
En France, nous avons eu des relais zélés de ces éléments de langage du Kremlin, avec un relativisme politique et culturel très pernicieux. C’était notamment l’idée que certes Poutine n’avait rien d’un dirigeant exemplaire selon nos normes libérales européennes, mais qu’il était un président avec lequel nous ne devions pas nous fâcher, ni chercher à lui imposer nos manières de voir le monde.  
Vous évoquez aussi l’aveuglement à l’égard des ambitions du régime chinois. Pourquoi ?  
La sinologue Alice Ekman fait le pari que dans les décennies à venir, il y aura deux mondes parallèles qui vont vivre côte à côte, avec par moments des points de friction. C’est en tout cas ce qu’imagine Xi Jinping. La Chine ambitionne d’être une puissance normative de deux manières : avec un travail d’entrisme à l’intérieur des structures issues du monde occidental (il suffit de voir l’influence chinoise grandissante au sein des institutions onusiennes), mais aussi avec la mise en place de structures concurrentes, telle l’Organisation de coopération de Shanghai. Cette dernière s’avère symptomatique de la façon dont la Chine conçoit les relations internationales : en dehors de litiges frontaliers ou de la coopération économique, on ne se mêle pas des affaires des autres Etats, et surtout pas des droits de l’homme. 
Le récent G20 donne malgré tout le sentiment d’une petite accalmie. Xi Jinping a mis l’accent avec Biden, le grand rival américain, sur “ces choses que nous avons en commun”. Le dialogue entre les deux géants sur le réchauffement climatique, qui avait cessé, a repris. Mais personne n’est dupe : entre les Etats-Unis et la Chine, il y a un duel au sommet pour prendre la première place, avec deux mondes parallèles qui s’opposent sur le terrain économique, culturel et sur celui des valeurs. 
Deux mondes qui se rencontreront sans doute de moins en moins à l’avenir. On voit déjà comment les Chinois sortent peu, désormais, de leur pays, et comment le régime fait en sorte de couper la Chine de l’Occident. 
Depuis des années, on présente la puissance américaine en déclin… 
On la dit en déclin parce que d’autres pôles de puissance ont émergé : nous vivons désormais dans un monde multipolaire. Malgré tout, ces derniers mois démontrent une certaine forme de résurgence du leadership américain, ponctuelle ou non. La guerre en Ukraine rappelle l’importance des Etats-Unis sur le plan militaire et stratégique. La Chine rêve de concurrencer Washington sur ce terrain militaire, mais ne possède pas encore l’expérience acquise depuis plusieurs décennies par les Américains. 
Votre livre souligne aussi l’apaisement entre Israël et une partie du monde arabe, au prix de la marginalisation de la question palestinienne… 
La peur, réelle et légitime, du régime iranien a poussé un certain nombre de pays arabes à se rapprocher d’Israël. L’actualité récente nous rappelle d’ailleurs, si nous l’avions oubliée, la violence structurelle de la république islamique d’Iran. 
La question du conflit israélo-palestinien est clairement passée au second plan des priorités depuis la guerre en Syrie. Le droit international continue pourtant à poser comme un horizon indépassable le scénario des deux Etats. Mais on a le sentiment qu’aucune partie n’y croit encore. La radicalisation du côté palestinien, avec maintenant une tripartition entre le Fatah, le Hamas et le Jihad islamique, fait qu’il est de plus en plus difficile de trouver des interlocuteurs pour reprendre les négociations. Et du côté israélien, le retour de Netanyahou flanqué d’une extrême droite toujours plus radicale est très préoccupant pour l’avenir.  
La révolte iranienne mobilise-t-elle suffisamment les opinions occidentales ?  
Un changement de régime en Iran serait une actualité majeure, qui rebattrait absolument toutes les cartes au Moyen Orient.  
Par ailleurs, il est important de préciser qu’il ne s’agit pas d’une révolte, mais bien d’une révolution. Cette révolution n’aura d’avenir que si nous continuons à en parler. Il faut parler de cette jeunesse admirable de courage qui continue d’affronter un régime monstrueux. Je suis heureuse que l’image des joueurs de foot iraniens refusant de chanter l’hymne national, à Doha, ait fait le tour de la planète médiatique. 
Vous consacrez un chapitre à l’Inde, bouleversée par les années Modi. 
Il est de plus en plus difficile de qualifier l’Inde de Modi de “plus grande démocratie du monde”, tant il prône la supériorité de l’hindouisme sur les autres religions et porte régulièrement atteinte à l’Etat de droit et aux libertés. Par ailleurs, Modi entretient une grande confusion sur le positionnement géopolitique de son pays, refusant de condamner l’invasion russe de l’Ukraine à l’ONU, tout en restant proche des Etats-Unis, notamment pour être plus fort face au rival chinois dans la région. 
Vous soulignez également le “double jeu” permanent de la Turquie d’Erdogan… 
L’expression “double jeu” est incontournable quand on parle d’Erdogan, comme une sorte d’épithète homérique (sourire). C’est le champion des “coups de billard à trois bandes”. Erdogan maîtrise également comme personne l’art de se placer au centre du jeu, s’imposant dans le conflit ukrainien comme l’intermédiaire privilégié de Poutine, quand bien même Russie et Turquie entretiennent des relations compliquées au sujet du Haut-Karabagh et de la Mer Noire. Mais il y a eu un pacte implicite entre les deux hommes au moment de la guerre en Syrie, avec une répartition des rôles. La Russie a laissé la Turquie agir à sa guise à ses frontières contre les Kurdes, et la Turquie a laissé la Russie soutenir Bachar al-Assad pour qu’il puisse se maintenir au pouvoir. 
Quelle carte faut-il retenir de l’Afrique ? Celle de l’essor du djihadisme ou celle montrant le dynamisme économique de ce continent ?  
C’est un continent auquel je suis très attachée, et je déplore qu’on le traite médiatiquement de manière systématiquement sombre, en se focalisant sur les coups d’Etat et le djihadisme. Il faudrait aussi parler d’un dynamisme africain, démographique, économique et culturel, incroyable. C’est un continent avec des ressources extraordinaires. J’essaie de me placer du côté de l'”afroptimisme”. Dans le livre, je parle du “continent des possibles et des impossibles”. 
Votre carte préférée ?  
Je suis toujours frappée par la carte de la petite Taïwan en face de la Chine continentale. C’est une île de 35 000 mètres carrés, une petite Chine rebelle et démocratique qui a le courage d’affronter un géant autoritaire. Je suis fascinée par la personnalité de la présidente Tsai Ing-wen, qui a été réélue en 2020, et par la vitalité de ce pays qui invente, grâce au numérique, de nouvelles formes de participations citoyennes. 
Taïwan nous rappelle ainsi que l’ambition démocratique, ce n’est pas qu’un truc de bobos occidentaux. 
“Le dessous des cartes. Le retour de la guerre”, par Emilie Aubry et Frank Tétart (Tallandier, Arte éditions, 223 p., 18,90 €). 
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