Medscape
Univadis
Medscape
Univadis
Dr Angela Speth
13 novembre 2022
Un aperçu de la vie et de l’œuvre d’Egon Schiele sous l’angle psychiatrique et médico-historique. [1,2]
Egon Schiele a dominé la scène artistique de Vienne au début du 20e siècle. Ses portraits et autoportraits, dans des poses contorsionnées, rappellent les dystonies. Sa rupture radicale avec les normes esthétiques (y compris celles de l’Art Nouveau), l’exhibition franche de sa sexualité et son style de vie libertin ont suscité de nombreuses réactions de rejet. C’est ainsi que l’image d’un paria vivant à toute allure et mourant jeune est devenue populaire. Il est vrai aussi qu’à l’époque de Siegmund Freud, les corps malades, voire “hystériques”, suscitaient du voyeurisme. En ce sens, Schiele correspondait exactement aux goûts de son époque, ce qui a favorisé son succès, tant artistique que commercial.
Schiele est né en 1890 à Tulln, sur le Danube. En 1906, ses professeurs repèrent ses talents et l’envoient à l’Ecole des Arts et Métiers de Vienne. La même année, il passe à l’Académie des arts, plus traditionnelle. Les opinions conservatrices de son professeur, Christian Griepenkerl, le frustrent rapidement, tandis qu’à l’inverse le dogmatisme de Schiele agace tellement Griepenkerl qu’il lui assène un jour : “Le diable t’a chié dessus dans ma classe”!
Egon Schiele – Autoportrait (© Biserko | Dreamstime.com)
Schiele quitte ainsi l’Académie au bout de deux ans, pour fonder son “Groupe d’Art Nouveau.” Libéré des conventions antérieures, il commence à se pencher sur la sexualité et à la représenter de manière univoque, choquant beaucoup au passage. Aujourd’hui, on serait probablement encore plus critique à son sujet, pour d’autres raisons : ses nus de très jeunes filles seraient considérés comme de la pornographie enfantine, le fait de demander de prendre une pose sexuelle à un minueur constituant un abus.
En parallèle, Egon Schiele trouve de généreux mentors dont Gustav Klimt, qui achète ses dessins et l’introduit dans le mouvement artistique de la Sécession. En 1909, il obtient un premier succès à la Grande exposition d’art de Vienne, où sont également présentées des œuvres de peintres aussi renommés qu’Edvard Munch ou Vincent van Gogh. En 1910, l’enfant terrible rompt définitivement avec l’élégante peinture décorative de l’Art Nouveau et se tourne vers l’expressionnisme. Plus précisément, on peut affirmer qu’il s’est transformé en spécialiste de la laideur.
Ses portraits et autoportraits se caractérisent par des formes corporelles tordues et grotesques, telles qu’elles apparaissent en cas de dystonie, c’est-à-dire de troubles cérébraux qui entraînent des contractions musculaires. Ces dernières débouchent sur des postures particulières ou des mouvements incontrôlés. Sur une photographie de 1910, Schiele penche la tête comme s’il avait le cou tordu, et la dernière photo sur son lit de mort le montre dans une position qui semble arrangée : la main gauche derrière la tête, le bras droit sur la poitrine. On a ainsi émis l’hypothèse qu’il souffrait d’une dystonie, mais il n’existe aucun élément permettant de la confirmer. C’est pourquoi les connaisseurs considèrent les postures étranges et la mise en scène du corps malade comme une stratégie de modernité, une caractéristique d’un style formel expressionniste.
Egon Schiele – Mère et deux enfants III (© Marco Brivio | Dreamstime.com)
Cette forme d’art s’inspire d’une perception médicale qui était particulièrement en vogue au début du 20e siècle. Les maladies neurologiques et psychiatriques étaient largement discutées. Une exposition sur les maladies mentales s’est par exemple tenue en 1898. Les thérapies avancées pour l’époque étaient confrontées aux traitements traditionnels, avec une illustration sous la forme de visages en cire.
Des images de corps en apparence désarticulés circulent dans toute l’Europe, notamment à Vienne, où elles attirent l’attention des intellectuels et des artistes. La revue “Iconographie photographique de la Salpêtrière”, qui paraissait vers 1880 à l’hôpital parisien des maladies nerveuses, est exemplaire à ce titre. On y montrait des formes de dystonie et d’hystérie que l’on attribuait en particulier aux femmes, de sorte que l’on pouvait montrer les symptômes corporels de manière spectaculaire.
Les photographies montraient des patientes en proie à des convulsions sur leur lit d’hôpital, notamment avec des contractures des membres ou les bras écartés comme si elles étaient crucifiées, ce qu’on appelle des “attitudes passionnelles”. Ces photographies ont attiré le regard voyeuriste, d’autant plus qu’il semblait que les femmes se libéraient des chaînes de la civilisation par des hallucinations, l’hypnose, l’inhalation de vapeurs ou la compression de zones “hystérogènes”.
C’était l’époque de Siegmund Freud et de ses concepts psychanalytiques, comme celui de la conversion, selon lequel les poses singulières de l’hystérie reflèteraient des conflits psychiques. Les autoportraits de Schiele sont interprétés de la même manière : ils proviennent moins de la contemplation de sa propre âme que du retournement – souvent exagéré – de ses sentiments vers l’extérieur.
La revue “Iconographie photographique” a rencontré un tel succès qu’une suite en a été publiée sous le titre “Nouvelle iconographie de la Salpêtrière : clinique des maladies du système nerveux.” Cette fois, il s’agissait de maladies neurologiques au sens large, et principalement chez les hommes. Les photographies d’excroissances cutanées et de déformations de la colonne vertébrale signalent un abandon de la sexualisation dramatique de l’hystérie, l’accent étant plutôt mis sur l’apparence extrême du corps dans la douleur.
Non seulement Schiele connaissait ces magazines, mais il avait également reçu l’autorisation d’un ami médecin de dessiner des patientes de la clinique gynécologique universitaire. Cela se passait en 1910, l’année qui marque un tournant par l’abandon de l’Art Nouveau au profit de la représentation de l’homme maltraité.
D’autres éléments stylistiques vont dans ce sens. Des parties de personnages sont coupées par le bord du tableau, par exemple la tête juste au-dessus du front. Schiele modifie également son corps dans ses autoportraits, au-delà des déformations, en se coiffant de masques, comme un moine, un prophète ou un saint. Il a aussi joué à perturber la communication : d’une part, en entrant en contact avec le spectateur par le regard et, d’autre part, en le repoussant par une grimace ou un geste de rejet. D’ailleurs, les mains sont souvent au centre des tableaux de Schiele. On peut observer des parallèles iconographiques avec les gros plans de mains difformes – comme dans la macrodactylie – dans les revues de la Salpêtrière. Les spécialistes considèrent donc ces publications comme des éléments qui ne symbolisent pas la rationalité ni le contrôle, mais la force des émotions.
Ces images déformées ne servaient apparemment pas qu’à illustrer l’humain traumatisé. Une chercheuse a ainsi avancé que la rupture radicale de Schiele avec l’esthétique traditionnelle était aussi une démarche visant à conquérir le marché de l’art et à obtenir des prix élevés pour les œuvres. Schiele touchait ainsi des mécènes lassés de la Sécession et qui voulaient promouvoir de jeunes artistes apportant du sang neuf. Les collègues et concurrents de Schiele, comme Oskar Kokoschka et Max Oppenheimer, utilisaient également des stratégies similaires. Ils avaient tous compris que la grâce et le charme ne convenaient pas pour exprimer clairement les exigences de leur époque.
La prison pour des croquis érotiques
En 1911, Schiele rencontre Valerie (Wally) Neuzil, une jeune fille de 17 ans qui posera pour quelques-unes de ses toiles les plus impressionnantes. Le milieu viennois leur paraissant de plus en plus étouffant, ils s’enfuient vers la petite ville de Krumau, mais leur union informelle y est si mal accueillie qu’ils en sont chassés
Egon Schiele – Portrait de Wally (© Irina Gomelsky | Dreamstime.com)
Le couple connait un sort encore plus défavorable à Neulengbach, près de Vienne : en avril 1912, la police arrête Schiele au motif d’avoir séduit une mineure et confisque plus de cent dessins accusés d’être de nature pornographique. Le juge le condamne finalement à trois semaines de prison, mais uniquement pour ses croquis, brûlant au passage l’un d’eux avec une bougie. Le prisonnier a témoigné de sa misère carcérale au travers d’une série de douze peintures.
De retour à Vienne, il voit enfin la réussite lui sourire. Ainsi, en 1913, une galerie munichoise lui consacre sa première exposition individuelle, et une seconde se tient à Paris l’année suivante. Schiele publie également quelques poèmes dans la revue Die Fackel ainsi que des textes théoriques et littéraires dans le journal berlinois Die Aktion.
En 1915, il se marie civilement avec Edith Harms, issue d’une famille protestante. Schiele est appelé sous les drapeaux trois jours plus tard, mais sa fonction se limite à monter la garde, ce qui lui donne du temps pour peindre.
L’Exposition de la Sécession viennoise de 1918, où cinquante de ses œuvres étaient représentées, a été un succès triomphal. L’affiche de l’exposition rappelle la Cène, mais avec une provocation notoire : Schiele y occupe la place du Christ.
Une grippe fatale
Après la mort de Klimt la même année, Schiele se hisse, avec Oskar Kokoschka, au rang de chef de file de l’avant-garde expressionniste viennoise. Pas pour longtemps cependant. La grippe espagnole, qui a fait 20 millions de victimes rien qu’en Europe, atteint la métropole autrichienne. Le 28 octobre 1918, Edith, enceinte de six mois, succombe à la maladie, suivie par Schiele le 31 octobre. Durant ces trois jours, il réalise encore quelques esquisses de sa femme sur son lit d’hôpital.
L’ensemble de son œuvre comprend 245 peintures et environ 2000 dessins, gouaches et aquarelles qui se vendaient bien à des collectionneurs exigeants, les expositions se révélant également très lucratives.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Suivez Medscape en français sur Twitter, Facebook et Linkedin.
Les hypothèses diagnostiques, selon William Shakespeare
Quand l’art invite à redécouvrir l’histoire de la médecine
L’artiste qui révéla la véritable nature du cerveau
Art et prise en charge de la douleur : quelles sont les données actuelles ?
Quand l’art s’invite au cabinet médical : témoignages
Des génies célèbres chez le psy
Bukowski, Goethe, Renoir, Bogart… de quoi souffraient ces artistes célèbres ?
Jean-Martin Charcot : aux racines de la neurologie moderne
Art et médecine
Source: Dreamstime
Medscape © 2022
Citer cet article: Egon Schiele, le peintre inspiré par les dystonies et l’hystérie – Medscape – 13 nov 2022.
Cet article a été publié originalement sur Univadis Allemagne le 28 septembre 2022.
Liens d’intérêts : aucun
Liens d’intérêts : aucun
Directrice, Medscape Editorial
Traitement….
https://seo-consult.fr/page/communiquer-en-exprimant-ses-besoins-et-en-controlant-ses-emotions